Avec 47 % de femmes employées, le secteur bancaire peut s’enorgueillir de réaliser la parité entre hommes et femmes. Toutefois, leur présence s’amenuise au fur et à mesure que l’on monte les échelons jusqu’à disparaître ou presque dans les plus hautes fonctions ou les conseils d’administration. Malgré cela, le secteur ne semble pas mûr pour une réflexion d’ensemble visant à améliorer l’évolution de carrière des femmes au sein des banques.
C’est une statistique qu’il faut relire à plusieurs reprises et se réjouir : dans le secteur bancaire, la parité est quasiment acquise. Avec 47 % d’employés de sexe féminin, la banque est sans doute l’un des secteurs où les femmes sont le mieux représentées. Quelque 13 535 femmes sont ainsi employées par des banques au Liban, qu’il s’agisse d’établissements commerciaux libanais, de banques arabes ou de filiales de banques étrangères.
Les chiffres, qui proviennent du rapport 2015 de l’Association des banques du Liban, permettent d’affiner le portrait robot de cette “employée type” : elle est plutôt jeune (64 % des employées ont moins de 40 ans) et davantage éduquée que son homologue masculin. 84 % des employées du secteur bancaire libanais peuvent ainsi se prévaloir d’un diplôme universitaire quand ils ne sont que 69 % du côté masculin. Surtout, les femmes incarnent l’avenir : au Liban, 62 % des salariés du secteur bancaire de moins de 25 ans sont des femmes.
Quelque 47 % de femmes ! Le chiffre amuse certains directeurs des ressources humaines (DRH). Pour eux, il exprime un changement social majeur.
« L’implication des femmes traduit un bouleversement des structures traditionnelles : un seul salaire ne suffit plus pour faire vivre une famille et la femme doit à son tour chercher un emploi pour participer à la charge financière du foyer », analyse Pierre Abou Ezzé, DRH de la Blom Bank. « La banque a longtemps été un métier d’hommes : le contact avec la clientèle leur était réservé. Mais notre métier se féminise au point de devenir presque un « métier de femmes » », explique à son tour Georges Behlock de la Banque libano-française (BLF). Avec un taux de 57 % d’employés femmes, la BLF figure même parmi les banques les plus féminisées ! Cette prédominance n’est pourtant pas voulue ou favorisée. Elle est en fait subie, à défaut de profils masculins en nombre suffisant : « Les hommes, les jeunes en particulier, tendent à davantage partir à l’étranger que leurs collègues femmes. Au final, ils s’avèrent moins “fidélisables”, cherchant souvent à s’expatrier après une courte première expérience professionnelle au Liban », déplore une banquière, interrogée dans le cadre de cette enquête.
Avantages sociaux
Si le secteur bancaire attire tant le deuxième sexe, c’est du fait de “conditions favorables” qui permettent, mieux qu’ailleurs en tout cas, de cumuler carrière professionnelle et impératifs familiaux, voire sociaux. Parmi ces conditions figurent l’existence d’une convention collective, qui garantit une grille de salaire sur 16 mois, une couverture médicale (voire une mutuelle), des indemnités de logement ou des frais de scolarité… Sans compter des horaires avantageux, au moins pour ceux travaillant en agences. « Jusqu’à récemment, nos agences fermaient relativement tôt, permettant à nos salariées de rejoindre leur domicile assez vite et de s’occuper de leurs enfants et de leur famille. Lorsque nous les avons modifiés, en 2012, nous avons senti que ces nouveaux horaires représentaient une pression supplémentaire dans les emplois du temps de certaines d’entre elles. Du coup, nous avons aménagé leur temps de travail afin de mieux tenir compte de leurs impératifs familiaux », explique Pierre Abou Ezzé. Depuis, la banque a offert à l’ensemble de ses employés (homme ou femme) la possibilité de partir plus tôt afin de mieux prendre en charge leurs obligations familiales. Un avantage que de nombreuses autres banques ont également octroyé à leurs employées (mais femmes uniquement cette fois) pour mieux organiser leur retour après leur congé maternité. Certaines ayant également mis en place un congé paternité distinct de quelques jours.
