Un texte visant à renforcement la transparence dans le secteur des hydrocarbures est à l'étude au Parlement. Entretien avec l’initiateur de cette proposition de loi, Joseph Maalouf, député des Forces libanaises.

Ni les offres du consortium ni le rapport d’évaluation de l’Autorité de l’énergie n’ont été publiés jusque-là, malgré l’insistance de la société civile. Le ministre de l’Énergie ne s’est pas non plus engagé à publier les contrats signés, comme le recommande l'Initiative pour la transparence dans les industries extractives. Le Liban a pourtant annoncé son intention d’adhérer à cette initiative…

L'Initiative pour la transparence dans les industries extractives (EITI) instaure un partenariat entre les autorités, les compagnies pétrolières et les organisations de la société civile. Pour que ce mécanisme soit effectif, il faut une législation, car une partie des mesures préconisées ne sont en réalité que des recommandations. C’est l’objectif de la proposition de loi de renforcement de la transparence dans le secteur des hydrocarbures, qui impose à l’État une série d’obligations, notamment en matière de publication d’informations. La proposition de loi comporte une liste de tous les documents et les informations que chaque institution est tenue de publier et de diffuser. Le Conseil des ministres est tenu de publier les contrats d’exploration et de production signés avec les compagnies pétrolières, et le plan de développement et de production, à l’exception des données géophysiques pouvant impacter la compétitivité des sociétés. Le ministère de l’Énergie doit publier toutes les licences d’exploration et de production attribuées. L’Autorité de l’énergie (LPA) est tenue de publier régulièrement les informations relatives aux travaux d’exploration et de creusement des puits, à la superficie des blocs exploitée ou pas par le consortium, aux activités de production, de stockage, de transport et de vente, ainsi qu’aux études sur la qualité sanitaire, la sécurité et l’environnement. Le ministère des Finances, quant à lui, doit publier la valeur des taxes et des impôts collectés. Enfin, les compagnies pétrolières sont tenues de publier leur part dans les revenus pétroliers, la quantité des royalties versées à l’État, leurs rapports annuels sur la production, la méthodologie adoptée pour la fixation des prix de vente des hydrocarbures offshore et la quantité vendue. Les députés et la société civile pourront ainsi assurer le suivi avec les acteurs concernés.

Où en est actuellement cette proposition de loi ?

Une sous-commission parlementaire a effectué une dernière relecture du texte le 11 décembre en présence des représentants des ministères des Finances, de la Justice, de l’Énergie, des membres de l’Autorité de l’énergie (LPA) et des experts. Nous allons ensuite transférer la proposition de loi à la commission de l’Énergie, et organiser des rencontres avec les organisations de la société civile et la presse. Puis, le texte sera envoyé à la commission de l’Administration et de la Justice pour une dernière relecture. Une fois ces étapes accomplies, le président de la Chambre, Nabih Berry, pourra alors l’inscrire à l’ordre du jour de la session plénière.

Ne sera-t-il pas trop tard pour la première phase d’attribution des licences, puisque les contrats auront déjà été signés ?

Non, car la loi aura un effet rétroactif. Elle concernera toutes les étapes, de la préqualification à l’arrêt des travaux et le démantèlement des équipements en passant par l’exploration et la production.

Outre la publication des contrats, l’EITI préconise celle de la liste des bénéficiaires finaux des compagnies pétrolières. Est-ce également prévu dans la proposition de loi sur la transparence ?

Le texte fait référence au registre pétrolier (un registre du commerce propre au secteur) qui est actuellement en préparation par l’Autorité de l’énergie. Toutes les sociétés, y compris les sous-traitants, sont concernées par l’obligation de publier la liste des bénéficiaires finaux quelle que soit leur part dans le capital.

Vous avez confié précédemment que le texte a été amendé plus d’une dizaine de fois. Quels sont les articles qui ont fait l’objet de discussions ? Pensez-vous qu’il y a aujourd’hui un consensus politique autour du vote de cette loi ?

Oui, il y a un réel consensus politique auprès de l’ensemble des coalitions parlementaires pour que la loi soit votée. Il y a un soutien total pour la transparence au regard de l’importance du secteur, de la remise en cause de la crédibilité des hommes politiques par l’opinion publique et du niveau élevé de la corruption dans le pays. Nous avons effectué des dizaines d’amendements et de réunions. Il fallait notamment s’assurer que la loi soit conforme à la loi-cadre de 2010 sur les hydrocarbures offshore, à ses décrets d’application ainsi qu’à la loi sur la lutte contre la corruption. Les points les plus discutés étaient relatifs au contrôle et au droit de porter plainte de la société civile. Il y avait une forte résistance de la part des députés, toutes coalitions politiques confondues. J’ai expliqué que le contrôle du Parlement était certes important, mais qu’il fallait renforcer de manière effective le rôle de la société civile et des citoyens.

Dans quelles conditions la société civile pourra-t-elle exercer son droit à porter plainte ?

