Consultante en énergie auprès de l’organisation Kulluna Irada et ancienne ingénieure en chef au Pnud à Beyrouth, Jessica Obeid déplore l'absence d'information sur certaines mesures annoncées dans le plan de réforme du secteur de l'électricité, et leur impact.
Que pensez-vous du plan approuvé en Conseil des ministres ?
Les mesures proposées, que ce soit en termes d’économies de coûts ou de revenus additionnels, ne sont pas étayées par des projections chiffrées, et font abstraction du contexte économique, financier et politique actuel. Leur impact n’est pas non plus précisé, ni sur l’économie ni sur les finances publiques, malgré l’importance de ce secteur pour le Trésor et l’ampleur des investissements programmés. Les modes de financement des projets et leur implication sur le budget de l’État, la dette et les réserves de change de la Banque centrale ne sont pas non plus explicités.
Pensez-vous que ce plan permettra d’éliminer le déficit de l’EDL ?
Il faut assainir le secteur et éliminer le déficit de 1,5 à 2 milliards de dollars par an qui pèse sur les finances publiques et l’économie. Mais l’enjeu n’est pas seulement d’éliminer le déficit, il faut que les solutions adoptées soient soutenables à long terme. Le gouvernement part du principe qu’il doit augmenter la capacité de production au plus vite, pour pouvoir relever les tarifs, mais le recours à des unités de production temporaires est très coûteux. En combinant les solutions temporaires et permanentes, l’État va s’engager à payer un certain prix sur vingt ans ou plus. Ce prix pourrait être inférieur au coût de production actuel de l’EDL, mais cela ne veut pas nécessairement dire qu’il sera avantageux à long terme.
Au niveau de la distribution et de la collecte, le plan fixe des objectifs ambitieux en termes de réduction des pertes non techniques et de collecte des arriérés, notamment auprès des institutions publiques et des camps palestiniens, sans que l’on sache comment il compte s’y prendre. Si le contrôle n’est pas effectif sur le terrain, il y a au contraire un risque de hausse des branchements illégaux après la révision des tarifs. Le plan prévoyant une hausse significative des prix, de 9,5 cents le kilowattheure en moyenne à 14,4 cents/ kWh, dès 2020. Le gouvernement promet aux utilisateurs que leur facture sera inférieure à celle qu’ils payent actuellement avec les générateurs, mais ce ne sera sans doute pas le cas pour tout le monde. D’où la nécessité d’impliquer les citoyens et d’obtenir leur adhésion à la réforme. Et pour cela, les autorités doivent faire preuve d’une transparence exemplaire. Le respect des règles de transparence et des procédures légales permettrait aussi de rassurer les investisseurs et de réduire la prime de risque répercutée sur le coût des projets.
La création d’une Autorité de régulation du secteur changerait-elle la donne ? Quel sera le rôle de la Direction des adjudications ?
L’Autorité de régulation est prévue dans la loi 462 sur la libéralisation du secteur, mais les gouvernements successifs ne l’ont pas mise en œuvre. L’important n’est pas de créer une autorité de plus, mais de définir son rôle et lui donner les moyens nécessaires pour l’accomplir. Quant à la Direction des adjudications, son rôle dans le processus n’a pas encore été clairement défini. On sait que les cahiers des charges seront rédigés par le ministère de l’Énergie, et qu’il va laisser le choix de la technologie, du type de combustible et du mode d’approvisionnement aux entreprises candidates, ce qui rendra plus difficile la comparaison des offres. Pour avoir la procédure la plus transparente possible, les spécifications, les critères d’évaluation et le contrat type doivent figurer dans le cahier des charges, et celui-ci doit être public. Les contrats aussi doivent être publiés.
Cela sera-t-il le cas pour Deir Ammar 2 ?
On ne sait pas grand-chose sur ce projet, dont l’exécution est pourtant annoncée dans le plan à partir de 2019. Le Conseil des ministres a décidé en mai 2018 de transformer le contrat de construction attribué au consortium JP Avax et AF Consult à l’issue d’un appel d’offres en 2013 en un contrat de construction et de gestion à long terme de type BOT (Built-Operate-Transfer). Mais nous ne connaissons pas les clauses de l’accord, ni avec qui il a été conclu, ni les bases sur lesquelles les négociations ont été menées, ni comment le gouvernement s’est assuré que ses termes sont les meilleurs possibles. Le processus d’attribution des contrats devrait être plus transparent, d’autant qu’il y a une loi spécifique sur les partenariats public-privé. Une meilleure gouvernance et de meilleures pratiques devraient être mises en œuvre.