Sous l’action conjuguée de l’eau de pluie et de la fermentation naturelle, les décharges produisent une fraction liquide appelée lixiviat. Ce “jus de poubelles”, très toxique, doit être soigneusement collecté et traité, ce qui est loin d’être le cas au Liban.
Le Liban a commencé à traiter les lixiviats – “les jus” – produits par quelques décharges, mais il est encore très loin d’avoir mis en place une gestion efficace de ce problème à l’échelle nationale. C’est le constat dressé par les participants à une conférence organisée dans le cadre du programme européen “Sustainable Water Integrated Management and Horizon 2020 Support Mechanism” (SWIM – H2020 SM) fin juin. L’objectif de ce programme est de limiter la pollution marine en aidant les pays arabes du bassin méditerranéen à traiter les eaux usées et les lixiviats, avant de les déverser dans la mer. L’enjeu est de taille au Liban où ces liquides, produits sous l'action conjuguée de l'eau de pluie et de la fermentation des déchets, sont particulièrement toxiques. L’un des critères utilisés par les scientifiques pour évaluer la pollution d’une eau – et son impact sur l’environnement en cas de rejet – est la demande biochimique en oxygène. Selon le ministère libanais de l’Environnement, elle est d’environ 500 milligrammes par litre (mg/l) pour les eaux usées, contre près de 50 000 mg/l pour les lixiviats !
Si les déchets libanais sont aussi dangereux, c’est à cause de leur composition. « Plus la quantité de déchets organiques enfouis est grande et plus la quantité de liquides générés est importante, explique Anas Hijazi, ingénieur auprès de la société Aljihad for Commerce and Contracting (JCC) qui gère la décharge de Costa Brava. Or, en l’absence d’un tri efficace, les matières organiques se retrouvent dans les décharges mélangées avec des batteries ou des appareils électroniques riches en métaux lourds, ce qui augmente le niveau de toxicité des lixiviats. »
L’infiltration de ces jus dans les sols et une contamination des nappes phréatiques « auraient de graves conséquences pour la santé publique », souligne de son côté le fondateur de l’association Terre-Liban et président du Mouvement écologique libanais Paul Abi Rached. D’où la nécessité d’installer des membranes imperméables au fond des décharges pour collecter les lixiviats.
Mais sur les 941 décharges recensées par le ministère de l’Environnement, seules sept en sont dotées : celles de Costa Brava, Bourj Hammoud, Hbaline, Bsalim, Naamé, Zahlé et Bar Élias, tandis que trois autres sont en construction (à Baalbeck, Jeb Jannine et Srar).
Selon certains experts, les normes en matière d’isolation ne sont toutefois pas toujours respectées, y compris dans les décharges les plus récentes, dites “contrôlées et sanitaires”. L’activiste et consultant en environnement, Naji Kodeih, affirme par exemple que « la paroi ouest (côté mer) sur le site de Costa Brava n’est pas totalement imperméable, et qu’une partie des lixiviats s’infiltre dans la mer ». Le problème ne se limite néanmoins pas à la collecte. Au niveau du traitement, le pays vient à peine de se doter de quelques infrastructures modernes. Le traitement des lixiviats est une opération complexe, qui nécessite des procédés techniques et des investissements importants, permettant d’obtenir d’une part de l’eau propre, rejetée dans la nature, et de l’autre de la boue classée “déchets dangereux” (hazardous waste) remise en décharge.
Mais au Liban la plupart des décharges dotées de membranes ont opté pour des solutions bon marché et temporaires, permettant simplement de réduire le volume des lixiviats. À Zahlé et Bar Élias, par exemple, les liquides sont soumis à évaporation dans des bassins étanches, un procédé peu coûteux, qui favorise néanmoins une contamination de l'air notamment par les métaux lourds comme le mercure et des nuisances olfactives.
La décharge de Naamé, aujourd’hui fermée, avait mis en place en 1998 un système de traitement chimique des lixiviats. Mais ce traitement était primaire et les liquides étaient ensuite transportés par camions-citernes vers la station d’épuration des eaux usées de Ghadir, qui n’est pas équipée pour les traiter, et déversés dans la mer.
À partir de 2016 et jusqu’à récemment, cette station a accueilli aussi les lixiviats générés par la nouvelle décharge de Costa Brava, qui, selon plusieurs sources, étaient rejetés dans la mer sans avoir subi aucun traitement spécifique. Ce n’est qu’il y a quelques mois que la décharge s’est dotée d’une installation dernier cri adoptant en phase finale la technologie d’osmose inverse. Conçue pour accueillir 120 mètres cubes de lixiviat par jour (m³/j), l’usine n’en reçoit pour l’instant que 10 à 20 m³/j. Ce faible volume s’explique par la jeunesse du site – et devrait donc augmenter à terme – mais aussi par la décision d’orienter la plus grande partie des déchets organiques vers Bourj Hammoud afin d’éloigner les oiseaux du périmètre de l’aéroport.
La deuxième décharge créée dans le cadre du plan d’urgence de 2016 a, elle aussi, inauguré en début d’année deux nouvelles usines de traitement du lixiviat d’une capacité de 120 m³/j chacune. Elles reçoivent un volume de 50 à 60 m³/j chacune. Une fois le processus achevé, l’eau propre est évacuée dans la mer et la boue restante remise en décharge.
La création de ces usines a été saluée par les spécialistes du programme européen, notamment celle de Costa Brava qui est « l’une des premières dans la région à utiliser la technologie d’osmose inversée pour traiter les lixiviats », s’est félicité l’un d’entre eux, Ahmad Gaber. Mais le chemin à parcourir est encore long, que ce soit pour mettre aux normes les dizaines de décharges sauvages ou pour réduire significativement la quantité de lixiviat générée, et donc les coûts associés.
Pour l’expert libanais, Habib Maalouf, les lixiviats ne sont qu’une facette d’un système de gestion des déchets voué à l’échec. « Le Liban n’a toujours pas de politique nationale visant à contrôler le recours aux décharges et à favoriser le compostage et le recyclage à travers la mise en place d’un tri efficace des déchets », déplore-t-il.