À l’exception de ces aménagements, les banques semblent manquer d’initiatives. Parmi les établissements interrogés, aucun n’a de projet visant, par exemple, à mieux concilier emploi et vie familiale. Ainsi, si on excepte la BLF, qui songe à ouvrir une crèche pour ses employées (ainsi que pour les habitants de la région de Mar Mikhaël) dans les locaux de son futur siège social, aucun établissement n’envisage la création des garderies d’entreprise. « Globalement, il faut surtout un changement de mentalité. Aussi longtemps que l’essentiel des tâches familiales et éducatives au sein du couple sera dévolu aux femmes, celles-ci auront bien du mal à exercer des fonctions dirigeantes », constate Jocelyne Chahwan, directrice de la division banque de détail et directrice générale adjointe au sein de la Blom Bank. Celle qui dirige aujourd’hui quelque 500 employés a gravi les échelons « en travaillant comme un homme ». « Il m’est arrivé d’abandonner mon fils malade à l’hôpital pour aller travailler. Et c’est mon mari qui me relayait ».
Postes à haute responsabilité
D’ailleurs, la belle image d’un monde bancaire soucieux du sort des femmes est égratignée dès lors qu’on étudie plus en détail leur présence dans la hiérarchie. L’Association des banques du Liban ne fournit pas de statistiques selon les niveaux de management occupés. Mais les chiffres communiqués par les banques, prises une par une, montrent l’existence de ce qui semble bien être un “goulot d’étranglement” au fur et à mesure que l’on grimpe les échelons. On ne retrouve ainsi plus que 34 % de femmes dans le management intermédiaire chez l’une ; 17 % chez une autre. Quand on évoque les postes de direction, la présence de femmes s’amenuise davantage encore : 14 % de femmes chez l’une ; 29 % chez une autre… « Les comparaisons sont délicates entres les banques qui n’ont pas toutes la même définition de ce que signifie le “middle management” ou le “top management”. Mais un fait est indéniable : les femmes sont moins bien représentées à l’heure actuelle dans les échelons supérieurs », souligne Dania Kassar, directrice de la communication de la Fransabank. Quant aux femmes, membres d’un conseil d’administration, au Liban, on les compte sur les doigts d’une main. « Les banques libanaises restent des banques familiales, dont le comité de direction est tenu par les héritiers des familles fondatrices. Imaginer une femme, n’appartenant pas à ce cercle familial, s’y intégrer n’est pas impossible. On voit désormais des hommes y figurer sans lien familial avec les fondateurs. Mais cela resterait tout de même exceptionnel », ajoute l’un d’entre eux, en off. La seule femme à avoir été aux commandes de l’exécutif d’un établissement se nomme Pik Yee Foong. D’origine malaisienne, elle a été nommée PDG de Standard Chartered Bank (SCB) Lebanon en 2008, un poste qu’elle a quitté en 2013 pour rejoindre une banque de Hong Kong comme CFO.
Plafond de verre
Le monde a trouvé une expression pour définir la “disparition” progressive des femmes des postes à responsabilité : c’est le fameux “plafond de verre”. ll désigne le “plafond invisible” auquel se heurtent les femmes dans l’avancée de leur carrière ou dans l’accession à de hautes responsabilités, et qui les empêche de progresser aussi vite et autant que les hommes. Existe-t-il dans le secteur bancaire libanais ? À écouter les DRH interrogés (tous des hommes parmi les quelques banques qui ont répondu à nos questions), c’est un “non” catégorique. « Notre unique préoccupation est liée aux compétences tant en matière de recrutement que d’évolution de carrière. Le genre n’intervient jamais dans nos décisions », fait ainsi valoir Pierre Abou Ezzé. Comme d’autres de ses pairs, il défend l’idée selon laquelle l’égalité des chances est bien réelle : seul le mérite est déterminant pour la promotion dans ces organisations.
