Alors qu’il est jugé essentiel par l’ensemble des acteurs interrogés, car il devrait permettre à l’État libanais de faire des économies budgétaires substantielles, le projet d’approvisionnement du Liban en gaz est au point mort. Décryptage.
Officiellement, l’approvisionnement du Liban en gaz pour alimenter les principales centrales électriques du pays est une priorité absolue en raison des économies substantielles pour le Trésor public qu’elle induirait, sans parler de ses avantages écologiques. Mais si cette option est jugée stratégique depuis le début des années 1990, l’État n’est jamais passé à la mise en pratique. Un dossier qui reflète comme beaucoup d’autres l’incapacité totale des autorités à mettre en œuvre des investissements publics pour doter le pays en infrastructures les plus basiques.
Pourquoi importer du gaz ?
La décision de miser sur le gaz pour générer de l’électricité a été prise au lendemain de la guerre. Elle repose sur un double argument : écologique – c’est l’énergie fossile la plus propre, sachant que l’accroissement de la part des énergies renouvelables prend forcément du temps – et économique, c’est l’un des carburants les moins chers. Sur cette base, les deux principales centrales du pays construites au milieu des années 1990 ont été conçues pour fonctionner au gaz, à Deir Amar dans le Nord et Zahrani dans le Sud (470 mégawatts chacune). À elles deux, ces centrales représentent plus de la moitié de la capacité de production installée du Liban. Problème : à l’exception d’une courte période de quelques mois à travers le gazoduc terrestre arabe le reliant à la Syrie et l’Égypte, le Liban n’a jamais reçu de gaz. À défaut, les installations de Deir Amar et Zahrani ont fonctionné au gasoil, le carburant le plus coûteux du marché. Tandis que les autres centrales, plus anciennes, continuaient de brûler du fioul lourd, le carburant le plus polluant.
Même si d’autres facteurs importants interviennent aussi (vols, pertes techniques, etc.), une grande partie du déficit d’Électricité du Liban, qui pèse sur celui du budget de l’État libanais, est imputable à ce différentiel de coût de combustible, sachant qu’il n’a jamais été répercuté sur le prix de vente de l’électricité produite.
L’évaluation de ce surcoût est fonction de l’évolution des cours du brut. Plus ils sont élevés, plus la perte induite par l’usage du gasoil à la place du gaz est grande. En 2005, dans un entretien accordé à L’Orient-Le Jour, le ministre de l’Énergie de l’époque, Maurice Sehnaoui, évaluait déjà l’économie annuelle à 120 millions de dollars « chaque fois qu’une usine fonctionnant au fuel ou au mazout passe au gaz ».
Même lorsque les cours sont au plus bas, ce qui est le cas aujourd’hui, les pertes sont substantielles. Raymond Ghajar, professeur à la Lebanese American University de Jbeil et conseiller du ministère de l’Énergie, les évalue pour la seule centrale de Deir Amar à 150 millions de dollars par an minimum pour 2014 et autour de 70 millions de dollars cette année. Une évaluation qui concorde avec celle de la Banque mondiale parue dans un rapport daté d’avril 2015.
Des sommes de nature à permettre l’amortissement rapide d’une infrastructure d’importation de gaz naturel liquéfié (GNL) par voie maritime dont le coût est inférieur à cent millions de dollars : un choix validé il y a plusieurs années déjà mais qui n’a toujours pas été mis en œuvre.
Comment importer du gaz ?
Comme il est trop coûteux au regard de la demande libanaise de construire une centrale terrestre de regazéification, comme le gouvernement l’avait initialement envisagé dans son plan pour le secteur en 2010, et qu’une telle option n’est pas compatible avec la perspective que le Liban produise lui-même un jour du gaz (notamment offshore), la réflexion s’est orientée vers la location pour quelques années d’une plate-forme flottante de stockage et de regazéification (Floating Storage and Regazification Unit – FSRU). En 2005 déjà, il était question d’alimenter ainsi la centrale de Zahrani tandis que celle de Deir Amar devait être approvisionnée par le gazoduc terrestre venant de Syrie, avant que cette option ne soit abandonnée successivement par la détérioration des relations avec Damas après 2005, les attentats contre le gazoduc égyptien dans le Sinaï en 2011, puis la guerre en Syrie.
