C’est un mini séisme au Japon mais aussi au Liban qui voit l’une des figures de réussite les plus emblématiques de sa diaspora vaciller. Après vingt-deux ans au sommet de l’industrie automobile mondiale, le président non exécutif du constructeur japonais Nissan, Carlos Ghosn, se retrouve aujourd’hui sérieusement menacé par la justice de son archipel d’adoption.
Ce dernier aurait, conjointement avec un autre dirigeant du groupe, Greg Kelly, fait de déclarations erronées au fisc japonais en minimisant sa rémunération, soupçonne le bureau du parquet de Tokyo.
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En quittant ses fonctions de directeur général de Nissan en 2017, le patron avait pourtant accepté une baisse de sa rémunération à l’équivalent de 6,5 millions de dollars en 2017, soit 33% de moins que les 1,1 milliard de yens touchés en 2016 pour son travail aux rênes du géant de l’automobile, membre de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, deuxième constructeur automobile mondial en 2017.
En France, où Carlos Ghosn, 64 ans, est depuis 2005 PDG de Renault, le chef d’entreprise avait en revanche refusé de céder aux pressions de son conseil d’administration et de ses actionnaires, dont le gouvernement français, qui en détient 15%. L’annonce de sa rémunération de quelque 8,5 millions de dollars en 2017, jugée importante voir démesurée, avait ainsi écorné son image.
Un PDG star au Japon
Au Japon, sa rémunération en tant que PDG de Nissan avait fait de Carlos Ghosn l’un des patrons les mieux payés de l’Archipel. Mais, le talent « se paie », avait-il fait remarquer en septembre 2016 à une étudiante de l’Essec, une grande école de commerce française. Sa contribution au sauvetage spectaculaire et à la relance du fleuron national à partir de 1999, après l’acquisition d’une part de l’entreprise par Renault, a fait de ce diplômé de Polytechnique et de l’école des Mines de Paris une véritable star.
A juste titre : les ventes totales de l’Alliance ayant atteint en 2017 10,6 millions de véhicules, davantage que Toyota et General Motors.
« Il n'a pas seulement sauvé rapidement Nissan, il a fait ensuite de ce groupe allié à Renault et Mitsubishi Motors le deuxième acteur mondial du secteur, c'est dire la présence de cet homme », réagissait ainsi un éditorialiste sur la chaîne japonaise publique NHK, suite aux révélations de ses ennuis judiciaires.
En se basant sur des projections du premier semestre 2018, les ventes Renault-Nissan-Mitsubishi devraient atteindre 11 millions d'unités, faisant de l'Alliance le numéro un mondial du secteur.
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Il inflige pour cela un traitement de choc à l'entreprise. Trois usines sont fermées, 21 000 salariés débarqués, plusieurs milliards d’actifs sont cédés. Malgré tout, le « cost-killer » gagne rapidement le respect des Japonais. « Il a prouvé qu'il était l'un des nôtres, qu'il était un Nissan, pas envoyé par Renault pour tout imposer », analyse Hiroto Saikawa, nouveau codirecteur général du constructeur japonais, pour le quotidien français Les Echos.
Une force que ce Libano-Franco-Brésilien tire de son expérience très personnelle de la mondialisation. Son grand-père libanais, Béchara Ghosn, émigra précocement, à l’âge de treize ans, à Rio de Janeiro pour y faire fortune.
Très attaché au Liban
Né au Brésil en 1954, Carlos Ghosn repartit à l’âge de six ans au Liban avec ses parents, Jorge et Zetta, une Libanaise née au Nigeria. Il vivra onze ans à Beyrouth, jusqu’à ses 17 ans, où il obtiendra son baccalauréat chez les jésuites du collège Notre-Dame de Jamhour. « Ce sont des années importantes, pendant lesquelles on se construit. Elles font donc aujourd’hui partie de moi et je garde un contact étroit avec le Liban », avait-il expliqué dans un entretien au Commerce du Levant en 2005.
Propriétaire d’une résidence privée à Achrafié, Carlos Ghosn est actionnaire des vins Ixsir et est également associé au groupe Saradar dans des projets immobiliers notamment.
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« Ma multinationalité est sans aucun doute un atout pour diriger conjointement deux entreprises de dimension internationale, l’une basée à Paris, l’autre à Tokyo », affirmait le président du constructeur japonais en octobre 2005, dans une interview accordée au Commerce du Levant. C’est ce qui m’a aidé à « me faire accepter et adopter par les Japonais. »
Et « cette image du pionnier continue à m’inspirer, à me donner de l’élan et à relativiser les difficultés que je peux rencontrer », déclarait-il.