Le gouvernement a décidé fin juin d’une diminution du salaire minimum des journaliers. Cette baisse doit faire l’objet d’un recours devant le Conseil d’État dans les prochaines semaines.

La Fédération nationale des syndicats des ouvriers et des employés du Liban (Fenasol) doit présenter un recours devant le Conseil d’État pour demander l’annulation du décret (n° 3791), adopté le 30 juin dernier, par le gouvernement. Ce dernier a décidé de baisser le salaire minimum des journaliers, fixé par décret (n° 7426) en janvier 2012. Le taux “plancher” est aujourd’hui ramené à 26 000 livres (17,34 dollars) par jour de travail effectif contre 30 000 livres (20 dollars) précédemment. Soit une baisse de 4 000 livres ou d’un peu plus de 13 %.
« La baisse, décidée sans aucune négociation avec les partenaires sociaux et sans prendre en compte l’indice de cherté des prix à la consommation, constitue un précédent grave si elle n’est pas annulée. La décision gouvernementale est un premier coup de boutoir porté à l’existence même des minima sociaux, qui protègent les salariés les plus précaires. Cela a une portée bien plus grande que la seule problématique des journaliers », défend-on à la Fenasol.
En 2012, le ministre du Travail ne s’était pas contenté de relever le smic journalier. Il avait réajusté l’ensemble des minima sociaux. Le salaire minimum mensuel était passé à 675 000 livres (450 dollars). Ce montant mensuel n’est pas aujourd’hui affecté par la réduction de la base journalière.

Pourquoi cette baisse aujourd’hui ?

À l’origine, en 2012, lorsque la revalorisation des minima sociaux a été décidée, le ministre du Travail a choisi d’intégrer la précarité du statut des journaliers dans son mode de calcul. « Les journaliers n’ont pas de congé payé. S’ils tombent malades, leur arrêt maladie est sans solde. Les jours fériés ou les jours de repos hebdomadaires ne leur sont pas non plus rétribués... Nous avons donc décidé de prendre en compte l’insécurité contractuelle et économique subie et de la “compenser” en leur attribuant un salaire journalier qui intègre la réalité des conditions de travail de ces salariés précaires », a expliqué Charbel Nahas, lors d’une conférence au club laïque de l’Université américaine de Beyrouth, courant juillet. L’ancien ministre du Travail a ainsi choisi de tabler sur une moyenne de 276 jours ouvrés par an pour un contrat à durée indéterminée, soit une base de calcul de 23 jours ouvrés par mois.
« Nous avions alors obtenu une base de 36 200 livres, laquelle devait inclure les indemnités de transport. Après négociations entre les différentes parties, le gouvernement a finalement décidé de ne pas inclure les indemnités de transport dans le calcul du salaire, et le salaire journalier minimum a été fixé à 30 000 livres libanaises, soit 675 000 livres divisées par 23. » L’augmentation est alors entrée en vigueur jusqu’à sa contestation cette année.

Quelle est la justification de l’actuel ministre du Travail ?

Pour justifier d’une telle baisse, le gouvernement assure qu’il s’agit là de la simple rectification d’une erreur dans le mode de calcul, commise lors de la rédaction du décret de 2012. L’actuel ministre du Travail, Sejaan Azzi, justifie la démarche de ses services en s’appuyant sur l’avis consultatif du Conseil d’État ainsi que sur celui du Comité de législation et de consultation du ministère de la Justice, qui tous deux donneraient raison à son bureau, assure-t-il.
Le premier, l’avis du Comité de législation et de consultation, qui remonte à 2012, n’évoque pourtant pas le salaire minimum journalier. Il répond à des questions d’application et d’interprétation de certaines dispositions du décret n° 3426, posées à l’époque par le ministère de l’Énergie et de l’Eau, et sans rapport avec le minimum journalier. Quant aux deux erreurs mentionnées dans cet avis, la première porte sur le nom erroné du ministre, la seconde sur la confusion entre deux dates possibles d’entrée en vigueur du décret. Le second avis, celui du Conseil d’État, publié en 2015, approuve, quant à lui, la formulation du nouveau projet du décret du ministère du Travail sans se prononcer sur le décret 2012.
La contestation du mode de calcul apparaît en revanche dans les attendus de la demande de réduction du salaire minimum des journaliers présentée en Conseil des ministres, datant du 22 juin 2016, et que Le Commerce du Levant a également pu consulter. Pour contester la validité de la hausse de 2012, les services du ministère du Travail s’appuient sur la loi n° 36 du 16 mai 1967, qui fixe à 26 “tout au plus” le nombre de jours travaillés par mois. Le salaire minimum mensuel étant de 675 000 livres, cela reviendrait à un salaire horaire de 26 000 livres.
« Il ne s’agit pas là d’une erreur de calcul, mais d’une base de calcul différente que le gouvernement tente ici d’imposer. Même si l’on s’en tient à la loi de 1967, pour fixer le salaire minimum, ce “tout au plus” de 26 jours dit bien qu’il s’agit d’un seuil maximum et que l’on peut de fait le calculer sur un nombre réduit de jours ouvrés », reprend Mireille Najm Checrallah.