« Le FSRU est l’option la plus rapide et la moins chère pour approvisionner le Liban en gaz naturel et c’est la solution qui immobilise le moins de capital au démarrage », confirme un expert.
La Jordanie y a notamment eu recours. Quelque 90 % de son gaz lui était fourni par l’Égypte avant 2011. Mais les interruptions liées aux attentats à répétition contre le gazoduc du Sinaï l’ont amenée à décider en 2013 de bâtir un terminal d’importation de GNL. Moins de deux ans plus tard, celui-ci a démarré ses opérations en juillet 2015.
Pour la Banque mondiale, une plate-forme FSRU reste « le meilleur moyen technique et financier pour alimenter le Liban en gaz à court et moyen terme, et il faudrait que le Liban puisse bénéficier dans les meilleurs délais des économies potentielles liées à une telle option ». Elle a commandé dès 2009-2010 à Poten & Partners spécialisé en matière de GNL une étude en ce sens pour le compte du ministère de l’Énergie. La Banque mondiale a même offert un instrument de garantie partielle du risque lié à l’investissement dans un FSRU. Six ans plus tard, le projet est encore dans les limbes. « C’est du gâchis », commente Houssam Beides, chef de programme au bureau de Beyrouth de la Banque mondiale, chargé des questions énergétiques.
Adjudication avortée
Une adjudication a pourtant eu lieu. Le plan pour le secteur énergétique élaboré par le ministre Gebran Bassil et approuvé par le Conseil des ministres en 2010 ayant opté pour l’agrandissement de la centrale de Deir Amar avant celle de Zahrani, à travers l’installation de 538 MW additionnels sur ce site, Poten & Partners a épaulé le ministère pour le lancement d’un double appel d’offres pour l’installation d’un FSRU en face de Deir Amar et la livraison de GNL.
Treize compagnies ont répondu à l’adjudication pour livrer du GNL et quatre d’entre elles ont fait une offre pour la construction d’une plate-forme flottante dont le coût était alors estimé à quelque 200 millions de dollars. Le dépôt des offres était prévu pour le 23 janvier 2014 ; la sélection devait être réalisée en partenariat avec le cabinet Poten & Partners et les travaux étaient censés durer 18 mois. Le processus a cependant été interrompu par la formation d’un nouvel exécutif dirigé par Tammam Salam début 2014. Des “irrégularités” auraient aussi été signalées par Poten & Partners, selon un connaisseur du dossier qui a requis l’anonymat. Le cabinet américain n’a pas souhaité donner suite à une demande d’entretien.
En parallèle, alors qu’après plusieurs péripéties la construction d’une deuxième unité de production sur le site de Deir Amar est attribuée à la société J&P Avax en avril 2013, la mise en œuvre du projet est elle aussi interrompue pour une sombre histoire de TVA impayée (voir Le Commerce du Levant de mars 2015) : résultat, les turbines commandées à General Electric ont été revendues en Égypte et l’augmentation de 20 % de la capacité de production du réseau libanais reportée sine die. Le Premier ministre a récemment décidé de se poser en médiateur entre les ministères de l’Énergie et des Finances pour trouver une solution, mais rien n’a été tranché jusqu’à présent.
Un comité interministériel a de son côté été chargé de réactiver le dossier de la plate-forme FSRU. « Nous avons remis notre rapport début 2015, mais il n’a toujours pas été examiné, ni même mis à l’ordre du jour du Conseil des ministres », déplore l’un des membres du comité, le ministre d’État pour la Réforme administrative Nabil de Freige. L’une des recommandations consiste notamment à modifier le cahier des charges pour en corriger certaines clauses – notamment la pénalité de retard destinée à favoriser le candidat s’engageant à la livraison la plus rapide – et surtout de combiner les deux appels d’offres précédents en un : à charge pour chaque candidat d’offrir le meilleur prix au MMBTU livré (unité calorifique).
