Après s’être fait un nom avec ses eaux de Cologne, Amatoury 114 est devenu le leader des gels douche au Liban. La marque, qui a fêté l’année dernière ses 90 ans, a réussi à dominer le marché local en diversifiant son offre.
S’il est une marque locale qui a su se faire une place jusque dans l’intimité des Libanais, c’est bien Amatoury 114. Ses gels douche trônent aujourd’hui dans plus de deux salles de bains sur cinq au Liban, selon ses propres chiffres, représentant la plus grosse part du marché local. Le deuxième acteur sur ce segment, le géant américain Colgate-Palmolive, avec ses produits importés, n’en contrôle que 27 %, toujours selon le leader du marché.
Le savon liquide pour le corps n’est pourtant pas le produit historique d’Amatoury 114. Fondée en 1928 par le parfumeur libanais Joseph Amatoury, l’entreprise de cosmétiques s’est d’abord fait connaître par ses eaux de Cologne.
« À l’époque, personne n’en utilisait dans la région, on leur préférait les huiles essentielles ; Joseph était un pionnier », explique son petit neveu Johnny Faddoul, aujourd’hui PDG de l’entreprise familiale. « Mon grand oncle était ce qu’on appelle un “nez”. Il avait beaucoup voyagé en Europe pour se former et parvenait à réaliser lui-même ses propres compositions, au départ depuis un petit atelier à son domicile », raconte le dirigeant qui supervise la production, tandis que son épouse Christiane Faddoul pilote les activités commerciales.
Quand l’affaire commence à décoller, Joseph Amatoury s’installe dans un atelier en bonne et due forme à Furn el-Chebback. Non loin se trouve l’usine du distillateur français Lautier, qui l’approvisionne en matières premières. Ses eaux de Cologne se vendent à Beyrouth mais aussi dans les grandes villes levantines comme Damas, Amman, Jérusalem, Haïfa. L’une d’entre elles est particulièrement populaire : l’eau de Verveine. C’est sa référence, 114, qui donnera le nom actuel de la marque.
La révolution des gels douche
Au fil des années, Amatoury 114 se diversifie. L’entreprise propose notamment des frictions pour les cheveux et le cuir chevelu et de la brillantine, l’ancêtre du gel, pour les cheveux ou la moustache. En 1967, elle déménage dans une plus grande usine, à Sin el-Fil, où elle se trouve toujours aujourd’hui.
À partir du début des années 1970, les premiers gels douche apparaissent et deviennent l’un des nouveaux moteurs de croissance de la marque. « Cette décennie a marqué un âge d’or », se remémore Johnny Faddoul. Plus de la moitié de la production est alors exportée vers les pays arabes, en particulier les pays du Golfe. « Pour l’anecdote, certains consommateurs achetaient nos eaux de Cologne pour les boire, afin de contourner l’interdiction des boissons alcoolisées », raconte le chef d’entreprise.
Mais la guerre civile libanaise isole Amatoury 114 de ses clients régionaux. « Nous n’arrivions plus à desservir nos marchés et nos concurrents nous ont supplantés », déplore Johnny Faddoul. Vingt ans sont passés et la tendance ne s’est pas inversée. Aujourd’hui encore, la quasi-totalité du chiffre d’affaires d’Amatoury 114 est réalisée au Liban. Une part négligeable d’environ 5 % de la production est exportée au Koweït, en Jordanie, et jusqu’à récemment en Syrie et en Libye.
En cause, selon Amatoury 114, le non-respect par les pays arabes de l’intégralité de l’accord de libre-échange. « Même si ces pays n’appliquent pas de barrières douanières, d’autres types de taxes indirectes et des conditions prohibitives sont imposées sur les produits importés », déplore Christiane Faddoul. « Nos coûts de production relativement élevés pour la région et les frais de transports contribuent à rendre nos produits moins compétitifs, ajoute-t-elle. »
Multiplier les gammes
Sur le marché local, l’entreprise est néanmoins parvenue à renforcer sa présence, en se positionnant comme une marque grand public et en diversifiant son portfolio. La gamme de gels douche a été élargie à 29 senteurs ; une gamme de produits solaires de bronzage est désormais disponible et, dernièrement, en 2014, la marque s’est lancée dans le savon moussant pour les mains. Ces produits, testés dermatologiquement et à base de composants importés d’Europe, sont développés dans le laboratoire d’Amatoury 114 à Sin el-Fil. « Nous collaborons également parfois avec le spécialiste libanais des cosmétiques Cosmaline (appartenant au groupe Malia, NDLR) pour le remplissage des aérosols. »
Des efforts supplémentaires ont également été déployés ces dix dernières années sur le marketing, notamment le packaging, afin de mieux séduire les familles. « Nous écoulons davantage de grands contenants », note Christiane Faddoul. « Nous sommes près de 20 % moins cher que nos concurrents étrangers », pointe par ailleurs la femme d’affaires.
Résultat, en une décennie, Amatoury 114 est passé de la quatrième à la première position sur le marché des gels douche. En quatre ans, les ventes de savon liquide pour les mains ont également décollé, représentant 12 % du chiffre d’affaires en 2018. Et l’emblématique eau de Cologne continue, elle, d’assurer 20 % des ventes, une part qui s’est stabilisée ces dernières années.
Le chiffre d’affaires total d’Amatoury 114 a ainsi augmenté de 43 % entre 2013 et 2018, à contre-courant du ralentissement économique dans le pays. L’entreprise, avec sa cinquantaine d’employés, peut produire jusqu’à 10 000 bouteilles de gel douche, 3 000 savons liquides pour les mains et 7 000 eaux de Cologne par shift de huit heures de travail.
« Mais je ne veux pas qu’on pense que nous sommes épargnés par la crise », rectifie Christiane Faddoul. Plusieurs distributeurs avec lesquels Amatoury 114 collabore par l’intermédiaire du groupe Fattal ont accumulé ces derniers mois les retards de paiement. « La demande reste forte, nos produits se vendent, mais nos distributeurs ne nous paient plus, s’agace Christiane Faddoul. Nous n’avons pas d’autre choix que d’arrêter de les approvisionner et donc de réduire nous-mêmes nos ventes. »
« Le chiffre d’affaires en 2019 sera probablement impacté par cette situation, regrette-t-elle. Aujourd’hui, plus que jamais, nous avons besoin de nous rouvrir aux marchés régionaux. »
L'article a été corrigé pour tenir compte d'une erreur dans la capacité de production qui n'est pas par jour comme c'était indiqué mais par shift de travail.