Même son de cloche du côté de la BLF, dont le DRH veut voir dans la faiblesse de la présence féminine à des hautes fonctions le poids de l’histoire sociale du pays et le temps nécessaire pour réduire les inégalités et rattraper des pays plus avancés. « Si la participation des femmes s’amenuise au fur et à mesure que l’on monte dans la hiérarchie, c’est parce que la banque a longtemps été un métier d’hommes : les plus hautes fonctions sont aujourd’hui tenues par des hommes en raison de leur ancienneté. À l’époque où ils ont commencé leur carrière, la concurrence féminine était limitée », fait valoir Georges Behlock.
Mais ce fameux plafond de verre recouvre une réalité, souvent difficile à percevoir pour qui n’y est pas confronté directement : un quotidien fait de “petits bâtons dans les roues”, de “coup bas” ou de freins, d’exclusion… Sans compter un entre-soi masculin, qui fait que la « problématique des femmes dans le secteur bancaire » est largement ignorée. De toutes les personnes interrogées pour ce dossier, une seule, Tania Moussalem, directrice générale adjointe, responsable marketing et support de la BLC Bank, offre une vision moins tranchée de la question. « Les écarts de salaire entre hommes et femmes existent. Ils sont en constante diminution au sein de notre banque depuis le lancement du programme “We Initiative”. » Tania Moussalem a, il est vrai, une position privilégiée pour peut-être mieux déceler les discriminations à l’égard des femmes : elle a lancé ce “Women Empowerment Program” de la BLC Bank, plus connu sous le nom de “We Initiative”. L’objectif est de favoriser la bancarisation des femmes et leur accès aux différents outils de financement. « Lorsque nous avons lancé ce programme en 2012, nous avons en parallèle mené des enquêtes internes pour estimer aussi nos forces et lacunes sur cette question. Nous avons ainsi été amenés à nous rendre compte qu’il existait des inégalités entre hommes et femmes dans nos structures dont nous n’étions pas même conscients », ajoute-t-elle. Depuis, la banque a créé des programmes d’accompagnement des femmes vers les postes de cadres de direction. « Nous travaillons à promouvoir les femmes dans les postes de haut niveau et espérons atteindre la parité », précise la responsable.
Une enquête, réalisée par les équipes de l’Université américaine de Beyrouth (AUB) tend à lui donner raison. Leur recherche se concentre sur l’absence de femmes − ou leur quasi-absence − parmi les membres des conseils d’administration des banques libanaises. Fondée sur des entretiens, menés auprès d’une soixantaine de femmes manager, l’étude de l’AUB s’intéresse à la perception qu’ont ces femmes de leur propre milieu professionnel. Or, dans leur écrasante majorité, elles estiment que les conseils d’administration des établissements bancaires libanais ne fonctionnent pas de manière satisfaisante : 85 % d’entre elles considèrent que l’absence de femmes dans ces structures décisionnaires est à corréler aux obstacles qu’elles rencontrent dans leur carrière et que résume l’expression “plafond de verre”.
Malgré tout, les banques ne veulent pas entendre parler de quotas dans leur secteur. « À titre personnel, je pense qu’imposer des quotas pour favoriser la présence des femmes dans la sphère publique et politique est une bonne chose. En revanche, une politique similaire dans le secteur privé ne me semble pas nécessaire : regardez, des femmes tendent déjà à émerger aux postes les plus importants dans le secteur bancaire… Le changement viendra sans qu’on ait besoin d’imposer des quotas », assure Dania Kassar. Comme elle, l’ensemble des instances dirigeantes des banques libanaises semblent craindre la survalorisation de “femmes alibis”, promues en raison de leur sexe (et non pas de leurs compétences). Ce qui rendrait, assurent les banques, la mesure largement inefficace. Mais dans un pays où tout tourne autour d’une “discrimination positive” qui ne dit pas son nom vis-à-vis des hommes et de leur communauté religieuse (donner à un chrétien ou un musulman un poste dans l’administration publique au nom d’une représentation équilibrée des communautés religieuses), l’argument ne convainc pas.