Ce projet reste « une priorité », déclare de son côté César Abi Khalil, conseiller du ministre de l’Énergie. Quelle que soit l’impatience affichée des uns et des autres, « le dossier est au point mort », dit-on de source informée, victime comme d’autres de l’instrumentalisation des institutions libanaises par une oligarchie très soucieuse d’obtenir des parts juteuses du gâteau des adjudications publiques.
Qu’est-ce qui bloque ?
Malgré la dizaine d’entretiens réalisés pour tenter de démêler les fils de ce dossier, il est difficile d’apporter une réponse tranchée à cette question, les clivages “politiques” étant traduits par des considérations techniques.
L’une d’elles porte sur le choix de la localisation du FSRU. Il y a déjà deux ports pétroliers au Liban : l’un près de Tripoli pour alimenter la centrale de Deir Amar et l’autre à Saïda pour alimenter celle de Zahrani. Techniquement, la localisation dans le Nord est plus avantageuse, car le tirant d’eau y est naturellement profond et il n’y a pas besoin d’y construire un gazoduc marin ainsi qu’un brise-lames comme à Zahrani pour un coût additionnel estimé à 100 millions de dollars. En revanche, depuis la guerre ouverte en Syrie, l’emplacement de Tripoli offrirait moins de garanties en termes de sécurité et de stabilité que celui de Zahrani.
Autre facteur à prendre en compte : l’importance de la demande dans chacune des configurations, sachant que le coût du FSRU est d’autant plus réduit que sa capacité est élevée. C’est la raison pour laquelle, dans un premier rapport, Poten & Partners avait initialement préconisé l’installation d’un FSRU à Zahrani, le gouvernement de l’époque ayant alors un projet d’expansion pour la centrale du Sud financé par des investissements privés. Mais lorsque le plan Bassil adopté par le gouvernement en 2010 opte finalement pour agrandir d’abord Deir Amar, sur fonds publics, le cabinet américain accompagne cette évolution : cela fait davantage sens économiquement de fournir du gaz à une centrale d’une capacité globale d’environ 1 000 MW (soit 470 Deir Amar I et + 540 Deir Amar II) que 470 MW à Zahrani.
D’autant que le plan du gouvernement prévoyait de coupler l’installation d’une plate-forme FSRU à la construction d’un gazoduc côtier de 173 kilomètres destiné à relier Deir Amar à Zahrani, en passant par les centrales situées le long du littoral, mais aussi les installations industrielles telles que les cimenteries.
Quelque 19 sociétés ont été présélectionnées fin 2010 pour participer à l’appel d’offres pour la construction de ce gazoduc, décidée en Conseil des ministres, dont le coût était alors estimé à au moins 450 millions de dollars. La loi de financement devant lancer ce chantier n’a toutefois pas été votée et l’investissement public interrompu.
Or la pertinence de ce gazoduc est désormais remise en question. Les recommandations du comité interministériel constitué sur le dossier du FSRU se résument en deux points principaux. L’une d’elles est de juger infaisable le projet de gazoduc au motif qu’il est censé emprunter en grande partie le tracé du chemin de fer situé sur le domaine public de l’État, alors qu’il est question de relancer la mise en œuvre d’un transport ferroviaire. Ce qui l’amène à proposer deux plates-formes FSRU, l’une à Zahrani et l’autre à Deir Amar, au lieu d’une qui alimenterait toutes les autres par gazoduc. Les partisans de l’option des deux FSRU tablent sur la disponibilité sur le marché de terminaux en mesure de satisfaire des demandes plus faibles. À Malte par exemple, un FSRU a été installé pour une capacité de 350 MW seulement. Même si le coût unitaire du MMBTU livré (unité calorifique) est plus élevé dans ce genre de configuration.
D’autres personnes interrogées, sans aller jusqu’à contester le principe du gazoduc, soulignent le coût élevé d’un tel projet d’infrastructure étant donné l’obligation quasi certaine – liée à la densité de la population sur le littoral – de bâtir un ou plusieurs tronçons importants en mer plutôt que sur la terre ferme.
