Le Conseil des ministres était appelé le 28 mars à se prononcer sur un plan d’urgence proposé par le ministre de l’Énergie, César Abi Khalil. Ce plan, intitulé “plan de sauvetage pour l’été 2017”, vise à améliorer l’approvisionnement électrique à court terme, en attendant la mise à jour – et éventuellement la mise en œuvre – de la stratégie élaborée par Gebran Bassil officiellement adoptée en 2010. « Le plan d’urgence a été approuvé sur le principe », même si « plusieurs remarques ont été soulevées », a déclaré le ministre de l'Information, Melhem Riachi, après la séance. Interrogé sur la teneur de ces remarques, il a invoqué le droit du Conseil des ministres à avoir « ses secrets », tout en assurant que la mise en œuvre du plan se fera « en toute transparence ». Il faut le croire sur parole, car pour le moment le gouvernement n’en fait preuve d’aucune.
Cela fait déjà un certain temps que le Conseil des ministres ne publie plus un compte rendu en bonne et due forme de ses décisions, la presse devant se suffire des explications sommaires données par le ministre de l’Information à l’issue de la séance. Au sujet de l’électricité, ce dernier s’est contenté d’affirmer que le « ministre de l’Énergie a été chargé de prendre les mesures et de réaliser les appels d’offres nécessaires », sans plus de précisions. C’est le ministre concerné qui a présenté, quelques jours plus tard, son fameux plan. Comme annoncé dans son interview au Commerce du Levant (voir n° 5686), César Abi Khalil a remis sur la table certains volets de la stratégie de Gebran Bassil. Il a proposé de nommer un consultant (“transactional advisor”) pour aider le ministère à sélectionner des producteurs indépendants d’électricité (Independent Power Producer) ; de relancer le projet de construction d’une plate-forme flottante de stockage et de regazéification (FSRU) de gaz naturel liquéfié pour économiser 30 % de la facture des combustibles ; de réviser les tarifs d’EDL et d’accélérer le développement des énergies renouvelables en partenariat avec le secteur privé. Ces projets, qui s’inscrivent sur le moyen terme, ne semblent pas avoir donné lieu à des décisions spécifiques. Aucune n’a en tout cas été annoncée.
Le Conseil des ministres semble en revanche s’être intéressé de près à la seule mesure d’urgence à proprement parler, une mesure que César Abi Khalil avait refusé de dévoiler au Commerce du Levant en février, mais qui a été succinctement évoquée lors de sa conférence de presse : le gouvernement a décidé de lancer un appel d’offres pour la location, durant cinq ans, de centrales flottantes d’une capacité combinée de 800 à 1 000 MW pour fournir sept heures de courant supplémentaires à partir de cet été, a déclaré le ministre. Le recours à des barges fonctionnant au fuel oil est justifié par la nécessité de “sauver” la saison estivale, alors qu’une nouvelle centrale terrestre – y compris celle de Deir Ammar bloquée depuis des années pour des raisons politiques – ne pourrait être mise en service avant plusieurs années, a-t-il expliqué. Mais l’urgence, qui masque l’incapacité des pouvoirs publics à exécuter les projets prévus depuis 2010, a un coût.
Retour aux barges
L’idée des barges n’est pas nouvelle. Elle avait été proposée par Gebran Bassil en 2010. Une commission ministérielle avait alors sélectionné la société turque Karadeniz Powership, dont le représentant au Liban était Samir Doumit, un cadre du courant du Futur. Le contrat a été conclu en 2013 pour la fourniture de 270 MW pendant trois ans, à un prix total de 390 millions de dollars, soit environ 130 millions de dollars par an. Ce contrat a été prolongé en juillet dernier de deux ans supplémentaires et la capacité portée à 370 MW. Aux sommes versées à Karadeniz s’ajoute le prix du fuel fourni par l’État libanais, estimé à environ 260 millions de dollars en 2016.
Le recours à la location coûte cher à Électricité du Liban (EDL), puisque l’investissement est réalisé par un opérateur privé pour une période relativement courte et qu’il n’y a pas de transferts d’actifs à échéance.
À l’époque, cela avait été présenté comme une mesure temporaire, en attendant la création de nouvelles centrales. Rien, ou presque, n’ayant été fait depuis, le Liban veut aujourd’hui rééditer l’expérience. César Abi Khalil voit néanmoins plus grand que son prédécesseur. Il ne s’agit plus de louer une capacité de 270 MW, mais pratiquement du triple. La facture va donc forcément exploser.
