Cinq mois après l’adoption en Conseil des ministres d’un plan de sortie de crise, un groupe d’irréductibles continue de s’opposer à la “solution du tout décharge”. En bloquant le chantier de Bourj Hammoud, ils ont grippé la machine.
Après une crise qui avait duré huit mois, les Libanais, résignés, avaient opté pour la fuite en avant en acceptant le plan temporaire adopté par le gouvernement le 12 mars dernier. Celui-ci prévoit de remplacer l’ancienne décharge de Naamé (dont la fermeture a déclenché la crise de l’année dernière) par deux nouvelles décharges côtières, remblayées sur la mer : Bourj Hammoud-Jdeidé et Costa Brava, près de Choueifate. Mais quelques jours après le démarrage des travaux, un groupe de militants, soutenus par le parti Kataëb, ont décidé de manifester leur opposition à un plan que la plupart des associations jugent indigne, en bloquant le chantier de la décharge prévue à Bourj Hammoud-Jdeidé.
Dans ce contexte, la municipalité concernée – soutenue, elle, par le parti Tachnag – a décidé de fermer l’accès à l’aire où sont temporairement stockés les déchets, en attendant la reprise des travaux. Au lieu de trouver une alternative (comme l’aire de stockage de Costa Brava par exemple), le gouvernement a laissé les déchets s’amonceler dans les rues de Beyrouth et d’une partie du Mont-Liban, sans doute pour briser la résistance en jouant sur l’effet de ras-le-bol de la population, et des municipalités incapables de traiter elles-mêmes leurs déchets alors que cette responsabilité leur revient légalement.
La stratégie du pourrissement avait déjà été adoptée à l’été 2015 et avait permis au gouvernement de faire passer une “solution” que manifestants et associations avaient passé des mois à critiquer en vain, avant de renoncer.
La construction des infrastructures nécessaires pour les nouvelles décharges (brise-lames en mer, remblaiement, cellules sanitaires…) a été confiée à deux sociétés privées à l’issue d’un appel d’offres géré par le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR). Le contrat de Bourj Hammoud, qui prévoit également le traitement de la montagne de déchets héritée de la guerre, a été attribué à l’entreprise Dany Khoury pour un montant d’environ 110 millions de dollars. Quant à l’appel d’offres de Costa Brava, il a été remporté une première fois par Aljihad Group for Commerce and Contracting, de l’homme d’affaires Jihad el-Arab, puis annulé au vu des offres financières largement inférieures obtenues pour Bourj Hammoud (à périmètre égal). Un deuxième appel d’offres a donc été organisé et remporté encore une fois par Jihad el-Arab, pour un montant estimé à 60 millions de dollars.
Un tri limité
Malgré les mises en garde exprimées dès avril par le syndicat des pilotes, sur les risques que pose pour l’aviation la construction d’une décharge près de l’aéroport de Beyrouth, les travaux ont débuté sur le site de Costa Brava en août et devaient s’achever en octobre, selon le ministre chargé du dossier, Akram Chehayeb.
À Bourj Hammoud, en revanche, le chantier a été bloqué à la mi-août par des partisans des Kataëb et de certains mouvements écologistes. Leurs arguments sont les mêmes que ceux avancés par la société civile tout au long de la crise de 2015, et que le gouvernement a sciemment décidé d’ignorer. Il s’agit de rejeter une solution qui repose à plus de 80 % sur l’enfouissement des déchets, avec un recyclage et un compostage très limités. Dans une conférence de presse tenue le 17 août, le chef des Kataëb, Samy Gemayel, a affirmé que les nuisances engendrées par l’enfouissement massif des déchets à Bourj Hammoud impacteraient près de 350 000 habitants du Metn.
Pour limiter le recours aux décharges, il faut multiplier les centres de tri et de compostage, et responsabiliser les municipalités, a-t-il rappelé. Mais cette approche décentralisée réduirait le rôle du CDR qui continue à gérer le dossier, alors qu’il est depuis des décennies au centre du système d’attribution des marchés publics dans des conditions particulièrement opaques.
Malgré les nombreuses critiques dont il est l’objet, cet organisme a été chargé en mars d’organiser des appels d’offres pour le traitement des déchets d’une part, et pour la collecte et le balayage de l’autre, dans un délai de deux mois. Fin août, ni l’une ni l’autre n’avait abouti. La société de Mayssara Sukkar, Sukomi, continuait de gérer les centres de tri de la Quarantaine et celui de Coral, et de transporter les déchets emballés vers les aires de stockage temporaires, du moins celle de Costa Brava. Sa société sœur, Sukleen, continuait elle aussi de collecter partiellement les ordures et de balayer les rues.
En ce qui concerne le traitement, à l’heure de passer sous presse, le CDR n’avait communiqué aucune information sur la procédure. Selon le site spécialisé sur les sujets environnementaux GreenArea.me, trois entreprises étaient en lice et les cahiers des charges ne prévoient pas la construction de nouveaux centres de tri. Seule la capacité du centre de compostage du Coral devrait être augmentée de 300 à 750 tonnes par jour, mais sans que cela ait un impact significatif sur le niveau d’enfouissement.
