À la tête de la plus grande régie de la région, Pierre Choueiri a été désigné “Publicitaire de l’année” lors du dernier Festival Lynx Dubai. Représentant 28 chaînes de télévision, 13 titres de presse (dont Le Commerce du Levant), 14 stations de radio, et plus d’une quarantaine de sites Web et applications au Liban et à l’étranger, le PDG du groupe Choueiri est à la fois témoin et acteur des mutations qui affectent le monde de la publicité
et des médias. Entretien.
Quelles sont les perspectives du marché publicitaire au Liban et dans le reste de la région ?
Après plusieurs années de croissance, les dépenses publicitaires dans la région ont baissé de 15 % en 2016 et la tendance devrait se poursuivre cette année, sans doute dans les mêmes proportions. Les marchés du Golfe, moteurs de la région, ont ralenti, mais ces difficultés ne sont que momentanées. Nous prévoyons un net rebond à partir de 2018, porté par l’élan de l’exposition universelle à Dubaï prévue en 2020 et les réformes économiques menées en Arabie saoudite, dans le cadre de la vision 2030. Au Liban, le marché stagne déjà depuis plusieurs années. Il devrait, au mieux, se stabiliser cette année, avec des perspectives plus positives pour 2018 et 2019.
Quels sont les médias les plus affectés ?
Jusqu’en 2015, grosso modo, 45 % des dépenses publicitaires régionales étaient consacrées à la télévision,
35 % à la presse papier, 10 % au Web, et 10 % à la radio et l’affichage. En 2016, seule la part de la radio et de l’affichage s’est stabilisée. Celle du petit écran a reculé de 5 ou
6 points, pour s’établir autour de 40 %, tandis que celle des journaux et des magazines s’est effondrée à environ
25 %. Le segment digital, en revanche, a connu une forte croissance, attirant entre 20 et 25 % des budgets publicitaires.
Ces tendances devraient s’accentuer cette année. Le Web va continuer de gagner des parts de marché au détriment de la télévision, mais surtout de la presse écrite, dont les budgets pourraient baisser de 30 à 40 % en 2017. La télévision est définie comme la consommation d’un contenu vidéo suivant une grille de programme déterminée quel que soit le support (télévision, tablette, téléphone), tandis qu’une consommation de vidéos sans date ou heure fixes entre dans la catégorie digitale.
Selon nos estimations, à l’horizon 2020, ces deux segments concentreront 70 à 75 % des dépenses publicitaires. Les supports papier en revanche représenteront moins de 10 % du marché.
La presse écrite est-elle en voie de disparition ?
Certains titres vont sans doute disparaître, les autres vont devoir se réinventer pour passer à l’ère du digital. La transition numérique impose des changements radicaux. Il ne s’agit pas de transposer simplement le contenu du papier sur le Web. Il faut revoir l’offre et l’adapter aux nouveaux besoins, que ce soit à travers un changement de rythme, le développement de formats différents comme la vidéo, ou l’intégration des réseaux sociaux tels que Twitter ou Snapchat.
Les rédactions doivent se doter de journalistes polyvalents et des investissements importants doivent être réalisés. Certains quotidiens émiriens, comme al-Bayan ou Emarat al-Yaoum, s’y sont mis il y a déjà trois ou quatre ans et leur stratégie commence aujourd’hui à porter ses fruits.
Mais le modèle économique sur le Web reste difficile à trouver ?
Effectivement, un dollar de publicité perdu dans le papier n’est pas intégralement récupéré par la publicité en ligne, d’où la nécessité de changer d’échelle, de “scale-up”, comme on dit dans le monde des start-up.
Pour trouver un équilibre, les journaux doivent accroître leur audience sur Internet en misant sur deux tendances importantes : la portée de la langue arabe et une forte demande pour le contenu local. L’arabe est un vecteur-clé de développement régional, alors que l’anglais ou le français resteront des marchés de niche. Au niveau du contenu, les technologies permettent aujourd’hui de proposer des informations ciblées selon l’audience et les médias doivent en profiter. Mais il faut se doter des outils et des ressources nécessaires, et cela engendre évidemment des coûts additionnels. La hausse des coûts peut être compensée par celle des revenus, à condition que l’audience augmente de façon exponentielle. C’est un pari à faire.
Avec des dépenses publicitaires en baisse, comment les journaux libanais, en particulier, peuvent-ils financer leur transition digitale ?
La presse libanaise passe par une période très difficile, comme en témoigne la disparition d’un titre phare comme as-Safir.
Malheureusement, à défaut de stratégie claire et d’investissements, d’autres quotidiens suivront. C’est le moment pour les propriétaires de journaux d’entamer sérieusement la transition digitale et d’injecter les capitaux nécessaires, même si les perspectives paraissent sombres. En temps de crise, le facteur temps est essentiel. Il faut investir aujourd’hui pour être prêt lorsque le marché se redressera. Des titres historiques comme an-Nahar par exemple bénéficient d’une réputation et d’une image de marque qui peut faciliter leur développement régional. Mais l’effort ne peut pas venir des seuls actionnaires. Le gouvernement doit lui aussi se mobiliser pour sauver une industrie dont le Liban a été pionnier dans la région.