Parité, un sens économique
Ailleurs, dans le monde, les défenseurs du principe des quotas tentent de prouver que les entreprises dirigées par des équipes où hommes et femmes se côtoient s’avèrent bien plus performantes. D’ailleurs, 86,4 % des femmes interrogées dans l’enquête de l’AUB, citée plus haut, pensent que leur présence dans les équipes dirigeantes et les conseils d’administration permettrait de mieux anticiper les attentes des clientes. « Les quotas apparaissent donc comme une “bonne affaire” plutôt que simplement une cause juste : les femmes sont un “outil de performance” et représentent une “valeur ajoutée” pour l’entreprise », souligne Le Monde diplomatique dans un article “Les quotas du gotha” (janvier 2017), en citant des rapports du Parlement français.
Les Français, qui viennent de voter pour une obligation de 40 % de femmes dans les conseils d’administration des entreprises de plus de 250 salariés, ne sont pas les seuls à vouloir croire à ce credo. C’est aussi un argument central des décideurs d’autres pays européens : alors que l’Islande a subi une débâcle financière en 2008, menaçant le pays de faillite, ce sont deux femmes qui ont été finalement nommées à la tête des banques nationalisées. Certains des défenseurs d’une féminisation des métiers bancaires – voire du monde économique dans son ensemble − vont jusqu’à assimiler les crises de 2008-2010 à une crise économique “masculine”, voire une “crise de la testostérone”. Dans son article, Le Monde diplomatique rappelle ainsi une boutade qui circulait alors dans la presse du monde entier : « Si Lehman Brothers avait été Lehman Sisters, on n’en serait pas là aujourd’hui. »
Attribuer aux femmes des qualités de “pondération” ou d’“équilibre” que les hommes n’auraient pas semble assez problématique et, au final, très peu scientifique. Toutefois, la mise en place de quotas a tout de même permis d’améliorer la présence des femmes au sein des instances dirigeantes des entreprises en France : leur part a ainsi triplé dans les entreprises du CAC 40, passant de 10 % en 2009 à 34 % en 2015.
Mais, inutile de se leurrer, les quotas sont loin d’être une panacée : d’abord parce qu’on est en manque de personnel (féminin) qualifié. Aujourd’hui, environ 1 300 postes restent à pourvoir dans le millier d’entreprises concernées par la loi française. Ensuite, parce que si les candidates ont le profil souhaité, déposséder un homme de son poste pour une femme est délicat. Enfin, plus important encore, le fait d’être associé au centre de décision que représentent les conseils d’administration ne signifie nullement que les femmes reçoivent le pouvoir. Des études montrent que celles-ci accèdent peu aux comités les plus prestigieux et les plus stratégiques : elles sont ainsi sous-représentées dans les comités des nominations (qui sélectionnent les futurs administrateurs) et des rémunérations ; elles sont en revanche bien représentées dans les comités d’audit, d’éthique ou ceux qui déterminent la “responsabilité sociale des entreprises”. On connaît tous ou presque la citation de Françoise Giroud : « La femme serait vraiment l’égale de l’homme le jour où, à un poste important, on désignerait une femme incompétente. » À ce titre, dans les banques libanaises, on est encore loin du compte. Mais, il est vrai, que dans le monde entier, à quelques exceptions près, l’entreprise semble être très loin encore d’une véritable parité.
Les chiffres, qui proviennent du rapport 2015 de l’Association des banques du Liban, permettent d’affiner le portrait robot de cette “employée type” : elle est plutôt jeune (64 % des employées ont moins de 40 ans) et davantage éduquée que son homologue masculin. 84 % des employées du secteur bancaire libanais peuvent ainsi se prévaloir d’un diplôme universitaire quand ils ne sont que 69 % du côté masculin. Surtout, les femmes incarnent l’avenir : au Liban, 62 % des salariés du secteur bancaire de moins de 25 ans sont des femmes.
