Le code de l’eau, voté en mai dernier, rassemble en un seul document l’ensemble des règles et des principes permettant une gestion intégrée de l’eau au Liban. Mais pour Roland Riachi, professeur assistant à l’Université américaine de Beyrouth et auteur d’une thèse sur une gestion durable des ressources hydrauliques au Liban, ce texte n’a rien d’une panacée. Il ne garantit pas un droit d'accès à l’eau à tous.
En gestation depuis 2005, le code de l’eau a été adopté par le Parlement en mai dernier. De quoi s’agit-il exactement ?
C’est une loi élaborée il y a une quinzaine d’années par une équipe d’experts français et libanais dans le cadre du projet d’appui à la réforme institutionnelle du secteur de l’eau au Liban. Ce texte rassemble un certain nombre de règles, dont certaines datent de l’Empire ottoman ! Autant dire que les problèmes actuels liés à une gestion durable des ressources et leurs raréfactions sont peu pris en compte ! Il s’agit d’un texte rafistolé “fourre-tout”, où les intervenants ont laissé leurs empreintes en fonction de leurs intérêts, sans jamais chercher à poser des principes communs à tous. Si la nouvelle loi reconnaît, par exemple, le droit des Libanais à disposer d’une eau et d’installations sanitaires de qualité, celui-ci se double d’une condition sine qua non incroyable : le citoyen doit payer pour l’obtenir ! Nulle part dans le monde on a vu un droit fondamental conditionné parle paiement de l’usufruit !
Le texte propose-t-il des avancées significatives dans la gestion des ressources hydrauliques du pays ?
Le code de l’eau prévoit la création d’un Conseil national de l’eau, une structure institutionnelle qui dépendra du Premier ministre et sera chargée d’élaborer une stratégie nationale de gestion de l’eau. La loi reprend également l’idée d’une “police de l’eau” en charge des contrôles. Difficile cependant de prendre cette mesure au sérieux quand on sait qu’une police environnementale a été mise en place en 2016 (décret 39-89), mais sans aucune embauche à ce jour. Au final, l’ensemble reste très flou…
Vous dites que la nouvelle loi organise surtout la privatisation de l’eau…
La loi entérine la privatisation massive de cette ressource naturelle, et consacre la prévalence des intérêts privés et particuliers sur le bien commun. Les droits d’utilisation de l’eau continueront à être strictement fondés sur la propriété foncière, le propriétaire de terrain ayant même accès aux nappes souterraines, sous sa propriété. Or, cette appropriation, qui s’appuie sur le droit coutumier, est contestable : les nappes phréatiques devraient faire partie du domaine public au regard des enjeux liés au réchauffement climatique. Avec la nouvelle loi, les propriétaires de puits dont la profondeur ne dépasse pas les 150 mètres et dont les prélèvements n’excèdent pas 100 000 litres d’eau par jour n’ont plus besoin de permis. On donne ainsi aux propriétaires fonciers le droit de puiser une énorme quantité d’eau sans se préoccuper des conséquences désastreuses de leur prédation.
Quelle est l’influence de la Conférence économique pour le développement par les réformes et avec les entreprises (CEDRE) dans le vote de ce code de l’eau ?
Poussé par l’Agence française du développement (AFD), le vote de cette loi figurait parmi les exigences préalables des bailleurs de fonds, qui envisagent de financer plusieurs projets, en particulier de grands ouvrages hydrauliques. Le tiers du financement prévu par la CEDRE est d’ailleurs réservé au secteur hydraulique. À titre d’exemple, on peut citer les projets de barrage de Bisri ou d’acheminement de l’eau du Litani et du Awali à Beyrouth qui représentent 20% des financements envisagés.
Est-ce qu’il s’agit de nouveaux projets ?
Pas du tout. Bisri a été signé et approuvé il y a plus de deux ans. D’une façon générale, la CEDRE s’est contentée de reprendre de vieux projets d’infrastructures, déjà envisagés au moment où il n’était question que de reconstruction après la guerre de 1975. Aujourd’hui, les bailleurs de fonds parent ces mêmes projets d’une nouvelle excuse : l’aide aux réfugiés. Mais l’aide aux réfugiés n’a rien à voir. Si les gouvernements occidentaux ou les grandes organisations internationales poussent à l’exécution de ces énormes chantiers, c’est qu’ils entendent ainsi imposer une politique néolibérale, qui consiste à transformer un bien commun – l’eau – en une marchandise.
