Malgré le retour des pluies, les Libanais subissent de sérieuses coupures d’eau. Pour Michel Skaff, grand propriétaire terrien de la Békaa, c’est le signe d’un grave danger qui menace le pays, celui de la désertification, en raison d’une gestion calamiteuse de ses ressources naturelles. Entretien.
Quels sont les symptômes du changement climatique mondial ?
Même si on attend encore les chiffres de décembre, l’année 2015 a établi un record planétaire de chaleur : entre janvier et novembre, la température mondiale à la surface de la terre et des océans a excédé de 0,87 °C la moyenne du XXe siècle, qui était de 14 °C, atteignant ainsi le plus haut niveau jamais enregistré depuis 1880. Dans la région, le symptôme le plus marquant est l’amenuisement des ressources en eau douce. L’an passé, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a publié un rapport régional, sous le titre évocateur “Exsangue” : le conflit israélo-palestinien, la guerre en Syrie avec l’afflux de réfugiés au Liban et en Jordanie, trois décennies de guerre et de sanctions en Irak, les combats au Yémen… ont aggravé une situation qui a toujours été précaire. Dans certains cas, à cause des sanctions internationales ou de l’absence d’investissements, l’entretien et la réhabilitation des systèmes hydrauliques ont été négligés : de grandes quantités d’eau sont perdues à cause des fuites. En Syrie, par exemple, les autorités locales ont estimé que 60 % de l’eau pompée l’an dernier a été perdue en raison de fuites dans le réseau endommagé par le conflit.
Où en est le Liban ?
Dans la Békaa, nos puits de références sont tous asséchés ! Fin décembre 2015, nous étions au tiers de la pluviométrie moyenne constatée ces trente dernières années ! Même si nous rattrapons notre “retard” avec les pluies de ces dernières semaines, le changement est d’ores et déjà en cours : il ne pleut plus de la “même façon” qu’auparavant. Aujourd’hui, ce sont des précipitations importantes, rapides et violentes, espacées de plusieurs semaines. Cela génère a minima un stress hydrique important, déjà visible sur les arbres fruitiers, dont certaines espèces dépérissent ou les massifs forestiers, qui pourraient subir des changements irréversibles tant en surfaces qu’en espèces représentées. En clair, nous nous dirigeons à grands pas vers une désertification de pans entiers de notre pays. Au Liban, comme ailleurs, l’activité humaine a un impact sur les changements climatiques. Mais chez nous, c’est surtout la gestion calamiteuse des ressources naturelles, en particulier de l’eau, qui est en cause. Premier secteur d’activité qu’on peut pointer du doigt ? L’agriculture, du fait de mauvaises pratiques d’irrigation et beaucoup de gaspillage. Si on y ajoute le problème de réfugiés… Cela donne une combinaison extrêmement dangereuse : si rien n’est fait, cette poche de verdure que représente le Liban pourrait disparaître.
Il y a aussi le problème de la dégradation des terres…
Dans le monde, 167 pays se déclarent affectés par la dégradation des terres. Soit environ 10 millions d’hectares cultivables qui disparaissent chaque année. Les rendements et la qualité des récoltes baissent partout du fait de l’usage abusif de produits chimiques ou de mauvaises pratiques culturales comme le labourage en profondeur. Le Liban n’y échappe pas : sur le terrain, on le constate même si, comme souvent, nous n’avons aucun chiffre officiel pour nous aider à cerner le phénomène localement.
Peut-on chiffrer l’enjeu ?
Oui, au moins pour l’eau : si on se base sur la consommation moyenne d’eau par famille, on peut dire que le manque de précipitation cette année va impacter l’économie de manière négative d’au moins 1,5 milliard de dollars. Mais cette question soulève un autre problème, celui du prix réel de l’eau douce. On sait aujourd’hui que la ressource se raréfie – de l’ordre de 5 à 35 % si la température augmente de 4 °C, selon les experts – en même temps que nos besoins, eux, augmentent : l’Onu table sur une augmentation de l’ordre de 30 % des besoins en eau d’ici à 2030. Dans ce contexte, quel est le prix réel de l’eau ? L’utilisation intensive pour l’agriculture a conduit à la baisse du niveau de la nappe phréatique et à des coûts de pompage plus élevés. Ce qui explique que son prix augmente. Pour l’heure, on vend le mètre cube entre 10 et 13 dollars avec une qualité sanitaire incertaine. Par comparaison, le même volume ne coûte que 1,40 euro dans le Jura, 3,45 euros à Paris.