En revanche, pour César Abi Khalil, du ministère de l’Énergie, le projet du gazoduc reste une nécessité liée au besoin de connecter un maximum d’unités de production à la plate-forme qui fournira du gaz, car plus la demande est grande plus les coûts d’alimentation seront intéressants selon lui.
Interrogé sous couvert d’anonymat, un expert indépendant des sociétés fournissant ces équipements aux contrats juteux, ainsi que des lobbys politiques aux intérêts clientélistes directement liés aux choix géographiques, souligne que ces tergiversations coûtent avant tout très cher aux Libanais. L’installation d’un FSRU à Deir Amar est selon lui une priorité, à condition de l’assortir de la réactivation de l’expansion de la centrale – car l’expansion de celle de Zahrani prendra forcément plus de temps. « Il sera possible entre-temps de décider de doter Zahrani d’un deuxième FSRU ou de construire un gazoduc côtier. Il est même possible de lancer les deux chantiers : un FSRU à Zahrani, un gazoduc limité au tronçon le plus méridional entre Deir Amar et Zouk, ce qui permettrait de fournir du gaz à cette centrale et à la zone industrielle de Chekka. »
Pourquoi importer du gaz ?
La décision de miser sur le gaz pour générer de l’électricité a été prise au lendemain de la guerre. Elle repose sur un double argument : écologique – c’est l’énergie fossile la plus propre, sachant que l’accroissement de la part des énergies renouvelables prend forcément du temps – et économique, c’est l’un des carburants les moins chers. Sur cette base, les deux principales centrales du pays construites au milieu des années 1990 ont été conçues pour fonctionner au gaz, à Deir Amar dans le Nord et Zahrani dans le Sud (470 mégawatts chacune). À elles deux, ces centrales représentent plus de la moitié de la capacité de production installée du Liban. Problème : à l’exception d’une courte période de quelques mois à travers le gazoduc terrestre arabe le reliant à la Syrie et l’Égypte, le Liban n’a jamais reçu de gaz. À défaut, les installations de Deir Amar et Zahrani ont fonctionné au gasoil, le carburant le plus coûteux du marché. Tandis que les autres centrales, plus anciennes, continuaient de brûler du fioul lourd, le carburant le plus polluant.
Même si d’autres facteurs importants interviennent aussi (vols, pertes techniques, etc.), une grande partie du déficit d’Électricité du Liban, qui pèse sur celui du budget de l’État libanais, est imputable à ce différentiel de coût de combustible, sachant qu’il n’a jamais été répercuté sur le prix de vente de l’électricité produite.
L’évaluation de ce surcoût est fonction de l’évolution des cours du brut. Plus ils sont élevés, plus la perte induite par l’usage du gasoil à la place du gaz est grande. En 2005, dans un entretien accordé à L’Orient-Le Jour, le ministre de l’Énergie de l’époque, Maurice Sehnaoui, évaluait déjà l’économie annuelle à 120 millions de dollars « chaque fois qu’une usine fonctionnant au fuel ou au mazout passe au gaz ».
Même lorsque les cours sont au plus bas, ce qui est le cas aujourd’hui, les pertes sont substantielles. Raymond Ghajar, professeur à la Lebanese American University de Jbeil et conseiller du ministère de l’Énergie, les évalue pour la seule centrale de Deir Amar à 150 millions de dollars par an minimum pour 2014 et autour de 70 millions de dollars cette année. Une évaluation qui concorde avec celle de la Banque mondiale parue dans un rapport daté d’avril 2015.
Des sommes de nature à permettre l’amortissement rapide d’une infrastructure d’importation de gaz naturel liquéfié (GNL) par voie maritime dont le coût est inférieur à cent millions de dollars : un choix validé il y a plusieurs années déjà mais qui n’a toujours pas été mis en œuvre.
Comment importer du gaz ?