Dans sa conférence de presse, le ministre a pris soin de ne pas chiffrer la mesure, même s’il semble avoir fait l’exercice dans le document soumis au Conseil des ministres. Ce texte, qu’aucune partie officielle n’a accepté de divulguer, a été dévoilé par le député Samy Gemayel au Parlement, puis devant la presse. Le président des Kataëb, l’une des rares formations politiques exclues du gouvernement, a en fait révélé l’existence de deux versions du plan, sans qu’aucun démenti ne lui ait été opposé.
La mouture officielle, transmise à tous les membres du gouvernement, estime le coût de la location des barges à environ 850 millions de dollars par an, soit au total 4,25 milliards de dollars sur cinq ans. Ce prix inclut les frais de location, les travaux que doit mener l’entreprise pour raccorder les barges au réseau et le fuel. Le prix du kilowattheure produit par ces barges, évalué à 13,04 cents à un baril à soixante dollars, est supérieur au coût moyen des centrales existantes (estimé à 12,89 cents par kilowattheure) qui est déjà jugé élevé en raison de la vétusté de certaines installations. Celui des deux nouvelles unités de production financées par l’État à Jiyé et Zouk, qui reposent sur la même technologie que celles des barges et qui devraient entrer en fonctions incessamment, est, lui, de 9,19 cents le kilowattheure. Logiquement, EDL a intérêt à réduire au maximum ses coûts de production, car son prix de vente n’est actuellement que de 8,8 cents le kilowattheure, en moyenne. Même la hausse des tarifs proposée par le ministre à partir de juillet, à 12,5 cents le kilowattheure, ne permettrait pas de couvrir le coût des barges. À noter que lorsque Le Commerce du Levant avait interrogé le ministère en février sur les coûts de production d’EDL, il avait refusé de les fournir en arguant de la difficulté de les calculer. Il faut croire que ces données font partie des “secrets” du Conseil des ministres.
Deux versions du plan
Reste à savoir comment le ministère a estimé le coût de production des futures barges, alors que l’appel d’offres est toujours en cours. Tout laisse penser qu’il est fondé sur une proposition du fournisseur actuel, Karadeniz Powership. C’est en tout cas ce qu’indique une première version du plan, qui aurait été distribuée bien avant la réunion du cabinet à seulement quelques ministres concernés. C’est d’ailleurs l’un d’entre eux qui l’aurait fait fuiter à la presse. Cette version ressemble mot pour mot au document officiel, à l’exception de la partie consacrée aux barges. Il n’y est pas question de location en général, mais d’un accord de gré à gré avec la société turque pour deux navires (KPS 14 et KPS 15) d’une capacité totale de 825 MW, dont le premier arriverait en mai et le second en septembre. Le prix négocié est de 5,80 cents le kilowattheure (contre 5,85 cents/kWh actuellement) pour la fourniture de 6 504 gigawattheures. Cette quantité multipliée par le coût de location et le coût du fuel (qui dépend de la consommation de fuel par kilowattheure produit et donc de la spécification des centrales) permet d’aboutir à un coût de production de 13,04 cents le kilowattheure, le même que celui mentionné dans la version officielle, et un montant total de 848,2 millions de dollars par an. La part de Karadeniz est de 377,2 millions de dollars par an, soit 1,886 milliard de dollars sur la durée totale du contrat. En théorie, ce montant permettrait à l’État de construire plus de trois centrales à cycle combiné, comme celle qui était prévue à Deir Ammar. Mais comme toujours au Liban, c’est la logique du court terme qui semble être privilégiée.
Manque de transparence
Interrogée par Le Commerce du Levant, la conseillère du ministre de l’Énergie, Nada Boustany, assure toutefois que cette offre n’émane pas du ministère et que ce dernier n’a jamais eu l’intention de recourir aux services de Karadeniz en particulier. Mais les faits sont assez troublants. D’abord, un représentant de la société turque avait affirmé au quotidien L’Orient-Le Jour en juillet dernier, au moment de la reconduction des contrats, que des négociations étaient en cours pour l’acheminement d’un troisième navire. Sollicitée par Le Commerce du Levant, l’entreprise n’a pas souhaité répondre à nos questions.
Ensuite, selon Samy Gemayel, le document officiel comprend en annexe un calendrier qui mentionne l’arrivée de KPS 14 et KPS 15 en 2017, sans que ces sigles ne figurent ailleurs dans le texte, ce qui accrédite la thèse d’un amendement de la version initiale. Enfin, pourquoi le gouvernement ne dénoncerait-il pas comme un “faux” le document, dont les détails ont été publiés dans certains quotidiens, et pourquoi est-il si discret à ce sujet ?
