Fragilisée, la presse fait face à la chute de sa diffusion papier, à la baisse de ses recettes publicitaires et à la concurrence d'internet. À celles-ci s’ajoute un énorme défi : redorer le blason d’un métier en manque d’indépendance et de crédibilité.
Le quotidien panarabe al-Anouar, propriété du groupe Dar as-Sayad, a définitivement fermé le 1er octobre. Fondé en 1959, al-Anouar arrête son édition papier. L’édition web ne devrait pas non plus survivre. Cette décision affecte également la plupart des magazines du groupe, né au moment de l’indépendance du pays, en 1943, à l’instigation de l’écrivain Saïd Freiha. Parmi les titres concernés : les hebdomadaires politiques as-Sayad (1943) et al-Idari (1975) ainsi qu’al-Chabaké (1957) qui couvrait la vie artistique et mondaine libanaise, voire régionale. Le féminin Feyrouz (1981) et le mensuel masculin al-Farès (1985) connaissent le même couperet final.
Mauvaise passe
La fermeture de ces titres, qui comptaient environ 80 employés, dont 30 à 35 journalistes, d’après le quotidien L’Orient-Le Jour, est liée à des grosses «pertes financières», selon un responsable du groupe qui n’a pas souhaité apporter davantage de précisions quant aux montants en jeu ni au nombre de salariés licenciés. Mais la fin d’al-Anouar n’a rien d’un cas isolé. Elle est la dernière en date d’une longue série de médias, morts sur le champ d’honneur.
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Responsable ? Plusieurs facteurs qui, cumulés, ont un effet dévastateur. Depuis une petite décennie, la presse écrite traverse en effet une crise conjoncturelle et structurelle, dont certains maux sont spécifiques au Liban (ou au monde arabe). «Les médias libanais vivent une crise existentielle profonde, dont les racines sont multiples, à la fois mondiales et locales», justifie Michel Helou, directeur exécutif de L’Orient-Le Jour, actionnaire principal du Commerce du Levant.
Une crise économique qui aggrave
La difficile survie du Hayat, qui a fermé en juin la plupart de ses bureaux, dont celui de Beyrouth, pour se replier sur les pays du Golfe, les difficultés financières croissantes d’an-Nahar ou la fermeture d’as-Safir en 2016 fournissent autant d’exemples récents de cette lente agonie. «La conjoncture économique actuelle constitue un accélérateur de feu », reprend Michel Helou, dont le quotidien qu’il dirige a augmenté son prix le 15 octobre et est passé à 3 000 livres libanaises en kiosque.
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C’est aussi cette crise qui a poussé an-Nahar à publier un numéro de huit pages blanches à la place de son édition du 11 octobre. «Notre appel est un signe de protestation face aux conséquences de la crise politico-économique que la presse libanaise subit», a justifié Nayla Tuéni, directrice du quotidien, lors d’une conférence de presse.
L’appel à l’aide sera-t-il entendu ? Pas si sûr : depuis un peu plus d’un an, le ministre de l’Information, Melhem Riachi, plaide pour la mise en place d’exonérations à destination du secteur de la presse écrite : exemptions fiscales, exemptions douanières sur l’importation de papier, tarifs réduits pour les factures de téléphone et d’internet, facilités au niveau des cotisations à la Sécurité sociale (CNSS)… Sans oublier un soutien équivalent à 500 livres libanaises par numéro vendu.
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Mais le Parlement fait la sourde oreille et les propositions du ministre sont, pour l’heure, restées lettre morte. «À court terme, l’idée est bonne, mais ce ne sont pas des mesures pérennes», avance Ayman Mehanna, directeur de Skeyes, une association qui milite pour la liberté des médias. Dans d’autres pays, la France en particulier, la presse écrite bénéficie depuis très longtemps de subventions. Pour un résultat mitigé : ces aides n’ont jamais permis d’enrayer la baisse du lectorat ni la diminution du nombre de titres et, partant, la concentration du secteur aux mains de quelques acteurs seulement.