Comment le groupe Choueiri a-t-il engagé le virage du numérique ?
La société DMS (Digital Media Service), la filiale digitale du groupe, a été créée en 2011. À l’époque, nous représentions surtout des médias traditionnels, mais nous savions qu’il fallait développer nos compétences dans le numérique. Nous avons recruté des talents et mis en place une stratégie qui nous a permis de capter une nouvelle clientèle, et d’accompagner nos clients traditionnels dans leur transition. Nous les avons notamment aidés à adapter leur offre et proposer des contenus sponsorisés, comme les publicités natives. Avec ses 120 salariés, DMS est aujourd’hui le troisième acteur le plus important de la publicité en ligne dans la région, après Google et Facebook. Sa part dans le groupe évolue de façon exponentielle. D’ici à 2020, elle devrait contribuer à près de 40 % de notre chiffre d’affaires.
Une régie a-t-elle encore sa place à l’ère de la publicité programmatique (NDLR : la vente de manière automatisée grâce à des algorithmes) ?
Nous avons su réinventer notre valeur ajoutée, car nous connaissons la région et nous parlons son langage. Le groupe a lancé un des plus grands centres de mégadonnées (big data) du monde arabe. Ces données relatives aux médias que nous représentons sont analysées par des spécialistes, ce qui nous permet de mieux cerner les attentes des consommateurs arabes, et de proposer un meilleur “profiling” que des géants comme Facebook et Google. DMS est aussi la seule entreprise du monde arabe à avoir un partenariat avec MOAT, une société américaine de mesure d’audience, auditée par le Media Rating Council, un organisme de référence aux États-Unis. Nous garantissons à nos clients une transparence totale sur la visibilité de leurs publicités en ligne et l’environnement dans lequel elles sont placées. Cela répond à une attente fondamentale des annonceurs, comme l’a révélé récemment l’affaire du boycott de YouTube.
Après plusieurs années de croissance, les dépenses publicitaires dans la région ont baissé de 15 % en 2016 et la tendance devrait se poursuivre cette année, sans doute dans les mêmes proportions. Les marchés du Golfe, moteurs de la région, ont ralenti, mais ces difficultés ne sont que momentanées. Nous prévoyons un net rebond à partir de 2018, porté par l’élan de l’exposition universelle à Dubaï prévue en 2020 et les réformes économiques menées en Arabie saoudite, dans le cadre de la vision 2030. Au Liban, le marché stagne déjà depuis plusieurs années. Il devrait, au mieux, se stabiliser cette année, avec des perspectives plus positives pour 2018 et 2019.
Quels sont les médias les plus affectés ?
Jusqu’en 2015, grosso modo, 45 % des dépenses publicitaires régionales étaient consacrées à la télévision,
35 % à la presse papier, 10 % au Web, et 10 % à la radio et l’affichage. En 2016, seule la part de la radio et de l’affichage s’est stabilisée. Celle du petit écran a reculé de 5 ou
6 points, pour s’établir autour de 40 %, tandis que celle des journaux et des magazines s’est effondrée à environ
25 %. Le segment digital, en revanche, a connu une forte croissance, attirant entre 20 et 25 % des budgets publicitaires.
Ces tendances devraient s’accentuer cette année. Le Web va continuer de gagner des parts de marché au détriment de la télévision, mais surtout de la presse écrite, dont les budgets pourraient baisser de 30 à 40 % en 2017. La télévision est définie comme la consommation d’un contenu vidéo suivant une grille de programme déterminée quel que soit le support (télévision, tablette, téléphone), tandis qu’une consommation de vidéos sans date ou heure fixes entre dans la catégorie digitale.
Selon nos estimations, à l’horizon 2020, ces deux segments concentreront 70 à 75 % des dépenses publicitaires. Les supports papier en revanche représenteront moins de 10 % du marché.
La presse écrite est-elle en voie de disparition ?
Certains titres vont sans doute disparaître, les autres vont devoir se réinventer pour passer à l’ère du digital. La transition numérique impose des changements radicaux. Il ne s’agit pas de transposer simplement le contenu du papier sur le Web. Il faut revoir l’offre et l’adapter aux nouveaux besoins, que ce soit à travers un changement de rythme, le développement de formats différents comme la vidéo, ou l’intégration des réseaux sociaux tels que Twitter ou Snapchat.
Les rédactions doivent se doter de journalistes polyvalents et des investissements importants doivent être réalisés. Certains quotidiens émiriens, comme al-Bayan ou Emarat al-Yaoum, s’y sont mis il y a déjà trois ou quatre ans et leur stratégie commence aujourd’hui à porter ses fruits.
Mais le modèle économique sur le Web reste difficile à trouver ?