La diminution est-elle légale ?

Étant donné que l’impact financier de la mesure n’est même pas communiqué, les motivations exactes du ministère du Travail restent floues. Certains spécialistes des relations du travail au Liban dénoncent une simple position “idéologique” favorable au patronat.
Quoi qu’il en soit, la question de la légalité de la décision gouvernementale se pose en tout cas : le Liban a ratifié différentes conventions, en particulier la convention 131 du Bureau international du travail, qui dans son article 2 prohibe une diminution des minima sociaux. De même que différentes conventions arabes, dont le Liban est aussi signataire, comme celle relative à la détermination et à la protection des salaires (1963). « Selon ces conventions, la détermination du salaire doit aussi se faire selon un principe de justice sociale et d’égalité, tous deux consacrés par la Constitution libanaise », rappelle Mireille Najm Checrallah. C’est d’ailleurs en partie sur cette base que le syndicat Fenasol va déposer un recours devant le Conseil d’État pour annulation d’une décision qu’il considère comme illégale.

Qui est concerné par la baisse du salaire minimum ?

La baisse concerne le salaire des journaliers « soumis au code du travail ». Ce qui exclut les journaliers des entreprises agricoles ou les employés domestiques, dont la protection dépend du code des obligations et des contrats. Le décret, publié en juin (comme d’ailleurs celui de 2012 qu’il amende), ne spécifie pas, en revanche, les catégories de “journaliers” concernés. Ce flou n’est d’ailleurs pas propre à ces deux décrets : même s’ils l’apparentent à des employés “temporaires” ni le code du travail ni la nomenclature de la Caisse nationale de Sécurité sociale (CNSS) n’en donnent une définition précise et toute la question est de savoir qui sont les journaliers.

Les contractuels des établissements publics
Dans les jours qui ont suivi l’annonce de la baisse, certaines catégories de salariés, en particulier les journaliers de l’État (souvent désignés sous le terme de “contractuels”) se sont inquiétés des conséquences de cette décision sur leur porte-monnaie. Le gouvernement a bien tenté de les rassurer, jurant que ni les journaliers d’Électricité du Liban (EDL) ni ceux des Offices des eaux, du Casino du Liban ou de la Middle East Airlines n’avaient à s’inquiéter.
« Ils ne sont pas concernés », a-t-on pu lire dans un communiqué du ministère de l’Énergie et de l’Eau, dont les services sont de grands utilisateurs de travailleurs précaires. « Il semble que la situation des “journaliers”, employés par les établissements publics, rattachés au ministère de l’Énergie et de l’Eau, ait été régularisée : ils sont désormais pour la plupart inscrits auprès de la CNSS », rappelle l’avocate Mireille Najm Checrallah.

Les contrats courts
Davantage que les contractuels des administrations, la baisse touche les “travailleurs à la demande”, payés à la journée : garçons ou serveurs dans l’hôtellerie et la restauration, travailleurs à la demande sur les chantiers, dans les imprimeries ou dans les ports… « Tous ceux dont le recrutement répond à une hausse ponctuelle de l’activité de l’entreprise, et qui sont payés, dans la pratique, par jour effectif de travail », explique Mireille Najm Checrallah. Ces emplois touchent en particulier les jeunes, les étrangers et les postes les moins qualifiés.

Combien sont-ils ?
Impossible de donner un chiffre au Liban : aucune étude n’a jamais recensé le pourcentage de précaires par rapport aux permanents. Dans les pays industrialisés, on estime que l’emploi précaire (CDD compris) représente 10 à 20 % du total. Parmi eux, les contrats courts (intérimaires, saisonniers, extra…) comptent pour environ 5 %. Sur cette base, on peut estimer que les contrats courts concernent au Liban quelque 150 000 employés, sans cependant être en mesure de distinguer ceux qui sont rémunérés au mois de ceux qui sont payés à la journée. Cette estimation recoupe différentes statistiques trouvées dans des études et rapports traitant des précaires au Liban.