Révolution internet
Croire que des aides financières pourraient à elles seules sauver la presse libanaise revient à méconnaître les causes plus profondes de sa descente aux enfers. Davantage qu’une simple mauvaise passe économique, c’est la montée en puissance du numérique qui a entraîné un changement radical de rapport à l’information. «Les informations disponibles gratuitement en ligne ont affecté les ventes de journaux papier», rappelle Michel Helou.
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Partout, dans le monde, la diffusion de la presse papier payante ne cesse de baisser : aux États-Unis, par exemple, des études évoquent une chute de près de 40 % de l’audience des quotidiens (papier). Aujourd’hui, la plupart d’entre eux, concurrencés par des sites en ligne, ne parviennent pas à compenser les pertes de leur version papier par les gains des abonnements aux versions numériques.
La baisse de la diffusion – même si la diffusion exacte des titres libanais reste un secret jalousement gardé – allant de pair avec le repli des recettes publicitaires. Les chiffres sont difficiles à obtenir. Toutefois, dans les milieux autorisés, on parle d’une chute de 15% chaque année des budgets publicitaires consacrés à la presse écrite régionale depuis 2016.
Inventer un nouveau modèle
Pour les journaux, l’urgence est là. Il s’agit de trouver un nouveau modèle économique et de changer leur stratégie éditoriale s’ils ne veulent pas finir entreposés au musée. «La transition numérique impose des changements radicaux. Il ne s’agit pas de transposer simplement le contenu du papier sur le web. Il faut revoir l’offre et l’adapter aux nouveaux besoins, que ce soit à travers un changement de rythme, le développement de formats différents comme la vidéo, ou l’intégration des réseaux sociaux tels que Twitter ou Snapchat, rappelait Pierre Choueiri, PDG du groupe Choueiri, dans un entretien au Commerce du Levant en mai 2017. Les rédactions doivent se doter de journalistes polyvalents et des investissements importants doivent être réalisés.»
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Problème ? Leur liberté d’entreprendre, les médias libanais ne la maîtrisent pas. Adossés pour la plupart à l’argent de partis politiques ou celui de “pays amis” (l’Iran ou naguère la Libye d’un côté ; l’Arabie saoudite et les pays du Golfe de l’autre) qu’ils perçoivent, leur marge de manœuvre éditoriale s’en trouve limitée et leur crédibilité assez largement entachée. «Les journaux ne sont pas indépendants au Liban. Ils bénéficient de l’argent politique. Ce sont ces sources-là qui décident s’ils veulent garder un journal “en vie” ou pas», assène Ayman Mehanna.
Or, aujourd’hui, pour ces pays aussi la crise frappe aux portes. Les grands parrains réduisent la voilure et se désengagent de domaines qu’ils jugent désormais accessoires. « La presse libanaise a perdu de son attrait pour ces régimes qui peuvent faire passer leurs messages par leurs propres médias », explique Georges Sadaqa, doyen de la faculté de l’information à l’Université libanaise. La chaîne de télévision al-Jazira, fondée en 1996, par exemple, a su fédérer un public autrefois lecteur d’al-Hayat ou d’al-Anouar, tandis que “l’info facile” sur les réseaux sociaux séduit la jeunesse.
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Faudra-t-il regretter une presse papier pétrie de parti pris, phagocytée de surcroît par l’argent politique et qui prône un journalisme souvent superficiel ? Au regard des fakes news ou des intox qui circulent sur le web, il se pourrait bien que oui. «Nous devons réitérer les principes de la déontologie journalistique, établir clairement la distinction entre publi-rédactionnel et vrai article pour redonner confiance aux lecteurs», veut croire Michel Helou.
Et d’espérer qu’une frange de la population soit toujours en quête de meilleurs supports d’information et de réflexion les suivent dans leur “refondation”. On doit l’espérer. Car une société a d’autant plus de chance de bien se porter, à terme, qu’elle possède les outils pour contrecarrer efficacement la tendance naturelle à voir la mauvaise information chasser la bonne.