Dans le procès qui les oppose aux Forces libanaises (FL), la LBCI et son PDG, Pierre el-Daher, ont remporté une première manche. Mais le jugement en première instance, qui remet en cause le droit de l’ancienne milice à revendiquer la propriété d’une chaîne financée par l’argent des Libanais, fait l’objet d’un appel.

D’un côté, Samir Geagea et le parti des Forces libanaises (FL) qu’il préside, de l’autre, Pierre el-Daher, PDG de la LBCI (Lebanese Broadcasting Corporation International) et de ses filiales. Au centre : une rocambolesque affaire d’abus de confiance, dont le procès en première instance s’est terminé fin février.

L’affaire a débuté en 2007, lorsque les FL, qui ont fondé en 1985 la Lebanese Broadcasting Corporation (LBC), l’ancêtre de la LBCI, et l’ont financée tout au long de la guerre civile, en revendique la propriété. Problème : Pierre el-Daher, qui leur a longtemps servi de prête-nom, affirme que l’ensemble des actifs de la LBC ont été cédés en 1992 à la LBCI, chaîne dont il est le propriétaire. La vente n’ayant jamais été enregistrée, les FL contestent sa réalité et accusent Pierre el-Daher d’avoir abusé de leur confiance en confisquant ce qui est désormais l’une des principales télévisions du pays.

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Mais la juge unique de Beyrouth, Fatima Jouni, n’a pas retenu leur argumentation : elle a ordonné l’abandon des poursuites contre Pierre el-Daher et son groupe, considérant que l’abus de confiance n’était pas constitué. Pierre el-Daher s’est aussitôt félicité et a entamé une procédure parallèle pour obtenir des dommages et intérêts, ainsi que la prise en charge des frais de justice par la partie adverse.

Cette décision judiciaire va toutefois au-delà de ce seul conflit. Elle ouvre ce qui peut être considéré comme le premier “procès des milices” et des biens que ces anciens groupes armés ont acquis pendant la guerre de 1975. «Celui qui vole de l’argent volé doit être considéré comme un voleur», écrit Fatima Jouni dans le jugement. Impossible donc pour une milice de détenir une personnalité juridique et donc de revendiquer un quelconque droit de propriété, selon la juge.

Pour étayer son raisonnement, la magistrate rappelle que la LBC a été financée grâce à la Caisse nationale des Forces libanaises, un “fonds” alimenté par diverses redevances (“jébéyé” en arabe) prélevées dans les régions sous la domination de la milice. «Or, la seule personne qui ait le droit de lever l’impôt, c’est l’État. Son absence n’autorise aucun groupe à le percevoir pour son propre compte.»

Ainsi, ajoute la juge, «ni la milice de l’époque, ni le parti d’aujourd’hui, ni Samir Geagea, ni Pierre el-Daher n’ont contribué sur leurs fonds personnels à la naissance de la chaîne de télévision. Celle-ci a été entièrement financée par l’argent des impôts». Détail supplémentaire, «la LBC a été lancée dans un immeuble de l’État libanais», en l’occurrence les locaux du ministère de l’Éducation.

Spoliations jamais soldées

Pour elle, le véritable plaignant devrait être l’État lui-même, spolié d’un bien que l’argent détourné des contribuables libanais a contribué à pérenniser. «Si on reconnaissait qu’il y a eu abus de confiance, tous les actifs développés à partir de l’argent perçu (pendant la guerre, par des groupes armés qui n’étaient pas autorisés à lever l’impôt, NDLR) devraient donc revenir au peuple libanais et à son représentant l’État.» Fatima Jouni ne voit d’ailleurs aucune loi qui empêcherait l’État de réclamer ces biens : «Ni les accords de Taëf ni les lois d’armistice ne prévoient rien sur cette question, l’État serait donc parfaitement en droit d’exiger leur retour dans son giron.»

Sans surprise, le parti de Samir Geagea a fait appel d’une décision qu’il estime «illégitime» et considère comme «une attaque». Moins attendue a été la réaction du procureur général, Ziad Abou Haïdar. Comme les FL, celui-ci estime que l’abus de confiance est motivé. Mais surtout, il laisse entendre que la juge a établi une distinction infondée entre l’actuel parti politique FL et l’ancienne milice. «Le parti est une émanation de la milice. Les distinguer coupe les FL de leurs racines, de leur histoire et de leur base populaire.» Une manière d’étouffer dans l’œuf toute remise en cause de la légitimité des anciens groupes armés à conserver des biens spoliés. C’est désormais à la cour d’appel, qui doit se réunir en juin 2019, de trancher.