Quelque 47 % de femmes ! Le chiffre amuse certains directeurs des ressources humaines (DRH). Pour eux, il exprime un changement social majeur.
« L’implication des femmes traduit un bouleversement des structures traditionnelles : un seul salaire ne suffit plus pour faire vivre une famille et la femme doit à son tour chercher un emploi pour participer à la charge financière du foyer », analyse Pierre Abou Ezzé, DRH de la Blom Bank. « La banque a longtemps été un métier d’hommes : le contact avec la clientèle leur était réservé. Mais notre métier se féminise au point de devenir presque un « métier de femmes » », explique à son tour Georges Behlock de la Banque libano-française (BLF). Avec un taux de 57 % d’employés femmes, la BLF figure même parmi les banques les plus féminisées ! Cette prédominance n’est pourtant pas voulue ou favorisée. Elle est en fait subie, à défaut de profils masculins en nombre suffisant : « Les hommes, les jeunes en particulier, tendent à davantage partir à l’étranger que leurs collègues femmes. Au final, ils s’avèrent moins “fidélisables”, cherchant souvent à s’expatrier après une courte première expérience professionnelle au Liban », déplore une banquière, interrogée dans le cadre de cette enquête.
Avantages sociaux
Si le secteur bancaire attire tant le deuxième sexe, c’est du fait de “conditions favorables” qui permettent, mieux qu’ailleurs en tout cas, de cumuler carrière professionnelle et impératifs familiaux, voire sociaux. Parmi ces conditions figurent l’existence d’une convention collective, qui garantit une grille de salaire sur 16 mois, une couverture médicale (voire une mutuelle), des indemnités de logement ou des frais de scolarité… Sans compter des horaires avantageux, au moins pour ceux travaillant en agences. « Jusqu’à récemment, nos agences fermaient relativement tôt, permettant à nos salariées de rejoindre leur domicile assez vite et de s’occuper de leurs enfants et de leur famille. Lorsque nous les avons modifiés, en 2012, nous avons senti que ces nouveaux horaires représentaient une pression supplémentaire dans les emplois du temps de certaines d’entre elles. Du coup, nous avons aménagé leur temps de travail afin de mieux tenir compte de leurs impératifs familiaux », explique Pierre Abou Ezzé. Depuis, la banque a offert à l’ensemble de ses employés (homme ou femme) la possibilité de partir plus tôt afin de mieux prendre en charge leurs obligations familiales. Un avantage que de nombreuses autres banques ont également octroyé à leurs employées (mais femmes uniquement cette fois) pour mieux organiser leur retour après leur congé maternité. Certaines ayant également mis en place un congé paternité distinct de quelques jours.
À l’exception de ces aménagements, les banques semblent manquer d’initiatives. Parmi les établissements interrogés, aucun n’a de projet visant, par exemple, à mieux concilier emploi et vie familiale. Ainsi, si on excepte la BLF, qui songe à ouvrir une crèche pour ses employées (ainsi que pour les habitants de la région de Mar Mikhaël) dans les locaux de son futur siège social, aucun établissement n’envisage la création des garderies d’entreprise. « Globalement, il faut surtout un changement de mentalité. Aussi longtemps que l’essentiel des tâches familiales et éducatives au sein du couple sera dévolu aux femmes, celles-ci auront bien du mal à exercer des fonctions dirigeantes », constate Jocelyne Chahwan, directrice de la division banque de détail et directrice générale adjointe au sein de la Blom Bank. Celle qui dirige aujourd’hui quelque 500 employés a gravi les échelons « en travaillant comme un homme ». « Il m’est arrivé d’abandonner mon fils malade à l’hôpital pour aller travailler. Et c’est mon mari qui me relayait ».