Effectivement, un dollar de publicité perdu dans le papier n’est pas intégralement récupéré par la publicité en ligne, d’où la nécessité de changer d’échelle, de “scale-up”, comme on dit dans le monde des start-up.
Pour trouver un équilibre, les journaux doivent accroître leur audience sur Internet en misant sur deux tendances importantes : la portée de la langue arabe et une forte demande pour le contenu local. L’arabe est un vecteur-clé de développement régional, alors que l’anglais ou le français resteront des marchés de niche. Au niveau du contenu, les technologies permettent aujourd’hui de proposer des informations ciblées selon l’audience et les médias doivent en profiter. Mais il faut se doter des outils et des ressources nécessaires, et cela engendre évidemment des coûts additionnels. La hausse des coûts peut être compensée par celle des revenus, à condition que l’audience augmente de façon exponentielle. C’est un pari à faire.
Avec des dépenses publicitaires en baisse, comment les journaux libanais, en particulier, peuvent-ils financer leur transition digitale ?
La presse libanaise passe par une période très difficile, comme en témoigne la disparition d’un titre phare comme as-Safir.
Malheureusement, à défaut de stratégie claire et d’investissements, d’autres quotidiens suivront. C’est le moment pour les propriétaires de journaux d’entamer sérieusement la transition digitale et d’injecter les capitaux nécessaires, même si les perspectives paraissent sombres. En temps de crise, le facteur temps est essentiel. Il faut investir aujourd’hui pour être prêt lorsque le marché se redressera. Des titres historiques comme an-Nahar par exemple bénéficient d’une réputation et d’une image de marque qui peut faciliter leur développement régional. Mais l’effort ne peut pas venir des seuls actionnaires. Le gouvernement doit lui aussi se mobiliser pour sauver une industrie dont le Liban a été pionnier dans la région.
Comment le groupe Choueiri a-t-il engagé le virage du numérique ?
La société DMS (Digital Media Service), la filiale digitale du groupe, a été créée en 2011. À l’époque, nous représentions surtout des médias traditionnels, mais nous savions qu’il fallait développer nos compétences dans le numérique. Nous avons recruté des talents et mis en place une stratégie qui nous a permis de capter une nouvelle clientèle, et d’accompagner nos clients traditionnels dans leur transition. Nous les avons notamment aidés à adapter leur offre et proposer des contenus sponsorisés, comme les publicités natives. Avec ses 120 salariés, DMS est aujourd’hui le troisième acteur le plus important de la publicité en ligne dans la région, après Google et Facebook. Sa part dans le groupe évolue de façon exponentielle. D’ici à 2020, elle devrait contribuer à près de 40 % de notre chiffre d’affaires.
Une régie a-t-elle encore sa place à l’ère de la publicité programmatique (NDLR : la vente de manière automatisée grâce à des algorithmes) ?
Nous avons su réinventer notre valeur ajoutée, car nous connaissons la région et nous parlons son langage. Le groupe a lancé un des plus grands centres de mégadonnées (big data) du monde arabe. Ces données relatives aux médias que nous représentons sont analysées par des spécialistes, ce qui nous permet de mieux cerner les attentes des consommateurs arabes, et de proposer un meilleur “profiling” que des géants comme Facebook et Google. DMS est aussi la seule entreprise du monde arabe à avoir un partenariat avec MOAT, une société américaine de mesure d’audience, auditée par le Media Rating Council, un organisme de référence aux États-Unis. Nous garantissons à nos clients une transparence totale sur la visibilité de leurs publicités en ligne et l’environnement dans lequel elles sont placées. Cela répond à une attente fondamentale des annonceurs, comme l’a révélé récemment l’affaire du boycott de YouTube.
Les annonceurs vs Google La vente et l’achat d’espaces publicitaires sur Google, ou sa filiale YouTube, comme ceux de Facebook ou AOL sont régis par un système automatisé basé sur des algorithmes. Mais une enquête publiée en mars par le quotidien britannique The Times a montré les limites de ce système. Le journal révèle que des publicités d’organisations publiques et de grands groupes internationaux se sont retrouvées associées sur YouTube à des contenus violents ou racistes. La filiale britannique du groupe de communication Havas a été la première à réagir, annonçant le retrait des budgets de plusieurs de ses clients sur la plate-forme, suivie par des dizaines d’autres entreprises au Royaume-Uni et aux États-Unis. Cinq des vingt plus gros annonceurs américains ont ainsi rejoint le boycott, dont le coût a été estimé par Nomura Instinet à 755 millions de dollars de manque à gagner pour Google en 2017. Cette affaire s’inscrit dans un climat de défiance croissante des annonceurs à l’égard des géants de la publicité en ligne, Google et Facebook, accusés de manque de transparence et de laxisme dans la gestion des contenus. Pour rassurer le marché, les deux entreprises ont accepté de se soumettre à des mesures de visibilité et d’audience, réalisées par des entreprises tierces et auditées par le Media Rating Council. Google a également annoncé, début avril, un nouveau système de détection des vidéos inappropriées et de contrôle de la publicité. |