Le gouvernement a augmenté de 2 % les cotisations à la branche maladie de la CNSS. Cette mesure est justifiée officiellement par l’extension de la couverture santé aux retraités, dont le nombre ne dépassera pas 4 000 dans les cinq prochaines années.
La plupart des employeurs et des employés ne le savaient pas, mais une partie de leurs contributions à la Caisse nationale de Sécurité sociale (CNSS) a augmenté depuis le 16 février. Une décision, parue le 20 juillet 2017 au Journal officiel, impose une hausse des cotisations patronales et salariales à la caisse maladie de +1 %, avec un effet rétroactif, pour tous les salaires compris entre 650 000 livres et 2,5 millions de livres. Raison invoquée ? Le financement de l’extension de la couverture santé aux retraités. Cette extension, votée le 19 janvier dernier au Parlement, est « une avancée sociale majeure », commente Mohammad Karaki, directeur général de la CNSS, dont les services ont porté cette réforme sur les fonts baptismaux. Mais cette avancée a un coût, qui sera supporté en partie par les retraités eux-mêmes. Ces derniers devront en effet y contribuer à hauteur de 9 % du salaire minimum, soit 40 dollars par mois. Le reste sera supporté par les 612 000 salariés et 52 000 entreprises adhérentes. « La cotisation mensuelle maladie et maternité des salariés passera de 2 à 3 % de leur rémunération, et celle des employeurs passe de 7 à 8 % du salaire de base », précise Mohammad Karaki. Ainsi, ces cotisations s’établissent désormais à 11 % (contre 9 % auparavant) du salaire de base, tandis que les allocations familiales et les indemnités de fin de service demeurent, elles, inchangées. En tout, les charges représentent désormais 25,5 % du salaire (contre 23,5 % auparavant). « L’octroi d’une couverture santé au retraité est une nécessité sociale, indépendamment de son coût », estime Mohammad Karaki.
Peu de données
Si la mesure est louable, ses implications soulèvent toutefois de nombreuses questions. « Personne n’est contre une telle mesure a priori, mais l’absence de données accessibles au public – combien cela va coûter ? Pour qui ? Quels seront les niveaux de prestations ?... – rend nécessairement suspicieux », souligne Fouad Zmoghol, du Rassemblement des dirigeants et des chefs d’entreprise libanais (RDCL). Difficile, en effet, d’analyser les enjeux financiers derrière cette hausse des charges salariales. La CNSS ne communiquant que des données parcellaires, on ignore quel sera l’impact de cette couverture santé seniors sur le budget global de la CNSS ni sur le déficit de sa branche “maladie et maternité”, qui s’est élevé à 271,3 millions de dollars en 2016. Explosion des dépenses santé
Explosion des dépenses santé
L’enjeu est pourtant de taille : les dépenses de santé sont en surchauffe au Liban. Selon la Banque mondiale, elles sont passées de 361 dollars par habitant en 1995 à 621 dollars en 2011, contre une moyenne régionale de 220 dollars. Sans parler de la hausse des dépenses liée au vieillissement de la population. Or les statistiques collectées dans d’autres pays montrent une explosion des frais de santé au moment de la retraite : hospitalisations fréquentes, traitements coûteux, maladies chroniques, besoins supérieurs en optique et soins dentaires... L'âge entraîne une inexorable hausse des dépenses de santé. En France, par exemple, un homme âgé de 25 à 45 ans dépense chaque année en moyenne 1 300 euros pour ses frais de santé (hors prise en charge des mutuelles). Cette somme grimpe à 6 000 euros pour une personne de plus de 75 ans ! La combinaison d’un vieillissement de la population, qui entraîne un accroissement des dépenses, et d’une crise économique, qui pourrait au contraire réduire les recettes, ne semble pourtant pas inquiéter la CNSS. Son directeur général assure que « l’extension de la couverture santé ne devrait pas avoir d’incidence financière sur les 20 à 25 prochaines années. La hausse des cotisations sociales devrait au contraire nous aider à résorber le déficit de la caisse maladie, dans un premier temps au moins ». « Une hausse de deux points supplémentaires nous permettrait même d’équilibrer nos comptes », ajoute-t-il. À se demander d’ailleurs si tel n’est pas l’enjeu véritable de cette mesure. Car lorsqu’on se penche sur les estimations fournies par la CNSS, on s’aperçoit que l’extension de la couverture ne concerne à ce jour qu’une frange très réduite de la population : si on en croit ses projections, entre 3 000 et 4 000 retraités seulement pourraient bénéficier à un horizon de cinq ans, soit 0,6 % du nombre de bénéficiaires actuels (612 000). « Conjoints ou enfants, rattachés aux comptes des adhérents, ne sont toutefois pas pris en compte dans ces estimations », précise Mohammad Karaki. Ce nombre réduit de bénéficiaires s’explique par les nombreuses restrictions imposées dans la loi elle-même. Pour qu’un retraité soit éligible à l’assurance maladie, il faut d’abord qu’il soit employé du secteur privé ou d’institutions publiques (comme Ogero, la Banque du Liban…), avec plus de 20 ans de cotisation à la CNSS. Il faut ensuite que son départ de la vie professionnelle (entre 60 et 64 ans, selon les cas) s’effectue ou se soit effectué après le 16 février 2017, date de la publication de la loi au Journal officiel. La loi ne se contente pas de limiter le nombre de bénéficiaires, elle va jusqu’à exclure certaines catégories. Un phénomène « grave », aux yeux de Michel Kadige, avocat, spécialiste de la CNSS, chargé d’enseignement à l’Université Saint-Joseph : « La loi brise de ce fait le principe d’égalité entre tous les citoyens, dont la constitution est normalement garante. » Premiers lésés ? Les retraités, dont la fin de carrière a pris effet avant le 16 février 2017 (date de la promulgation de la loi). De même, certaines catégories comme les chauffeurs de taxi, les médecins ou les professeurs des écoles privées en sont privés. « Soit tous ceux qui ne cotisent pas à l’ensemble des trois branches de la CNSS (maladie et maternité ; allocations familiales ; indemnités de fin service, NDLR) », justifie son directeur général. Le nombre de retraités couverts devrait néanmoins croître à un rythme régulier, pour atteindre 70 000 à 80 000 bénéficiaires d’ici à 20 à 25 ans, selon la CNSS.
La CNSS en quelques chiffres
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