Le Commerce du Levant a vu le jour en 1929. Il a été fondé par Toufic Mizrahi – jeune entrepreneur de 27 ans – dans un Liban sous mandat français. Le pays renoue alors avec une liberté d’expression muselée par le pouvoir ottoman durant la Première Guerre mondiale et qui ne demande qu’à s’épanouir à nouveau. La naissance de la presse écrite en langue arabe datait de la seconde moitié du XIXe siècle et était elle-même chevillée à l’essor de l’imprimerie, apparue dans un monastère du Liban-Nord dès 1585, avant d’essaimer à Beyrouth et dans la montagne libanaise dans le sillage des écoles et des universités.
Parmi les 260 titres en circulation à la fin des années 1920, Le Commerce du Levant couvre l’actualité économique dans un format tabloïd. Hebdomadaire au départ, la publication va jusqu’à paraître deux et trois fois par semaine, relayant les tensions monétaires du monde occidental, analysant la conjoncture monétaire au Liban et en Syrie, mettant en relief la lutte de Beyrouth face au développement rapide du port de Haïfa... Dès les premières années de l’indépendance, on y lit l’opposition entre industriels et commerçants qui entérine les choix des seconds en faveur d’une économie libérale et de services, contrairement à la voie suivie par la Syrie, surtout lors de la rupture douanière et monétaire de 1950 entre les deux pays.
En 1952, Kesrouan Labaki est nommé rédacteur en chef du titre et entre au capital à hauteur de 40 %. En 1961, après avoir présidé pendant trente ans à la destinée de son périodique, Toufic Mizrahi cède sa part de 60 % à une société dirigée par Ghassan Tuéni, et la rédaction en chef revient à Édouard Saab.
Période de propsérité
En 1962, la loi sur la presse est modifiée pour garantir davantage de liberté d’expression. Quoique très friands de politique, les Libanais, en hommes d’affaires avertis, s’intéressent à tout ce qui concerne l’économie. Ce sont les années dites de grande prospérité. Instauré en 1956, le secret bancaire attire les capitaux étrangers. La fermeture du port de Haïfa profite à Beyrouth et à Tripoli. Les finances publiques affichent des excédents qui autorisent l’exécution de grands projets.En 1964, la toute nouvelle “Société de la presse économique SAL” détenue par Ghassan Tuéni, Charles Hélou et Kesrouan Labaki prend possession du Commerce du Levant avec Farid Shoucair en tant que directeur et Robert Tabbakh comme rédacteur en chef – Édouard Saab ayant rejoint Le Jour. La presse libanaise connaît son âge d’or, modernise ses équipements, améliore ses sources d’information et la qualité de ses articles, et introduit les encarts publicitaires. Les éditoriaux de Georges Naccache, Michel Chiha et Ghassan Tuéni marquent les esprits et contribuent à la renommée des journaux de notre pays.
En 1973, suite à une augmentation de capital, mon oncle maternel Pierre Sehnaoui devient le principal actionnaire du Commerce du Levant. Il est secondé par quelques amis et hommes d’affaires : Gaby Massoud, Maroun Akl et Émile Ghosn. Des actionnaires minoritaires comme Raymond Audi, Joe Faddoul et Henry Tyan font partie du tour de table. Mais la guerre libanaise coupe court à leurs ambitions. Situés dans le secteur de Kantari, les bureaux de la revue sont inaccessibles et la publication s’arrête.
Elle est relancée en 1979 avec un nouveau rédacteur en chef, Clovis Rizk, ancien directeur chéhabiste du ministère de l’Information. Le Commerce du Levant prend alors la forme d’un magazine. Avec ce renouveau, des économistes et avocats de renom prennent la plume pour signer des articles très attendus.
La disparition brutale de Pierre Sehnaoui en 1982 est une grande perte pour le titre. Ses héritiers confient la direction de la revue à Reine Codsi, proche de son cousin Pierre. Michel Pharaon prend la présidence de la société en 1995. Le magazine devient alors un bimensuel. Ce sont les années d’après-guerre, marquées par l’optimisme de la reconstruction et la réhabilitation des infrastructures, mais aussi par une dette publique croissante et une administration non réformée.
Rapprochement avec L’Orient-Le Jour
En 1998, j’ai l’honneur de prendre la direction du Commerce du Levant. Parti à la retraite, Clovis Rizk est remplacé par Nicolas Sbeih qui a déjà fait ses preuves dans d’autres titres économiques.Pour renforcer la revue et lui donner un nouvel élan, j’initie le rapprochement avec le seul quotidien francophone du pays, L’Orient-Le Jour. Pierre Pharaon, mon père, est actionnaire des deux titres et Michel Eddé, alors PDG de L’Orient-Le Jour, réalise rapidement l’utilité de cette synergie. C’est ainsi que la Société générale de presse et d’édition, qui édite L’Orient-Le Jour, devient actionnaire majoritaire de la Société de la presse économique, éditrice du Commerce du Levant, avec 71 % de parts. Le groupe Pharaon est le deuxième plus grand actionnaire. Les équipes occupent désormais les mêmes bureaux sous une direction unifiée qui m’est mandatée. Je deviens PDG de la revue et directrice de L’Orient-Le Jour. La publicité est gérée par le groupe Chouéri sur base d’une parution devenue mensuelle.
À partir de 2006, deux rédactrices en chef prennent successivement les rênes du magazine : Sibylle Rizk donne une nouvelle impulsion au titre et dirige la rédaction pendant dix ans avant de passer la main à son adjointe, Sahar Al-Attar en 2017.Grâce au travail de ses équipes, le magazine est aujourd’hui reconnu pour son expertise économique et ses dossiers de référence qui couvrent des sujets aussi divers que les chiffres-clés de l’économie, l’immobilier, le monde des finances et des affaires, l’hôtellerie et la restauration ou les start-up. Sa version numérique se développe, adossée au site de L’Orient-Le Jour capitalisant sur sa large diffusion et lui faisant profiter en retour d’un journalisme économique pointu et efficace. Le Commerce du Levant fête aujourd’hui son 90e anniversaire, aux côtés de L’Orient-Le Jour qui affiche ses 95 ans, dans un pays qui célébrera, en 2020, les cent ans du Grand Liban. Et s’offre, à cette occasion, un bain de jouvence, avec un nouveau logo et une maquette liftée. Mais à l’heure où la presse est en totale mutation, où plusieurs journaux libanais ont mis la clé sous la porte, où la crise économique libanaise est profonde, continuer est un vrai défi. Ce défi nous voulons le relever, ce qui nous contraint à augmenter légèrement le prix du magazine. Ce numéro-anniversaire, nous le consacrons à l’industrie libanaise, un secteur longtemps délaissé, et dont le développement pourrait contribuer à une croissance économique soutenue et durable. Osons parier dessus.