Postes à haute responsabilité
D’ailleurs, la belle image d’un monde bancaire soucieux du sort des femmes est égratignée dès lors qu’on étudie plus en détail leur présence dans la hiérarchie. L’Association des banques du Liban ne fournit pas de statistiques selon les niveaux de management occupés. Mais les chiffres communiqués par les banques, prises une par une, montrent l’existence de ce qui semble bien être un “goulot d’étranglement” au fur et à mesure que l’on grimpe les échelons. On ne retrouve ainsi plus que 34 % de femmes dans le management intermédiaire chez l’une ; 17 % chez une autre. Quand on évoque les postes de direction, la présence de femmes s’amenuise davantage encore : 14 % de femmes chez l’une ; 29 % chez une autre… « Les comparaisons sont délicates entres les banques qui n’ont pas toutes la même définition de ce que signifie le “middle management” ou le “top management”. Mais un fait est indéniable : les femmes sont moins bien représentées à l’heure actuelle dans les échelons supérieurs », souligne Dania Kassar, directrice de la communication de la Fransabank. Quant aux femmes, membres d’un conseil d’administration, au Liban, on les compte sur les doigts d’une main. « Les banques libanaises restent des banques familiales, dont le comité de direction est tenu par les héritiers des familles fondatrices. Imaginer une femme, n’appartenant pas à ce cercle familial, s’y intégrer n’est pas impossible. On voit désormais des hommes y figurer sans lien familial avec les fondateurs. Mais cela resterait tout de même exceptionnel », ajoute l’un d’entre eux, en off. La seule femme à avoir été aux commandes de l’exécutif d’un établissement se nomme Pik Yee Foong. D’origine malaisienne, elle a été nommée PDG de Standard Chartered Bank (SCB) Lebanon en 2008, un poste qu’elle a quitté en 2013 pour rejoindre une banque de Hong Kong comme CFO.
Plafond de verre
Le monde a trouvé une expression pour définir la “disparition” progressive des femmes des postes à responsabilité : c’est le fameux “plafond de verre”. ll désigne le “plafond invisible” auquel se heurtent les femmes dans l’avancée de leur carrière ou dans l’accession à de hautes responsabilités, et qui les empêche de progresser aussi vite et autant que les hommes. Existe-t-il dans le secteur bancaire libanais ? À écouter les DRH interrogés (tous des hommes parmi les quelques banques qui ont répondu à nos questions), c’est un “non” catégorique. « Notre unique préoccupation est liée aux compétences tant en matière de recrutement que d’évolution de carrière. Le genre n’intervient jamais dans nos décisions », fait ainsi valoir Pierre Abou Ezzé. Comme d’autres de ses pairs, il défend l’idée selon laquelle l’égalité des chances est bien réelle : seul le mérite est déterminant pour la promotion dans ces organisations.
Même son de cloche du côté de la BLF, dont le DRH veut voir dans la faiblesse de la présence féminine à des hautes fonctions le poids de l’histoire sociale du pays et le temps nécessaire pour réduire les inégalités et rattraper des pays plus avancés. « Si la participation des femmes s’amenuise au fur et à mesure que l’on monte dans la hiérarchie, c’est parce que la banque a longtemps été un métier d’hommes : les plus hautes fonctions sont aujourd’hui tenues par des hommes en raison de leur ancienneté. À l’époque où ils ont commencé leur carrière, la concurrence féminine était limitée », fait valoir Georges Behlock.
