Des paillettes de la soirée d’inauguration du Lancaster Eden Bay à la noyade de Ramlet el-Baïda sous les eaux des égouts, récit des événements ayant mené aux impressionnantes inondations du 16 novembre et à la proposition de don d’un canal marin d’évacuation des eaux usées par le député Fouad Makhzoumi.
Solution inouïe pour une affaire rocambolesque. Le député de Beyrouth et homme d’affaires Fouad Makhzoumi a proposé mi-décembre à la municipalité de Beyrouth de mettre à sa disposition gratuitement l’expertise et les équipements de sa société Future Pipe Industries (FPI), le leader mondial des systèmes de canalisation en fibre de verre, basé à Dubaï.
Objectif : construire un canal d’évacuation des eaux usées en mer afin d’éviter à Ramlet el-Baïda de revivre la succession d’événements ayant mené au débordement spectaculaire de ses égouts en novembre.
« Ce canal long de deux kilomètres, dont une partie terrestre et l’autre en mer, assurera l’acheminement des eaux usées loin de la côte et leur dilution progressive au large », décrit Imad Makhzoumi, membre du conseil d’administration de FPI. Une solution technique, qui n’a pas vocation à répondre à l’enjeu du traitement des eaux usées. « À court terme, cette installation réglera le problème d’insalubrité de la plage. À plus long terme, si le réseau d’égouts classique finit par fonctionner, elle pourra servir de système de secours pour évacuer l’eau de pluie, voire l’eau traitée », se félicite Fouad Makhzoumi, PDG de FPI, qui possède deux maisons dans le quartier et affirme, en tant que Beyrouthin et élu politique, « vouloir trouver une solution au plus vite ».
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La valeur de ce don est estimée à environ un million de dollars par ses équipes. Si le projet est approuvé par la municipalité de Beyrouth et le Conseil des ministres, FPI affirme pouvoir fabriquer et livrer les pipelines en trois semaines seulement. Et « le chantier ne devrait pas prendre plus de trois à quatre semaines », selon Fouad Makhzoumi.
« La municipalité de Beyrouth n’aura plus qu’à payer un contractant pour la pose, et ce coût est moindre que celui de la production », assure-t-il.
Un cautère sur une jambe de bois
L’offre du milliardaire, élu au Parlement en 2018, intervient alors que la municipalité de Beyrouth vient de confier à la société de conseil en ingénierie Seatec, basée à Byblos, la réalisation d’un cahier des charges pour un projet similaire. Aucun appel d’offres « par des voies officielles » n’a cependant été émis, affirme une source à la Direction générale des adjudications de l’Inspection centrale. Selon nos informations, le coût de ce projet serait estimé à environ 10 millions de dollars.
Ces études et propositions interviennent un mois après que le luxueux hôtel Lancaster Eden Bay, détenu par Achour Holding, a été contraint de rouvrir le canal d’évacuation des eaux usées qu’il était parvenu à faire sceller l’été dernier au nord de sa façade, quelques jours avant sa soirée d’inauguration du 25 juin.
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Juste à temps, le groupe de l’entrepreneur Wissam Achour était en effet parvenu, sans que la municipalité de Beyrouth ne s’y oppose, à faire dévier les flux d’égouts à proximité de l’hôtel vers des canalisations plus au sud. Un système de vannes avait été installé afin de les réorienter. Le canal d’évacuation donnant sur la plage avait, lui, été fermé d’une chape de béton.
Mais on peut largement questionner la compétence des différents services intervenus dans cette prise de décision et sa mise en pratique, pour “rendre service” à Achour Holding. Riad al-Assaad, PDG du groupe South for Construction (SFC), ancien constructeur d’une partie du réseau d’assainissement, ne décolère pas devant l’ampleur des dégâts occasionnés. « Des représentants du Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) sont venus voir nos ingénieurs, pour le compte de Achour, mais nous avons refusé de participer », fait-il valoir.
« Nous savions que ces travaux auraient pour conséquence de rediriger une quantité importante des eaux usées et fluviales en provenance des quartiers de Mar Élias, Cola et Wata el-Moussaitbé vers le sud, et donc la station de pompage de Sultan Ibrahim, à Ghobeiry. Or celle-ci n’était pas prête », explique Riad al-Assaad.
Achevée il y a quatre ans, la station de pompage est certes fonctionnelle mais n’a jamais été mise en activité en raison d’un désaccord entre la municipalité de Ghobeiry, celle de Beyrouth et le CDR. « La municipalité de Ghobeiry conditionne sa mise en fonctionnement à la connexion du regard dit “de Rihab”, rattaché à ses quartiers est, au reste du réseau », explique Raja Noujaim, activiste de la coalition civile pour la protection de la plage de Ramlet el-Baïda. Les pompes servant à emporter les eaux usées vers la prochaine et ultime étape de leur parcours de traitement : la station d’épuration de Ghadir.