Au niveau de la collecte et du balayage, le CDR a rendu public le 19 juillet le nom des entreprises sélectionnées sur le plan technique, mais l’ouverture des plis financiers n’avait toujours pas eu lieu. Deux entreprises distinctes devraient être choisies, la région du Mont-Liban ayant été divisée en deux grandes zones : d’une part, le Kesrouan et le Metn, et d’autre part, Baabda-Aley et le Chouf.
Beyrouth fait cavalier seul
La capitale, elle, n’est pas inclue dans ce projet, car la municipalité de Beyrouth a demandé à être exclue du plan gouvernemental. Pour la collecte des déchets, elle envisage de lancer son propre appel d’offres. Pour le traitement, elle penche pour une usine de transformation des déchets en énergie. Sa demande a été soumise au Conseil des ministres le 11 août, mais ce dernier en a confié l’étude à la commission chargée du dossier des déchets, présidée par Akram Chehayeb. Selon la chaîne LBCI, l’exécutif a jugé la demande “floue”. Ni la municipalité ni le Conseil des ministres n’ont précisé la technique envisagée (incinération ? pyrolyse ? gazéification ?), ou les coûts associés. À l’issue de la réunion, le ministre d’État pour la Réforme administrative, Nabil de Freige, a toutefois souligné que si l’option de la valorisation énergétique n’était pas validée, « les déchets de Beyrouth seraient acheminés sur les sites de Costa Brava et de Bourj Hammoud ».
La valorisation énergétique semble par ailleurs séduire aussi les régions du Chouf et de Aley. Dans le projet gouvernemental, une troisième décharge devait leur être trouvée. Mais un représentant de la municipalité de Aley, Fadi Chahib, a déclaré qu’un accord avait été trouvé avec le ministre Chehayeb pour la mise en place d’une usine de pyrolyse.
Ces inconnues pourraient être à l’origine du retard pris dans l’attribution des contrats de traitement, à moins que ce ne soit simplement les marchandages sur le partage du gâteau.
Dans ce contexte, la municipalité concernée – soutenue, elle, par le parti Tachnag – a décidé de fermer l’accès à l’aire où sont temporairement stockés les déchets, en attendant la reprise des travaux. Au lieu de trouver une alternative (comme l’aire de stockage de Costa Brava par exemple), le gouvernement a laissé les déchets s’amonceler dans les rues de Beyrouth et d’une partie du Mont-Liban, sans doute pour briser la résistance en jouant sur l’effet de ras-le-bol de la population, et des municipalités incapables de traiter elles-mêmes leurs déchets alors que cette responsabilité leur revient légalement.
La stratégie du pourrissement avait déjà été adoptée à l’été 2015 et avait permis au gouvernement de faire passer une “solution” que manifestants et associations avaient passé des mois à critiquer en vain, avant de renoncer.
La construction des infrastructures nécessaires pour les nouvelles décharges (brise-lames en mer, remblaiement, cellules sanitaires…) a été confiée à deux sociétés privées à l’issue d’un appel d’offres géré par le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR). Le contrat de Bourj Hammoud, qui prévoit également le traitement de la montagne de déchets héritée de la guerre, a été attribué à l’entreprise Dany Khoury pour un montant d’environ 110 millions de dollars. Quant à l’appel d’offres de Costa Brava, il a été remporté une première fois par Aljihad Group for Commerce and Contracting, de l’homme d’affaires Jihad el-Arab, puis annulé au vu des offres financières largement inférieures obtenues pour Bourj Hammoud (à périmètre égal). Un deuxième appel d’offres a donc été organisé et remporté encore une fois par Jihad el-Arab, pour un montant estimé à 60 millions de dollars.
Un tri limité
Malgré les mises en garde exprimées dès avril par le syndicat des pilotes, sur les risques que pose pour l’aviation la construction d’une décharge près de l’aéroport de Beyrouth, les travaux ont débuté sur le site de Costa Brava en août et devaient s’achever en octobre, selon le ministre chargé du dossier, Akram Chehayeb.
À Bourj Hammoud, en revanche, le chantier a été bloqué à la mi-août par des partisans des Kataëb et de certains mouvements écologistes. Leurs arguments sont les mêmes que ceux avancés par la société civile tout au long de la crise de 2015, et que le gouvernement a sciemment décidé d’ignorer. Il s’agit de rejeter une solution qui repose à plus de 80 % sur l’enfouissement des déchets, avec un recyclage et un compostage très limités. Dans une conférence de presse tenue le 17 août, le chef des Kataëb, Samy Gemayel, a affirmé que les nuisances engendrées par l’enfouissement massif des déchets à Bourj Hammoud impacteraient près de 350 000 habitants du Metn.
Pour limiter le recours aux décharges, il faut multiplier les centres de tri et de compostage, et responsabiliser les municipalités, a-t-il rappelé. Mais cette approche décentralisée réduirait le rôle du CDR qui continue à gérer le dossier, alors qu’il est depuis des décennies au centre du système d’attribution des marchés publics dans des conditions particulièrement opaques.