Comme il est trop coûteux au regard de la demande libanaise de construire une centrale terrestre de regazéification, comme le gouvernement l’avait initialement envisagé dans son plan pour le secteur en 2010, et qu’une telle option n’est pas compatible avec la perspective que le Liban produise lui-même un jour du gaz (notamment offshore), la réflexion s’est orientée vers la location pour quelques années d’une plate-forme flottante de stockage et de regazéification (Floating Storage and Regazification Unit – FSRU). En 2005 déjà, il était question d’alimenter ainsi la centrale de Zahrani tandis que celle de Deir Amar devait être approvisionnée par le gazoduc terrestre venant de Syrie, avant que cette option ne soit abandonnée successivement par la détérioration des relations avec Damas après 2005, les attentats contre le gazoduc égyptien dans le Sinaï en 2011, puis la guerre en Syrie.
« Le FSRU est l’option la plus rapide et la moins chère pour approvisionner le Liban en gaz naturel et c’est la solution qui immobilise le moins de capital au démarrage », confirme un expert.
La Jordanie y a notamment eu recours. Quelque 90 % de son gaz lui était fourni par l’Égypte avant 2011. Mais les interruptions liées aux attentats à répétition contre le gazoduc du Sinaï l’ont amenée à décider en 2013 de bâtir un terminal d’importation de GNL. Moins de deux ans plus tard, celui-ci a démarré ses opérations en juillet 2015.
Pour la Banque mondiale, une plate-forme FSRU reste « le meilleur moyen technique et financier pour alimenter le Liban en gaz à court et moyen terme, et il faudrait que le Liban puisse bénéficier dans les meilleurs délais des économies potentielles liées à une telle option ». Elle a commandé dès 2009-2010 à Poten & Partners spécialisé en matière de GNL une étude en ce sens pour le compte du ministère de l’Énergie. La Banque mondiale a même offert un instrument de garantie partielle du risque lié à l’investissement dans un FSRU. Six ans plus tard, le projet est encore dans les limbes. « C’est du gâchis », commente Houssam Beides, chef de programme au bureau de Beyrouth de la Banque mondiale, chargé des questions énergétiques.
Adjudication avortée
Une adjudication a pourtant eu lieu. Le plan pour le secteur énergétique élaboré par le ministre Gebran Bassil et approuvé par le Conseil des ministres en 2010 ayant opté pour l’agrandissement de la centrale de Deir Amar avant celle de Zahrani, à travers l’installation de 538 MW additionnels sur ce site, Poten & Partners a épaulé le ministère pour le lancement d’un double appel d’offres pour l’installation d’un FSRU en face de Deir Amar et la livraison de GNL.
Treize compagnies ont répondu à l’adjudication pour livrer du GNL et quatre d’entre elles ont fait une offre pour la construction d’une plate-forme flottante dont le coût était alors estimé à quelque 200 millions de dollars. Le dépôt des offres était prévu pour le 23 janvier 2014 ; la sélection devait être réalisée en partenariat avec le cabinet Poten & Partners et les travaux étaient censés durer 18 mois. Le processus a cependant été interrompu par la formation d’un nouvel exécutif dirigé par Tammam Salam début 2014. Des “irrégularités” auraient aussi été signalées par Poten & Partners, selon un connaisseur du dossier qui a requis l’anonymat. Le cabinet américain n’a pas souhaité donner suite à une demande d’entretien.
En parallèle, alors qu’après plusieurs péripéties la construction d’une deuxième unité de production sur le site de Deir Amar est attribuée à la société J&P Avax en avril 2013, la mise en œuvre du projet est elle aussi interrompue pour une sombre histoire de TVA impayée (voir Le Commerce du Levant de mars 2015) : résultat, les turbines commandées à General Electric ont été revendues en Égypte et l’augmentation de 20 % de la capacité de production du réseau libanais reportée sine die. Le Premier ministre a récemment décidé de se poser en médiateur entre les ministères de l’Énergie et des Finances pour trouver une solution, mais rien n’a été tranché jusqu’à présent.
