Le Liban souffre d’un taux de chômage inacceptable et, paradoxalement, d’un manque patent de compétences dans l’industrie. Le secteur peine en effet à trouver de la main-d’œuvre qualifiée et formée. Ce problème découle, d’une part, de la forte disparité entre les formations proposées dans les filières techniques et les besoins réels de l’industrie, et, d’autre part, de la dévalorisation de l’enseignement technique par rapport aux diplômes universitaires, dont certains n’offrent pourtant aucun débouché sur le marché local.
Le problème est culturel et bien ancré. La Suisse, qui offre le revenu par habitant parmi le plus élevé en Europe, privilégie le système secondaire technique qui accueille 88 % des jeunes en stade de scolarisation. Seuls 12 % suivent le parcours universitaire. Ceux qui empruntent la filière technique peuvent, s’ils le souhaitent, poursuivre un doctorat et sont souvent mieux rémunérés que les diplômés universitaires.
Cette gestion du système éducatif et la maîtrise du savoir-faire permettent à la Suisse en général d’être un pays d’excellence et d’innovation. Les produits suisses ne sont pas les moins chers, ils sont pourtant leaders sur plusieurs créneaux. Il est donc utile d’apprendre du système helvétique et de favoriser un cursus académique tourné vers la formation technique. Il n’y a pas de honte à maîtriser une compétence et à bien gagner sa vie, plutôt que d’afficher un diplôme universitaire tout en étant au chômage !
La solution est théoriquement facile, mais elle implique un changement de mentalité et une évolution de la perception du système éducatif technique. Pour cela l’Association des industriels libanais préconise que le système académique actuel classique se focalise davantage sur la technique appliquée qui serait en ligne avec les défis industriels futurs, en particulier “l’Industrie 4.0”, la quatrième révolution industrielle du numérique, et l’internet des objets ou “Internet of Things”.
Nous pourrions aussi offrir à nos jeunes des formations spécialisées, ciblées et limitées dans le temps, comme par exemple le DESS en papeterie Joseph Habib Gemayel que nous avons mis en place en partenariat avec l’Université libanaise et l’Université de Grenoble.
Mais il ne suffit pas de réformer le système éducatif, c’est tout le modèle économique du Liban qu’il faut revoir.
Le modèle actuel ne favorise pas la création d’emplois, car nous avons privilégié la rente pendant trop longtemps. Avec un PNB qui se limite à 56 milliards de dollars, notre économie ne reflète pas nos richesses, que ce soit en capital, avec 253,6 milliards de dollars d’actifs bancaires, ou en ressources humaines. Notre revenu par habitant est beaucoup plus bas que celui de nos voisins, et je pense à Chypre qui est bien moins nantie que nous. Nous accusons un déficit commercial de 17 milliards de dollars par an, notre croissance peine à dépasser les 1,5 %, et le taux de chômage est de 36 % chez les jeunes.
Il est temps de se pencher sur les études sérieuses, notamment celle de McKinsey qui préconise un renforcement des secteurs productifs comme l’industrie et l’agriculture. Oui l’industrie et l’agriculture dans l’intérêt de notre jeunesse et pour un développement économique durable. Nous pouvons être une économie prospère qui fait valoir sa production de biens manufacturiers et agricoles en misant sur l’excellence et l’innovation, ainsi que sur son savoir-faire, ses réseaux commerciaux et son attrait touristique.
En réformant nos deux systèmes économiques et éducatifs, nous pouvons être la vraie Suisse du Moyen-Orient, et les vrais Phéniciens du troisième millénaire.
Nos aïeux, brillants commerçants bien sûr, étaient avant tout des industriels innovateurs pour l’époque, qui ont exporté une production locale de verres, de bronze, de poteries, de bateaux, de vêtements en pourpre, avant de conquérir le monde à travers le commerce triangulaire. Des artisans aujourd’hui, mais des industriels avant-gardistes à l’époque.