Mais ce fameux plafond de verre recouvre une réalité, souvent difficile à percevoir pour qui n’y est pas confronté directement : un quotidien fait de “petits bâtons dans les roues”, de “coup bas” ou de freins, d’exclusion… Sans compter un entre-soi masculin, qui fait que la « problématique des femmes dans le secteur bancaire » est largement ignorée. De toutes les personnes interrogées pour ce dossier, une seule, Tania Moussalem, directrice générale adjointe, responsable marketing et support de la BLC Bank, offre une vision moins tranchée de la question. « Les écarts de salaire entre hommes et femmes existent. Ils sont en constante diminution au sein de notre banque depuis le lancement du programme “We Initiative”. » Tania Moussalem a, il est vrai, une position privilégiée pour peut-être mieux déceler les discriminations à l’égard des femmes : elle a lancé ce “Women Empowerment Program” de la BLC Bank, plus connu sous le nom de “We Initiative”. L’objectif est de favoriser la bancarisation des femmes et leur accès aux différents outils de financement. « Lorsque nous avons lancé ce programme en 2012, nous avons en parallèle mené des enquêtes internes pour estimer aussi nos forces et lacunes sur cette question. Nous avons ainsi été amenés à nous rendre compte qu’il existait des inégalités entre hommes et femmes dans nos structures dont nous n’étions pas même conscients », ajoute-t-elle. Depuis, la banque a créé des programmes d’accompagnement des femmes vers les postes de cadres de direction. « Nous travaillons à promouvoir les femmes dans les postes de haut niveau et espérons atteindre la parité », précise la responsable.
Une enquête, réalisée par les équipes de l’Université américaine de Beyrouth (AUB) tend à lui donner raison. Leur recherche se concentre sur l’absence de femmes − ou leur quasi-absence − parmi les membres des conseils d’administration des banques libanaises. Fondée sur des entretiens, menés auprès d’une soixantaine de femmes manager, l’étude de l’AUB s’intéresse à la perception qu’ont ces femmes de leur propre milieu professionnel. Or, dans leur écrasante majorité, elles estiment que les conseils d’administration des établissements bancaires libanais ne fonctionnent pas de manière satisfaisante : 85 % d’entre elles considèrent que l’absence de femmes dans ces structures décisionnaires est à corréler aux obstacles qu’elles rencontrent dans leur carrière et que résume l’expression “plafond de verre”.
Malgré tout, les banques ne veulent pas entendre parler de quotas dans leur secteur. « À titre personnel, je pense qu’imposer des quotas pour favoriser la présence des femmes dans la sphère publique et politique est une bonne chose. En revanche, une politique similaire dans le secteur privé ne me semble pas nécessaire : regardez, des femmes tendent déjà à émerger aux postes les plus importants dans le secteur bancaire… Le changement viendra sans qu’on ait besoin d’imposer des quotas », assure Dania Kassar. Comme elle, l’ensemble des instances dirigeantes des banques libanaises semblent craindre la survalorisation de “femmes alibis”, promues en raison de leur sexe (et non pas de leurs compétences). Ce qui rendrait, assurent les banques, la mesure largement inefficace. Mais dans un pays où tout tourne autour d’une “discrimination positive” qui ne dit pas son nom vis-à-vis des hommes et de leur communauté religieuse (donner à un chrétien ou un musulman un poste dans l’administration publique au nom d’une représentation équilibrée des communautés religieuses), l’argument ne convainc pas.
Parité, un sens économique
Ailleurs, dans le monde, les défenseurs du principe des quotas tentent de prouver que les entreprises dirigées par des équipes où hommes et femmes se côtoient s’avèrent bien plus performantes. D’ailleurs, 86,4 % des femmes interrogées dans l’enquête de l’AUB, citée plus haut, pensent que leur présence dans les équipes dirigeantes et les conseils d’administration permettrait de mieux anticiper les attentes des clientes. « Les quotas apparaissent donc comme une “bonne affaire” plutôt que simplement une cause juste : les femmes sont un “outil de performance” et représentent une “valeur ajoutée” pour l’entreprise », souligne Le Monde diplomatique dans un article “Les quotas du gotha” (janvier 2017), en citant des rapports du Parlement français.