Un comité interministériel a de son côté été chargé de réactiver le dossier de la plate-forme FSRU. « Nous avons remis notre rapport début 2015, mais il n’a toujours pas été examiné, ni même mis à l’ordre du jour du Conseil des ministres », déplore l’un des membres du comité, le ministre d’État pour la Réforme administrative Nabil de Freige. L’une des recommandations consiste notamment à modifier le cahier des charges pour en corriger certaines clauses – notamment la pénalité de retard destinée à favoriser le candidat s’engageant à la livraison la plus rapide – et surtout de combiner les deux appels d’offres précédents en un : à charge pour chaque candidat d’offrir le meilleur prix au MMBTU livré (unité calorifique).
Ce projet reste « une priorité », déclare de son côté César Abi Khalil, conseiller du ministre de l’Énergie. Quelle que soit l’impatience affichée des uns et des autres, « le dossier est au point mort », dit-on de source informée, victime comme d’autres de l’instrumentalisation des institutions libanaises par une oligarchie très soucieuse d’obtenir des parts juteuses du gâteau des adjudications publiques.
Qu’est-ce qui bloque ?
Malgré la dizaine d’entretiens réalisés pour tenter de démêler les fils de ce dossier, il est difficile d’apporter une réponse tranchée à cette question, les clivages “politiques” étant traduits par des considérations techniques.
L’une d’elles porte sur le choix de la localisation du FSRU. Il y a déjà deux ports pétroliers au Liban : l’un près de Tripoli pour alimenter la centrale de Deir Amar et l’autre à Saïda pour alimenter celle de Zahrani. Techniquement, la localisation dans le Nord est plus avantageuse, car le tirant d’eau y est naturellement profond et il n’y a pas besoin d’y construire un gazoduc marin ainsi qu’un brise-lames comme à Zahrani pour un coût additionnel estimé à 100 millions de dollars. En revanche, depuis la guerre ouverte en Syrie, l’emplacement de Tripoli offrirait moins de garanties en termes de sécurité et de stabilité que celui de Zahrani.
Autre facteur à prendre en compte : l’importance de la demande dans chacune des configurations, sachant que le coût du FSRU est d’autant plus réduit que sa capacité est élevée. C’est la raison pour laquelle, dans un premier rapport, Poten & Partners avait initialement préconisé l’installation d’un FSRU à Zahrani, le gouvernement de l’époque ayant alors un projet d’expansion pour la centrale du Sud financé par des investissements privés. Mais lorsque le plan Bassil adopté par le gouvernement en 2010 opte finalement pour agrandir d’abord Deir Amar, sur fonds publics, le cabinet américain accompagne cette évolution : cela fait davantage sens économiquement de fournir du gaz à une centrale d’une capacité globale d’environ 1 000 MW (soit 470 Deir Amar I et + 540 Deir Amar II) que 470 MW à Zahrani.
D’autant que le plan du gouvernement prévoyait de coupler l’installation d’une plate-forme FSRU à la construction d’un gazoduc côtier de 173 kilomètres destiné à relier Deir Amar à Zahrani, en passant par les centrales situées le long du littoral, mais aussi les installations industrielles telles que les cimenteries.
Quelque 19 sociétés ont été présélectionnées fin 2010 pour participer à l’appel d’offres pour la construction de ce gazoduc, décidée en Conseil des ministres, dont le coût était alors estimé à au moins 450 millions de dollars. La loi de financement devant lancer ce chantier n’a toutefois pas été votée et l’investissement public interrompu.
Or la pertinence de ce gazoduc est désormais remise en question. Les recommandations du comité interministériel constitué sur le dossier du FSRU se résument en deux points principaux. L’une d’elles est de juger infaisable le projet de gazoduc au motif qu’il est censé emprunter en grande partie le tracé du chemin de fer situé sur le domaine public de l’État, alors qu’il est question de relancer la mise en œuvre d’un transport ferroviaire. Ce qui l’amène à proposer deux plates-formes FSRU, l’une à Zahrani et l’autre à Deir Amar, au lieu d’une qui alimenterait toutes les autres par gazoduc. Les partisans de l’option des deux FSRU tablent sur la disponibilité sur le marché de terminaux en mesure de satisfaire des demandes plus faibles. À Malte par exemple, un FSRU a été installé pour une capacité de 350 MW seulement. Même si le coût unitaire du MMBTU livré (unité calorifique) est plus élevé dans ce genre de configuration.