Dans leur logique, seul le secteur privé et sa supposée “bonne gouvernance” seraient en mesure de gérer le secteur. Mais les bailleurs de fonds n’ont ici aucune préoccupation sociale ou écologique. Pourtant, partout dans le monde, l’échec de cette logique marchande est patent et de nombreuses collectivités renationalisent les services autrefois délégués au privé.
Vous avez la dent très dure contre la construction de barrages. Pourquoi ne sont-ils pas une solution adaptée au Liban ?
Du point de vue géologique, presque tout le Liban repose sur une formation karstique, une roche perméable calcaireuse. Du coup, un barrage comme celui de Chabrouh perd près de 200 litres d’eau par seconde. C’est la même chose dans le cas du barrage en cours de construction à Janneh (Jbeil) : des études européennes tablent sur une fuite d’environ 50% de l’eau qu’il est supposé retenir. Le problème se répète avec le barrage de Bisri, construit par ailleurs sur une zone sismique. Une seule solution dans ce cas : la construction d’un socle en ciment imperméable qui triple le prix de l’ouvrage et exige de surcroît qu’on bétonne toute une vallée.
Mais il y a pire : dans le monde, le niveau de remplissage des barrages est inférieur à la moyenne de ce qu’il fut du fait du réchauffement climatique et de la raréfaction des ressources hydrauliques. À Chypre, par exemple, les barrages ne stockent que 10% de l’eau pour lesquels ils avaient été construits. Ces incertitudes, quant à la disponibilité de l’eau, devraient normalement être une “matière à penser” pour nos édiles, les incitant à revoir leur stratégie. Bien sûr, il n’en est rien et l’on construit de “vieux” projets, déconnectés de notre réalité actuelle, sans viabilité ni utilité future…
Quels sont les problèmes principaux aujourd’hui dans le secteur de l’eau au Liban, selon vous ?
Ils sont extrêmement nombreux ! Mais le plus important est l’état du système d’adduction, sérieusement endommagé pendant la guerre de 1975, à réhabiliter en urgence pour limiter les fuites. À quoi sert la construction de barrages hydrauliques, quand 40 à 50 % de l’eau acheminée est perdue au niveau du réseau de distribution ? Le coût de sa remise à niveau est lourd : un milliard et demi d’euros que les bailleurs de fonds ne semblent pas du tout intéressés à financer. Aujourd’hui, à Beyrouth, 90% des canalisations ont plus de 50 ans, certaines sont même centenaires ! Elles contiennent du plomb et sont recouvertes d’amiante ! Il faut également améliorer le traitement et la collecte des eaux usées, dont l’extrême majorité se déverse sans retraitement dans les fleuves, la mer et les sous-sols, polluant ainsi l’eau potable en s’infiltrant dans les réseaux.
La catastrophe de Ramlet el-Baïda, où les égouts de plusieurs quartiers se sont déversés sur la plage, a récemment rappelé que le Liban ne traitait toujours pas ses eaux usées…
C’est vrai. Une trentaine de stations d’épuration ont pourtant été construites sur l’ensemble du territoire, mais deux seulement sont fonctionnelles, à Nabatiyé dans le Sud et dans la Békaa. Leur efficacité est, de toutes les façons, médiocre.
Comment s’inscrire dans une politique de gestion durable des réserves hydrauliques du pays ?
Il faut contrôler les nappes phréatiques, en calculant leur capacité de stockage, leur renouvellement et les extractions possibles. Le Liban a une capacité de stockage d’eau immense, grâce à sa cinquantaine de nappes phréatiques, à l’exception de celle de la Békaa qui est asséchée et celles près de la côte qui sont contaminées par l’eau de mer.
L'article a été modifié le 05 mars pour tenir compte d'erreurs qui s'y était glissées : la police environnementale n'a pas été créée en 2006 comme précédemment écrit mais en 2016. De même, s'il faut améliorer la collecte des eaux usées, Roland Riachi souhaite ajouter qu'il faut en plus envisager en urgence leur traitement.