Malgré les nombreuses critiques dont il est l’objet, cet organisme a été chargé en mars d’organiser des appels d’offres pour le traitement des déchets d’une part, et pour la collecte et le balayage de l’autre, dans un délai de deux mois. Fin août, ni l’une ni l’autre n’avait abouti. La société de Mayssara Sukkar, Sukomi, continuait de gérer les centres de tri de la Quarantaine et celui de Coral, et de transporter les déchets emballés vers les aires de stockage temporaires, du moins celle de Costa Brava. Sa société sœur, Sukleen, continuait elle aussi de collecter partiellement les ordures et de balayer les rues.
En ce qui concerne le traitement, à l’heure de passer sous presse, le CDR n’avait communiqué aucune information sur la procédure. Selon le site spécialisé sur les sujets environnementaux GreenArea.me, trois entreprises étaient en lice et les cahiers des charges ne prévoient pas la construction de nouveaux centres de tri. Seule la capacité du centre de compostage du Coral devrait être augmentée de 300 à 750 tonnes par jour, mais sans que cela ait un impact significatif sur le niveau d’enfouissement.
Au niveau de la collecte et du balayage, le CDR a rendu public le 19 juillet le nom des entreprises sélectionnées sur le plan technique, mais l’ouverture des plis financiers n’avait toujours pas eu lieu. Deux entreprises distinctes devraient être choisies, la région du Mont-Liban ayant été divisée en deux grandes zones : d’une part, le Kesrouan et le Metn, et d’autre part, Baabda-Aley et le Chouf.
Beyrouth fait cavalier seul
La capitale, elle, n’est pas inclue dans ce projet, car la municipalité de Beyrouth a demandé à être exclue du plan gouvernemental. Pour la collecte des déchets, elle envisage de lancer son propre appel d’offres. Pour le traitement, elle penche pour une usine de transformation des déchets en énergie. Sa demande a été soumise au Conseil des ministres le 11 août, mais ce dernier en a confié l’étude à la commission chargée du dossier des déchets, présidée par Akram Chehayeb. Selon la chaîne LBCI, l’exécutif a jugé la demande “floue”. Ni la municipalité ni le Conseil des ministres n’ont précisé la technique envisagée (incinération ? pyrolyse ? gazéification ?), ou les coûts associés. À l’issue de la réunion, le ministre d’État pour la Réforme administrative, Nabil de Freige, a toutefois souligné que si l’option de la valorisation énergétique n’était pas validée, « les déchets de Beyrouth seraient acheminés sur les sites de Costa Brava et de Bourj Hammoud ».
La valorisation énergétique semble par ailleurs séduire aussi les régions du Chouf et de Aley. Dans le projet gouvernemental, une troisième décharge devait leur être trouvée. Mais un représentant de la municipalité de Aley, Fadi Chahib, a déclaré qu’un accord avait été trouvé avec le ministre Chehayeb pour la mise en place d’une usine de pyrolyse.
Ces inconnues pourraient être à l’origine du retard pris dans l’attribution des contrats de traitement, à moins que ce ne soit simplement les marchandages sur le partage du gâteau.
Les participants aux appels d’offres Pour les contrats de collecte et de balayage - Kersouan et le Metn : Ramco, propriété de Mohammad Amache, en partenariat avec le groupe turc Atlas Yapi San ; la société de Dany Khoury (qui a remporté l’adjudication pour la décharge de Bourj Hammoud) en association avec un groupe chinois ; et la société d’Antoine Azour, Lavajet. - Baabda-Aley et le Chouf : Sukleen, propriété de Mayssara Sukkar ; Consolidated Engineering and Trading (CET, propriété de Gabriel et Michel Choueiri) en association avec un groupe bulgare ; Hammoud Establishment for Trading and Contracting, avec l’appui d’une société vénézuélienne ; le groupe Mouawad-Eddé en association avec une société bulgare ; et enfin South for Construction de l’entrepreneur libanais Riad el-Assaad, en partenariat avec une société saoudienne. Pour les contrats de traitement Selon le site GreenArea.me, trois sociétés sont en lice : une joint-venture entre une entreprise détenue par Kassem Hammoud (Hammoud Establishment for Trading and Contracting) et une société égyptienne de recyclage (Ecaru) ; la société d’Antoine Azour (Batco) en partenariat avec l’italien Daneco Impianti ; et enfin l’entreprise de Jihad el-Arab (qui construit la décharge de Costa Brava) avec la bulgare Soriko. Les consultants Des appels d’offres ont également été organisés pour choisir des consultants sur les projets de construction des décharges. Selon GreenArea.me, les meilleures offres ont été celles de Rafic Khoury et associés pour Bourj Hammoud, et une joint-venture entre Dar al-Handasah – Nazih Taleb et associés et SES (Sustainable Environmental Solutions) pour Costa Brava, mais les résultats officiels n’ont pas été communiqués à la presse. |