Que peut-on faire pour lutter contre le réchauffement climatique au Liban ?
Pour lutter contre la désertification, l’une des priorités est, selon moi, d’étendre la zone verte permanente, c’est-à-dire l’espace dédié aux arbres ou aux arbustes qui permettrait, d’une part, de capturer le CO2 et de lutter contre le réchauffement climatique et, d’autre part, de fixer la terre, en empêchant notamment l’érosion des terres. Ne rêvons pas toutefois : il faudrait pour cela une stratégie d’ensemble, que l’on peine à imaginer au Liban. À défaut, il faut donc que chacun repense sa consommation des ressources, spécialement les filières de production qui sont grandes consommatrices d’eau, comme l’agriculture.
Comment l’agriculture peut-elle prendre en compte la raréfaction des ressources ?
Il faudrait défavoriser les cultures qui consomment trop d’eau. À titre personnel, j’ajoute au loyer de base de mes terrains un montant de l’ordre de 10 à 20 % supplémentaires selon les plantations qui y seront effectuées. La vigne et les vergers de noyers, deux cultures qui consomment peu d’eau, sont ainsi privilégiés, alors que je fais payer davantage à ceux qui produisent du fourrage ou du blé, des cultures prédatrices en matière d’eau… C’est une solution qui permet de tenir compte de “l’empreinte hydrique” de la production. Cette notion – que les Anglais nomment “water footprint” – permet de calculer le coût hydrique réel d’un produit ou d’un service de sa fabrication jusqu’à sa livraison au consommateur. Ainsi, on sait désormais qu’il faut 13 000 litres d’eau pour produire un kilo de viande de bœuf si on tient compte de l’ensemble de la chaîne de production, 4 000 litres pour fabriquer un tee-shirt, 140 litres pour un café.
Même si on attend encore les chiffres de décembre, l’année 2015 a établi un record planétaire de chaleur : entre janvier et novembre, la température mondiale à la surface de la terre et des océans a excédé de 0,87 °C la moyenne du XXe siècle, qui était de 14 °C, atteignant ainsi le plus haut niveau jamais enregistré depuis 1880. Dans la région, le symptôme le plus marquant est l’amenuisement des ressources en eau douce. L’an passé, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a publié un rapport régional, sous le titre évocateur “Exsangue” : le conflit israélo-palestinien, la guerre en Syrie avec l’afflux de réfugiés au Liban et en Jordanie, trois décennies de guerre et de sanctions en Irak, les combats au Yémen… ont aggravé une situation qui a toujours été précaire. Dans certains cas, à cause des sanctions internationales ou de l’absence d’investissements, l’entretien et la réhabilitation des systèmes hydrauliques ont été négligés : de grandes quantités d’eau sont perdues à cause des fuites. En Syrie, par exemple, les autorités locales ont estimé que 60 % de l’eau pompée l’an dernier a été perdue en raison de fuites dans le réseau endommagé par le conflit.
Où en est le Liban ?
Dans la Békaa, nos puits de références sont tous asséchés ! Fin décembre 2015, nous étions au tiers de la pluviométrie moyenne constatée ces trente dernières années ! Même si nous rattrapons notre “retard” avec les pluies de ces dernières semaines, le changement est d’ores et déjà en cours : il ne pleut plus de la “même façon” qu’auparavant. Aujourd’hui, ce sont des précipitations importantes, rapides et violentes, espacées de plusieurs semaines. Cela génère a minima un stress hydrique important, déjà visible sur les arbres fruitiers, dont certaines espèces dépérissent ou les massifs forestiers, qui pourraient subir des changements irréversibles tant en surfaces qu’en espèces représentées. En clair, nous nous dirigeons à grands pas vers une désertification de pans entiers de notre pays. Au Liban, comme ailleurs, l’activité humaine a un impact sur les changements climatiques. Mais chez nous, c’est surtout la gestion calamiteuse des ressources naturelles, en particulier de l’eau, qui est en cause. Premier secteur d’activité qu’on peut pointer du doigt ? L’agriculture, du fait de mauvaises pratiques d’irrigation et beaucoup de gaspillage. Si on y ajoute le problème de réfugiés… Cela donne une combinaison extrêmement dangereuse : si rien n’est fait, cette poche de verdure que représente le Liban pourrait disparaître.