D’autres personnes interrogées, sans aller jusqu’à contester le principe du gazoduc, soulignent le coût élevé d’un tel projet d’infrastructure étant donné l’obligation quasi certaine – liée à la densité de la population sur le littoral – de bâtir un ou plusieurs tronçons importants en mer plutôt que sur la terre ferme.
En revanche, pour César Abi Khalil, du ministère de l’Énergie, le projet du gazoduc reste une nécessité liée au besoin de connecter un maximum d’unités de production à la plate-forme qui fournira du gaz, car plus la demande est grande plus les coûts d’alimentation seront intéressants selon lui.
Interrogé sous couvert d’anonymat, un expert indépendant des sociétés fournissant ces équipements aux contrats juteux, ainsi que des lobbys politiques aux intérêts clientélistes directement liés aux choix géographiques, souligne que ces tergiversations coûtent avant tout très cher aux Libanais. L’installation d’un FSRU à Deir Amar est selon lui une priorité, à condition de l’assortir de la réactivation de l’expansion de la centrale – car l’expansion de celle de Zahrani prendra forcément plus de temps. « Il sera possible entre-temps de décider de doter Zahrani d’un deuxième FSRU ou de construire un gazoduc côtier. Il est même possible de lancer les deux chantiers : un FSRU à Zahrani, un gazoduc limité au tronçon le plus méridional entre Deir Amar et Zouk, ce qui permettrait de fournir du gaz à cette centrale et à la zone industrielle de Chekka. »
La Jordanie s’est dotée d’une infrastructure gazière en quelques mois Alors que le Liban a commencé à s’intéresser à l’importation de gaz à travers une plate-forme flottante de stockage et de regazéification (Floating Storage and Regazification Unit – FSRU) bien avant la Jordanie, cette dernière a mis quelques mois à s’équiper d’une infrastructure similaire, opérationnelle depuis l’été 2015 dans le port d’Aqaba. « Les économies réalisées sont d’ores et déjà substantielles », affirme Houssam Beides, de la Banque mondiale. En 2014, 80 % des emprunts du gouvernement jordanien étaient destinés à renflouer la compagnie nationale d’électricité Nepco dont la facture énergétique avait flambé depuis que des attentats dans le Sinaï ont interrompu l’importation de gaz égyptien. La Jordanie, qui importe la quasi-totalité de ses besoins énergétiques, avait alors été obligée de recourir au gasoil et au fioul lourd à la place du gaz. C’est un consortium jordano-néerlandais (MAG et BAM International) qui a remporté le contrat de 65,6 millions de dollars en décembre 2013 pour installer dans le port d’Aqaba cette nouvelle plate-forme sur une période de dix ans. Fournie par le norvégien Golar LNG, elle a une capacité de stockage de 160 000 m3 et pourra livrer jusqu’à 500 MMSCFD (Million Standard Cubic Feet Per Day), l’unité de mesure communément utilisée en matière de GNL. De premiers contrats de livraison de gaz ont été signés début 2015 avec Royal Dutch Shell pour fournir 150 millions de pieds cubes de GNL par jour sur les cinq prochaines années. Shell a en outre remporté en octobre un appel d’offres pour fournir à Nepco pendant deux ans de quoi assurer 40 % de ses besoins, soit 59,13 mille milliards de BTU (un BTU = 1 000 pieds cubes). La compagnie nationale jordanienne prévoit en outre de satisfaire 20 % de ses besoins sur le marché spot du GNL en 2016 et 2017 dont les cours sont bas actuellement. Le gaz approvisionne les centrales électriques du pays dont la capacité totale devrait être portée à 5 000 MW d’ici à 2018 et le ministre de l’Énergie a annoncé en novembre sa volonté de livrer aussi du gaz au secteur industriel qui consomme 25 % de l’électricité du royaume et 20 % de ses ressources énergétiques. |