L’entreprise familiale, qui fête ses 90 ans cette année, a subi de nombreux revers durant la guerre, mais reste leader sur le marché libanais.
Gemayel Frères est l’acteur le plus ancien de l’industrie du carton au Liban et aujourd’hui l’un des plus grands. Avec ses 250 employés et un chiffre d’affaires annuel de plus de 25 millions de dollars, l’entreprise familiale domine le marché avec son concurrent Unipak (filiale du groupe Indevco). Ces deux producteurs couvrent, à eux seuls, près de 80 % de la demande locale en emballages, selon leurs estimations.
Gemayel Frères exporte aussi près de 10 % de sa production dans des pays arabes, en Afrique et en Europe. « Notre objectif est de porter cette part à 40 % au cours des cinq prochaines années », précise Hélène, la responsable du développement commercial, qui représente la troisième génération des Gemayel. L’entreprise, qui appartient aujourd’hui à son père Fady, son oncle Nabil et leur cousin Élias, a été fondée par son grand-oncle, Adib Gemayel, en 1929. « Nous ne connaissons pas les circonstances exactes dans lesquelles il a ouvert son premier atelier à Dora, raconte Nabil Gemayel, qui dirige aujourd’hui la société. Il est mort alors que mon frère et moi n’étions pas encore nés. Notre père décédera plus tard, nous étions encore très jeunes et, par la suite, toutes nos archives ont brûlé durant la guerre. »
Une certitude : Adib Gemayel était l’un des premiers au Moyen-Orient à produire du carton à partir de papier recyclé. Cadet d’une famille de trois frères, il se lance dans la production de boîtes à chaussures et de plats en carton pour les pâtisseries orientales. Selon un livre publié par la Fédération arabe des industriels du papier, de l’impression et de l’emballage (AFPPPI), la production au départ se faisait avec des « machines rudimentaires – fabriquées à la main – qui empâtaient le papier recyclé pour ensuite le presser à l’aide de machines, elles aussi rudimentaires, alors que le séchage se faisait à l’air et au soleil ».
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La demande de carton est toutefois tirée par le développement industriel de l’époque, permettant à Adib Gemayel d’acheter de nouvelles machines et ouvrir un autre atelier à Achrafié, rue Huvelin.
Mais en 1945, le jeune Adib décède. À 22 ans, son frère Joseph prend les commandes de l’entreprise avant d’être rejoint par son frère aîné, Élias. La société poursuit son expansion et élargit ses lignes de production. En quête de nouveaux marchés, elle s’implante en Syrie afin d’y produire pour le marché local et d’exporter vers les pays voisins.
En 1956, Gemayel Frères devient la première entreprise au Liban à produire du carton ondulé, dans un contexte économique favorable. Mais la famille est rattrapée par un nouveau drame : les frères Joseph et Élias décèdent en 1961, à moins d’un mois d’écart l’un de l’autre.
La transition n’étant pas planifiée, le passage à la deuxième génération s’avère difficile. Le développement de l’entreprise est mis en veilleuse, alors que la concurrence se développe, avec l’apparition de nouveaux acteurs comme Solicar (1964), Sipco (1966) ou Unipak (1967).
Dans les années 1970, l’entreprise décide de délocaliser sa production à Bickfaya. « La valeur des terrains à Dora avait beaucoup augmenté car le quartier s’était transformé en zone commerciale et la logistique était devenue plus difficile. On a commencé le déménagement avec les lignes de production de carton ondulé. Les machines de carton recyclé devaient suivre, mais l’usine a été bombardée en 1978 avant qu’on ne les transfère, et tout a été réduit en cendre », raconte Nabil Gemayel. La société abandonne alors son activité de recyclage, ne maintenant qu’une production de carton ondulé, réduite de moitié.
En 1984, nouveau revers : l’usine de Bickfaya est bombardée à son tour. Cette fois-ci, la production est stoppée net. Il faudra sept mois à l’entreprise pour relancer l’activité et deux ans pour retrouver le niveau d’avant 1984.
La fin de la guerre marque le début d’une nouvelle période de croissance pour l’entreprise familiale, désormais dirigée par les fils de Joseph, Fady et Nabil. En dix ans, le chiffre d’affaires est multiplié par quatre et le nombre d’employés par trois. Gemayel Frères retrouve sa place de leader sur le marché et innove en introduisant un nouveau type de carton pour les offres promotionnelles en 1998.
Diversification et expansion
En 2003, la famille Gemayel renoue avec la production de carton à partir de papier recyclé en rachetant, à titre personnel, leur fournisseur, Solicar. L’objectif : maîtriser toute la chaîne de production du carton et s’imposer en “one stop shop” pour tous les besoins d’emballage.
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Mais le destin s’acharne sur eux. L’usine prend feu, encore une fois, en 2013. « Cette fois, heureusement, nous avons réussi à contenir l’incendie avant qu’il ne détruise toute l’usine. La plupart de notre stock est parti en fumée, mais la majorité des lignes de production a été sauvée, ce qui nous a permis de relancer l’activité deux jours plus tard », se souvient le directeur général.
Cette même année, Fady et Nabil se tournent vers l’étranger et rachètent la papeterie du Doubs en France, en liquidation judiciaire, pour au moins trois millions d’euros selon la presse française. Ils sont rejoints en 2016 par le groupe Chaoui (actionnaire majoritaire de leur concurrent Sicomo), qui entre au capital de la papeterie française, rebaptisée Gemdoubs. L’année dernière, ils acquièrent ensemble le groupe NorPaper, leader français de la production de TestLiner Blanc, pour un montant non communiqué. Signe de la volonté des industriels libanais à continuer à se développer dans ce secteur, tant au Liban qu’à l’extérieur. « Le marché de l’emballage a un bel avenir devant lui. L’industrie est en pleine expansion, surtout avec le boom du e-commerce et la reconversion mondiale vers le papier qui se confirme de plus en plus comme le matériel “vert” par excellence », conclut Fady Gemayel.