Il y a aussi le problème de la dégradation des terres…
Dans le monde, 167 pays se déclarent affectés par la dégradation des terres. Soit environ 10 millions d’hectares cultivables qui disparaissent chaque année. Les rendements et la qualité des récoltes baissent partout du fait de l’usage abusif de produits chimiques ou de mauvaises pratiques culturales comme le labourage en profondeur. Le Liban n’y échappe pas : sur le terrain, on le constate même si, comme souvent, nous n’avons aucun chiffre officiel pour nous aider à cerner le phénomène localement.
Peut-on chiffrer l’enjeu ?
Oui, au moins pour l’eau : si on se base sur la consommation moyenne d’eau par famille, on peut dire que le manque de précipitation cette année va impacter l’économie de manière négative d’au moins 1,5 milliard de dollars. Mais cette question soulève un autre problème, celui du prix réel de l’eau douce. On sait aujourd’hui que la ressource se raréfie – de l’ordre de 5 à 35 % si la température augmente de 4 °C, selon les experts – en même temps que nos besoins, eux, augmentent : l’Onu table sur une augmentation de l’ordre de 30 % des besoins en eau d’ici à 2030. Dans ce contexte, quel est le prix réel de l’eau ? L’utilisation intensive pour l’agriculture a conduit à la baisse du niveau de la nappe phréatique et à des coûts de pompage plus élevés. Ce qui explique que son prix augmente. Pour l’heure, on vend le mètre cube entre 10 et 13 dollars avec une qualité sanitaire incertaine. Par comparaison, le même volume ne coûte que 1,40 euro dans le Jura, 3,45 euros à Paris.
Que peut-on faire pour lutter contre le réchauffement climatique au Liban ?
Pour lutter contre la désertification, l’une des priorités est, selon moi, d’étendre la zone verte permanente, c’est-à-dire l’espace dédié aux arbres ou aux arbustes qui permettrait, d’une part, de capturer le CO2 et de lutter contre le réchauffement climatique et, d’autre part, de fixer la terre, en empêchant notamment l’érosion des terres. Ne rêvons pas toutefois : il faudrait pour cela une stratégie d’ensemble, que l’on peine à imaginer au Liban. À défaut, il faut donc que chacun repense sa consommation des ressources, spécialement les filières de production qui sont grandes consommatrices d’eau, comme l’agriculture.
Comment l’agriculture peut-elle prendre en compte la raréfaction des ressources ?
Il faudrait défavoriser les cultures qui consomment trop d’eau. À titre personnel, j’ajoute au loyer de base de mes terrains un montant de l’ordre de 10 à 20 % supplémentaires selon les plantations qui y seront effectuées. La vigne et les vergers de noyers, deux cultures qui consomment peu d’eau, sont ainsi privilégiés, alors que je fais payer davantage à ceux qui produisent du fourrage ou du blé, des cultures prédatrices en matière d’eau… C’est une solution qui permet de tenir compte de “l’empreinte hydrique” de la production. Cette notion – que les Anglais nomment “water footprint” – permet de calculer le coût hydrique réel d’un produit ou d’un service de sa fabrication jusqu’à sa livraison au consommateur. Ainsi, on sait désormais qu’il faut 13 000 litres d’eau pour produire un kilo de viande de bœuf si on tient compte de l’ensemble de la chaîne de production, 4 000 litres pour fabriquer un tee-shirt, 140 litres pour un café.