Plusieurs ministres sollicités par Le Commerce du Levant ont en effet refusé d’aborder la question. L’un d’entre eux a reconnu qu’il y avait un « certain flou », sans en dire plus. Au-delà de l’intérêt, du coût et des modalités de la location de barges, la gestion du dossier révèle au moins deux choses à ce stade : il n’y a pas encore de consensus politique sur la réforme de l’électricité, ni la transparence nécessaire pour permettre à la presse de remplir sa mission d’information. Difficile dans ce contexte de parier sur la transparence de l’attribution du contrat. L’appel d’offres devait au départ être clôturé mi-avril, mais les délais (à peine deux semaines) ayant été jugés trop courts par les entreprises participantes, il a été prolongé jusqu’à fin avril.
Cela fait déjà un certain temps que le Conseil des ministres ne publie plus un compte rendu en bonne et due forme de ses décisions, la presse devant se suffire des explications sommaires données par le ministre de l’Information à l’issue de la séance. Au sujet de l’électricité, ce dernier s’est contenté d’affirmer que le « ministre de l’Énergie a été chargé de prendre les mesures et de réaliser les appels d’offres nécessaires », sans plus de précisions. C’est le ministre concerné qui a présenté, quelques jours plus tard, son fameux plan. Comme annoncé dans son interview au Commerce du Levant (voir n° 5686), César Abi Khalil a remis sur la table certains volets de la stratégie de Gebran Bassil. Il a proposé de nommer un consultant (“transactional advisor”) pour aider le ministère à sélectionner des producteurs indépendants d’électricité (Independent Power Producer) ; de relancer le projet de construction d’une plate-forme flottante de stockage et de regazéification (FSRU) de gaz naturel liquéfié pour économiser 30 % de la facture des combustibles ; de réviser les tarifs d’EDL et d’accélérer le développement des énergies renouvelables en partenariat avec le secteur privé. Ces projets, qui s’inscrivent sur le moyen terme, ne semblent pas avoir donné lieu à des décisions spécifiques. Aucune n’a en tout cas été annoncée.
Le Conseil des ministres semble en revanche s’être intéressé de près à la seule mesure d’urgence à proprement parler, une mesure que César Abi Khalil avait refusé de dévoiler au Commerce du Levant en février, mais qui a été succinctement évoquée lors de sa conférence de presse : le gouvernement a décidé de lancer un appel d’offres pour la location, durant cinq ans, de centrales flottantes d’une capacité combinée de 800 à 1 000 MW pour fournir sept heures de courant supplémentaires à partir de cet été, a déclaré le ministre. Le recours à des barges fonctionnant au fuel oil est justifié par la nécessité de “sauver” la saison estivale, alors qu’une nouvelle centrale terrestre – y compris celle de Deir Ammar bloquée depuis des années pour des raisons politiques – ne pourrait être mise en service avant plusieurs années, a-t-il expliqué. Mais l’urgence, qui masque l’incapacité des pouvoirs publics à exécuter les projets prévus depuis 2010, a un coût.
Retour aux barges
L’idée des barges n’est pas nouvelle. Elle avait été proposée par Gebran Bassil en 2010. Une commission ministérielle avait alors sélectionné la société turque Karadeniz Powership, dont le représentant au Liban était Samir Doumit, un cadre du courant du Futur. Le contrat a été conclu en 2013 pour la fourniture de 270 MW pendant trois ans, à un prix total de 390 millions de dollars, soit environ 130 millions de dollars par an. Ce contrat a été prolongé en juillet dernier de deux ans supplémentaires et la capacité portée à 370 MW. Aux sommes versées à Karadeniz s’ajoute le prix du fuel fourni par l’État libanais, estimé à environ 260 millions de dollars en 2016.
Le recours à la location coûte cher à Électricité du Liban (EDL), puisque l’investissement est réalisé par un opérateur privé pour une période relativement courte et qu’il n’y a pas de transferts d’actifs à échéance.
À l’époque, cela avait été présenté comme une mesure temporaire, en attendant la création de nouvelles centrales. Rien, ou presque, n’ayant été fait depuis, le Liban veut aujourd’hui rééditer l’expérience. César Abi Khalil voit néanmoins plus grand que son prédécesseur. Il ne s’agit plus de louer une capacité de 270 MW, mais pratiquement du triple. La facture va donc forcément exploser.
Dans sa conférence de presse, le ministre a pris soin de ne pas chiffrer la mesure, même s’il semble avoir fait l’exercice dans le document soumis au Conseil des ministres. Ce texte, qu’aucune partie officielle n’a accepté de divulguer, a été dévoilé par le député Samy Gemayel au Parlement, puis devant la presse. Le président des Kataëb, l’une des rares formations politiques exclues du gouvernement, a en fait révélé l’existence de deux versions du plan, sans qu’aucun démenti ne lui ait été opposé.