Les Français, qui viennent de voter pour une obligation de 40 % de femmes dans les conseils d’administration des entreprises de plus de 250 salariés, ne sont pas les seuls à vouloir croire à ce credo. C’est aussi un argument central des décideurs d’autres pays européens : alors que l’Islande a subi une débâcle financière en 2008, menaçant le pays de faillite, ce sont deux femmes qui ont été finalement nommées à la tête des banques nationalisées. Certains des défenseurs d’une féminisation des métiers bancaires – voire du monde économique dans son ensemble − vont jusqu’à assimiler les crises de 2008-2010 à une crise économique “masculine”, voire une “crise de la testostérone”. Dans son article, Le Monde diplomatique rappelle ainsi une boutade qui circulait alors dans la presse du monde entier : « Si Lehman Brothers avait été Lehman Sisters, on n’en serait pas là aujourd’hui. »
Attribuer aux femmes des qualités de “pondération” ou d’“équilibre” que les hommes n’auraient pas semble assez problématique et, au final, très peu scientifique. Toutefois, la mise en place de quotas a tout de même permis d’améliorer la présence des femmes au sein des instances dirigeantes des entreprises en France : leur part a ainsi triplé dans les entreprises du CAC 40, passant de 10 % en 2009 à 34 % en 2015.
Mais, inutile de se leurrer, les quotas sont loin d’être une panacée : d’abord parce qu’on est en manque de personnel (féminin) qualifié. Aujourd’hui, environ 1 300 postes restent à pourvoir dans le millier d’entreprises concernées par la loi française. Ensuite, parce que si les candidates ont le profil souhaité, déposséder un homme de son poste pour une femme est délicat. Enfin, plus important encore, le fait d’être associé au centre de décision que représentent les conseils d’administration ne signifie nullement que les femmes reçoivent le pouvoir. Des études montrent que celles-ci accèdent peu aux comités les plus prestigieux et les plus stratégiques : elles sont ainsi sous-représentées dans les comités des nominations (qui sélectionnent les futurs administrateurs) et des rémunérations ; elles sont en revanche bien représentées dans les comités d’audit, d’éthique ou ceux qui déterminent la “responsabilité sociale des entreprises”. On connaît tous ou presque la citation de Françoise Giroud : « La femme serait vraiment l’égale de l’homme le jour où, à un poste important, on désignerait une femme incompétente. » À ce titre, dans les banques libanaises, on est encore loin du compte. Mais, il est vrai, que dans le monde entier, à quelques exceptions près, l’entreprise semble être très loin encore d’une véritable parité.
Le taux d’activité des Libanaises de 35-44 ans n’est que de 25 % La participation record des femmes au secteur bancaire libanais intervient dans un contexte général autrement plus pessimiste pour l’égalité entre hommes et femmes : si, elles représentent la moitié de la population libanaise, seulement 40 % d’entre elles ont une activité professionnelle entre 25 et 34 ans, selon l’Organisation internationale du travail (OIT). Ce chiffre chute ensuite drastiquement : 25 % d’entre elles participent encore au monde du travail entre 35 et 44 ans, à un âge où en général l’évolution de carrière démarre. Ce retrait du marché du travail correspond à la période « où la femme se marie et se consacre à la vie de famille ». Un taux de participation au marché du travail extrêmement faible, quand on se rappelle que le niveau de participation des femmes se situe à 44 % en moyenne dans le monde. D’ailleurs, leur quasi-absence à un âge où les hommes, eux, sont en pleine ascension professionnelle se retrouve dans leur quasi-absence à des fonctions de management. Ainsi, selon l’OIT, en 2004, le Liban comptait 11,8 % seulement de femmes à des postes à responsabilité. Ce qui justifie que l’indice du “Global Gender Gap” 2016 du Forum économique mondial, qui chaque année fournit un “classement de la parité” dans une centaine de pays, positionne le Liban parmi les cancres de sa liste, en 135e position sur un ensemble de 144 pays avec un “seuil de parité” estimé à 0,598 sur 1 (“1” se voulant une note moyenne, équivalent à un 10/20). Plus notable encore, la situation va en se dégradant selon le FMI : en 2010, le Liban se classait 116e avec un score de 0,608/1 dans ce même indice. |