Or ces travaux, dépendant du CDR, demanderaient des financements, dont l’organisme affirme ne pas disposer. Et la municipalité de Beyrouth, à laquelle celle de Ghobeiry réclame une participation financière (une partie des égouts du Grand Beyrouth étant reliée au regard de Rihab), refuse de mettre la main à la poche.
Une forme de chômage technique
La station de Sultan Ibrahim est donc restée longtemps au “chômage technique”. Mais après plusieurs années d’inactivité, elle a besoin de travaux de maintenance. Un système d’obstructions installé dans les canalisations « pour protéger la station » doit par ailleurs être retiré préalablement à sa mise en marche, explique Riad al-Assaad. « À supposer qu’un accord ait été trouvé pour Rihab, il aurait fallu compter plusieurs jours de travaux sur la station de pompage de Ghobeiry pour tout remettre en ordre », indique Riad al-Assaad.
Mi-juin, rien n’est fait, alors que l’évacuation principale, à proximité de l’hôtel Eden Bay, sur la plage de Ramlet el-Baïda, bloque le transit des eaux usées. Celles-ci se redirigent alors vers la zone de Sultan Ibrahim, y provoquant de premières inondations. Quelques jours plus tard, le lendemain de l’inauguration de l’hôtel Eden Bay, ces débordements gagnent la plage, dans la région dite de “Saint-Simon”, par des rigoles d’évacuation.
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Les autorités décident donc de tenter une réouverture de la station de pompage. La direction technique de l’Office des eaux de Beyrouth et du Mont-Liban (EBML), qui doit reprendre la responsabilité de la station au CDR une fois celle-ci opérée, évoque pour sa part de simples tests.
Mais encore une fois, une série d’erreurs techniques, selon Riad al-Assaad, contribuent à aggraver le problème plutôt qu’à le résoudre. « Le moteur électrique qui commandait l’ouverture de la vanne d’entrée de la station a été activé brutalement, alors que cette étape aurait dû se dérouler très progressivement », explique Riad al-Assaad. « Résultat, le dispositif s’est cassé », ajoute-t-il. L’eau s’est ensuite engouffrée dans la station, l’humidité atteignant les panneaux électriques, et du sable s’y est enfoui, recouvrant en partie les quatre pompes de la station, dénonce l’homme d’affaires.
Le 4 août, la municipalité de Ghobeiry fait parvenir une lettre au CDR et à EBML dans laquelle elle juge la station inapte à absorber de grandes quantités d’eaux. Elle leur demande de ne pas pomper pour éviter d’autres inondations. Une fois encore, EBML propose une version des faits plus aseptisée. Fin août, l’organisme envoie, lui aussi, un courrier au CDR, selon Tony Zoghbi, assistant technique d’EBML, pour signaler que des travaux sont nécessaires « à l’amélioration du fonctionnement de la station », mais que celle-ci est « opérable en l’état ».
Faute d’une réponse appropriée, à l’automne, Ghobeiry se fait donc plus pressante : la municipalité donne 15 jours à la ville de Beyrouth pour trouver une solution, menaçant de bloquer les flux d’eaux usées en provenance de la capitale si rien n’est fait.
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C’est alors que se déroule l’acte final de la tragédie. « Au lieu de rouvrir le canal d’évacuation de l’Eden Bay, le mohafez de Beyrouth a pris une fois encore une décision favorable à Wissam Achour en redirigeant le flux vers une autre voie de sortie d’égouts au nord de Ramlet el-Baïda, sous le Grand Café», raconte l’activiste Raja Noujaim. Mais les canalisations sur ce tronçon n’ont pas la capacité suffisante pour supporter une très forte quantité d’eau.
Or le 16 novembre, de fortes pluies s’abattent sur la capitale et, quelques minutes plus tard, c’est la goutte de trop. De véritables geysers d’eaux usées jaillissent des bouches d’égouts, inondant la route et la promenade maritime dans les environs du restaurant al-Ajami.
Depuis, Ramlet el-Baïda est presque revenue au statu quo ante. Du côté de la station de pompage de Ghobeiry, en revanche, « il faudra désormais au moins trois mois de travaux pour réparer cette station, dont la construction a coûté 4 millions de dollars, et ce sera compliqué car on parle ici d’infrastructures encastrées en profondeur », déplore Riad al-Assaad. « Le CDR a commencé les travaux fin novembre », affirme de son côté Tony Zoghbi.