La mouture officielle, transmise à tous les membres du gouvernement, estime le coût de la location des barges à environ 850 millions de dollars par an, soit au total 4,25 milliards de dollars sur cinq ans. Ce prix inclut les frais de location, les travaux que doit mener l’entreprise pour raccorder les barges au réseau et le fuel. Le prix du kilowattheure produit par ces barges, évalué à 13,04 cents à un baril à soixante dollars, est supérieur au coût moyen des centrales existantes (estimé à 12,89 cents par kilowattheure) qui est déjà jugé élevé en raison de la vétusté de certaines installations. Celui des deux nouvelles unités de production financées par l’État à Jiyé et Zouk, qui reposent sur la même technologie que celles des barges et qui devraient entrer en fonctions incessamment, est, lui, de 9,19 cents le kilowattheure. Logiquement, EDL a intérêt à réduire au maximum ses coûts de production, car son prix de vente n’est actuellement que de 8,8 cents le kilowattheure, en moyenne. Même la hausse des tarifs proposée par le ministre à partir de juillet, à 12,5 cents le kilowattheure, ne permettrait pas de couvrir le coût des barges. À noter que lorsque Le Commerce du Levant avait interrogé le ministère en février sur les coûts de production d’EDL, il avait refusé de les fournir en arguant de la difficulté de les calculer. Il faut croire que ces données font partie des “secrets” du Conseil des ministres.
Deux versions du plan
Reste à savoir comment le ministère a estimé le coût de production des futures barges, alors que l’appel d’offres est toujours en cours. Tout laisse penser qu’il est fondé sur une proposition du fournisseur actuel, Karadeniz Powership. C’est en tout cas ce qu’indique une première version du plan, qui aurait été distribuée bien avant la réunion du cabinet à seulement quelques ministres concernés. C’est d’ailleurs l’un d’entre eux qui l’aurait fait fuiter à la presse. Cette version ressemble mot pour mot au document officiel, à l’exception de la partie consacrée aux barges. Il n’y est pas question de location en général, mais d’un accord de gré à gré avec la société turque pour deux navires (KPS 14 et KPS 15) d’une capacité totale de 825 MW, dont le premier arriverait en mai et le second en septembre. Le prix négocié est de 5,80 cents le kilowattheure (contre 5,85 cents/kWh actuellement) pour la fourniture de 6 504 gigawattheures. Cette quantité multipliée par le coût de location et le coût du fuel (qui dépend de la consommation de fuel par kilowattheure produit et donc de la spécification des centrales) permet d’aboutir à un coût de production de 13,04 cents le kilowattheure, le même que celui mentionné dans la version officielle, et un montant total de 848,2 millions de dollars par an. La part de Karadeniz est de 377,2 millions de dollars par an, soit 1,886 milliard de dollars sur la durée totale du contrat. En théorie, ce montant permettrait à l’État de construire plus de trois centrales à cycle combiné, comme celle qui était prévue à Deir Ammar. Mais comme toujours au Liban, c’est la logique du court terme qui semble être privilégiée.
Manque de transparence
Interrogée par Le Commerce du Levant, la conseillère du ministre de l’Énergie, Nada Boustany, assure toutefois que cette offre n’émane pas du ministère et que ce dernier n’a jamais eu l’intention de recourir aux services de Karadeniz en particulier. Mais les faits sont assez troublants. D’abord, un représentant de la société turque avait affirmé au quotidien L’Orient-Le Jour en juillet dernier, au moment de la reconduction des contrats, que des négociations étaient en cours pour l’acheminement d’un troisième navire. Sollicitée par Le Commerce du Levant, l’entreprise n’a pas souhaité répondre à nos questions.
Ensuite, selon Samy Gemayel, le document officiel comprend en annexe un calendrier qui mentionne l’arrivée de KPS 14 et KPS 15 en 2017, sans que ces sigles ne figurent ailleurs dans le texte, ce qui accrédite la thèse d’un amendement de la version initiale. Enfin, pourquoi le gouvernement ne dénoncerait-il pas comme un “faux” le document, dont les détails ont été publiés dans certains quotidiens, et pourquoi est-il si discret à ce sujet ?
Plusieurs ministres sollicités par Le Commerce du Levant ont en effet refusé d’aborder la question. L’un d’entre eux a reconnu qu’il y avait un « certain flou », sans en dire plus. Au-delà de l’intérêt, du coût et des modalités de la location de barges, la gestion du dossier révèle au moins deux choses à ce stade : il n’y a pas encore de consensus politique sur la réforme de l’électricité, ni la transparence nécessaire pour permettre à la presse de remplir sa mission d’information. Difficile dans ce contexte de parier sur la transparence de l’attribution du contrat. L’appel d’offres devait au départ être clôturé mi-avril, mais les délais (à peine deux semaines) ayant été jugés trop courts par les entreprises participantes, il a été prolongé jusqu’à fin avril.