Toute organisation locale issue de la société civile aura le droit de porter plainte si elle considère qu’il y a un cas de corruption dans le secteur. Néanmoins, nous avons mis en place un certain nombre de conditions pour garantir le sérieux de ces plaintes, car le secteur est très sensible. La justice pourrait ordonner l’arrêt des travaux le temps de l’enquête, ce qui causerait des pertes colossales pour les compagnies pétrolières. L’association doit donc inclure au minimum trois personnes spécialistes dans le secteur des hydrocarbures et/ou diplômées dans le domaine, et qui ont plus de 25 ans. L’association doit également effectuer un dépôt de sécurité équivalent à 15 fois le salaire minimum (soit environ 6 750 dollars) qui servira à régler les dédommagements dans le cas où la justice estime qu’il n’y a pas de corruption. Dans le cas contraire, où des faits de corruption sont avérés par l’enquête judiciaire, alors les dédommagements seront versés au fonds souverain.

Ces conditions ne risquent-elles pas d’exclure la majorité des associations libanaises, qui ne sont pas spécialisées dans le domaine des hydrocarbures ?

Les associations qui ne sont pas spécialisées dans le domaine, mais qui luttent contre la corruption en général pourront recruter des spécialistes. Nous n’avons pas inclus de critère d’ancienneté. On veut pouvoir contrôler le secteur, mais pas le paralyser. Il faut garantir le sérieux des plaintes.

Qu’en est-il de la prévention des conflits d’intérêts entre dirigeants politiques et compagnies pétrolières ?

Nous avons défini les personnes, ainsi que leur premier entourage familial (parents, conjoint et enfants), qui ne sont pas autorisées à investir dans le secteur ou à travailler au sein des compagnies pétrolières et des sociétés de service. Il s’agit du président de la République et ses conseillers, du président du Parlement et ses conseillers, du Premier ministre et ses conseillers, des ministres et des directeurs généraux des ministères, des députés, des membres du Conseil d’État, de la Cour des comptes et de l’Inspection centrale, des dirigeants de partis politiques, des responsables des appareils sécuritaires, des présidents des établissements publics et semi-publics... Les compagnies pétrolières doivent également publier les noms des associations à qui elles versent des aides ainsi que les montants de ces aides, dans le cadre de leurs programmes de Responsabilité sociétale des entreprises (CSR) et d’entrepreneuriat social. 


Ce que l’on sait à ce stade

- Deux contrats d’exploration et de production seront signés avant février 2018 entre l’État libanais et le consortium mené par le groupe français Total (40 %) avec l’italien Eni (40 %) et le russe Novatek (20 %).

- Les deux blocs de la Zone économique exclusive (ZEE) libanaise attribués au consortium sont les blocs 4 (au centre) et 9 (au sud).

- Les travaux commenceront en 2018 et le forage des puits dès 2019.

- Pour le bloc 4, le consortium s’était engagé dans son offre à creuser deux puits lors des deux phases d’exploration (trois ans, puis deux ans), en se gardant la possibilité de creuser un troisième. Suite aux trois jours de négociations techniques menées fin novembre, le ministre de l’Énergie, César Abi Khalil, a obtenu du consortium l’engagement de creuser trois puits.

- Pour le bloc 9, le consortium s’est engagé à creuser deux puits lors des deux phases d’exploration.

- Dans le cas où l’exploration aboutit à des découvertes commercialisables, le consortium débutera la phase de production. Les revenus générés seront ponctionnés à hauteur de 4 % pour le compte de l’État (royalties).

- 60 % des revenus restants seront alloués au remboursement des investissements réalisés par le consortium (cost petroleum) pour le bloc 4 et 65 % pour le bloc 9. Le reste (profit petroleum) sera partagé entre l’État et le consortium.

- Pour le bloc 4, la part de l’État dans le profit oil variera entre 65 et 71 % en fonction de la quantité de la production et son prix. Pour le bloc 9, la part de l’État variera entre 55 et 63 %.

- Les bénéfices réalisés par les compagnies pétrolières sont soumis à un impôt de 20 %.


Le fonds souverain à l’étude au Parlement

Une commission parlementaire ad hoc a été créée le 12 décembre, sur décision des commissions mixtes, pour examiner et reformuler le projet de loi relatif à la création d’un fonds souverain, dont la première version a été rédigée par l’Autorité de l’énergie (LPA) et le ministère des Finances. La création d'un fonds souverain est prévue par la loi-cadre de 2010 sur l'exploitation des ressources pétrolières offshore. Cette commission, qui sera présidée par le député Ibrahim Kanaan (CPL), sera aussi chargée d’étudier la proposition de loi sur la création d'une direction générale des actifs pétroliers rattachée au ministère des Finances, soumise en octobre dernier par le député Yassine Jaber (Amal). Les commissions mixtes ont également décidé de la création de deux autres commissions ad hoc. Une commission présidée par le député Joseph Maalouf (Forces libanaises) pour étudier la proposition de loi visant à encadrer la gestion des ressources pétrolières onshore. Le texte avait été soumis au Parlement en août 2016 par le député Mohammad Kabbani (Futur). Une autre, présidée par le député Yassine Jaber, devra plancher sur la création d’une société pétrolière nationale. Sa création est également prévue par la loi-cadre de 2010, mais elle est conditionnée à la réalisation de découvertes d’hydrocarbures en quantités commercialisables.