Alors que le gouvernement peine à contenir les déficits budgétaire et commercial chroniques, la croissance économique a stagné durant la première moitié de 2019. Le plan du gouvernement pour relancer l’économie repose sur les projets de la conférence CEDRE et le plan McKinsey, qui doit encore être approuvé en Conseil des ministres.
Mais même avec ces projets en vue, il n’est pas dit qu’une croissance inclusive et durable soit réalisable. Les projets CEDRE – à supposer qu’ils soient correctement gérés – sont essentiellement des projets d’infrastructures, nécessaires mais pas suffisants pour générer une croissance durable et des emplois de qualité. Quant au plan McKinsey, il souligne le rôle moteur de l’industrie manufacturière dans la croissance, mais ne va pas assez loin en termes d’optimisation ou de valorisation du secteur.
L’historique du Liban en matière de croissance et de création d’emplois n’est pas flatteur. Entre 2010 et 2017, le PIB n’a augmenté que de 1,3 % par an en moyenne. La croissance a été volatile, largement dépendante des entrées de capitaux et des remises de la diaspora. Même pendant les périodes où les taux de croissance étaient plus élevés, l’économie n’a pas été en mesure de générer suffisamment d’emplois. En d’autres termes, le modèle économique d’après-guerre s’est essoufflé.
Ce dont le Liban a besoin, c’est une autre manière d’aborder la croissance économique, en incluant l’industrie manufacturière dans la réflexion. Les décideurs doivent élaborer une politique industrielle explicite, qui met l’accent sur la promotion des exportations et pas seulement la protection de la production nationale. Les pays qui ont réussi à maintenir des taux de croissance élevés sont ceux qui ont un secteur manufacturier important, qui ont connu des changements structurels dans le secteur, qui se sont concentrés sur la diversification et qui ont encouragé l’exportation de produits sophistiqués.
Autrement dit, pour générer une croissance durable, le Liban doit transformer structurellement son économie, en augmentant le panier des exportations et en le faisant évoluer pour y inclure des produits plus sophistiqués.
Malgré la baisse des exportations du pays, de 5 milliards de dollars en 2012 à 3,9 milliards de dollars en 2017, une étude réalisée récemment par le Lebanese Center for Policy Studies (LCPS) montre que les exportations libanaises ont des qualités intéressantes, qui doivent être activement encouragées.
Le Liban exporte actuellement 1 147 produits de secteurs divers, comme l’agroalimentaire, les machines et équipements électriques, l’industrie chimique, papier ou le bois, ce qui signifie qu’il a un niveau élevé de diversification de produits. Il y a une diversification au niveau des secteurs, mais aussi au sein d’un même secteur, les industriels produisant plusieurs types d’un même produit. Une usine de pommes par exemple produit aussi de la confiture, du jus et du vinaigre. Les produits libanais atteignent ainsi plus de marchés que ceux de pays à revenus similaires : le Liban a vendu ses produits à 171 pays en 2017, contre 108 pour le Costa Rica et 156 pour la Jordanie. Compte tenu de sa position actuelle sur le marché, de l’accessibilité du marché et de la demande mondiale, le potentiel d’exportation inexploité du Liban est estimé à 1,7 milliard de dollars par an.
Avec ce potentiel, le gouvernement doit développer une double approche pour promouvoir les exportations : la première, et la plus facile, consiste à travailler sur l’ouverture de nouveaux marchés, et faciliter les exportations de produits sur lesquels le Liban dispose déjà d’un avantage comparatif. Selon une étude du LCPS, le Liban a un avantage comparatif pour 337 produits parmi les 1 147 qu’il exporte, soit 70 % de la valeur totale des exportations. Ces produits proviennent de 16 secteurs, dont les plus importants sont l’agroalimentaire et l’industrie chimique. Dans l’agroalimentaire, 24 produits – confitures, sauces, huile d’olive, chocolat, légumes secs, vin, biscuits et jus de fruits, entre autres – ont un potentiel d’exportation inexploité de 140 millions de dollars, principalement vers des pays arabes comme l’Arabie saoudite, le Koweït et les Émirats arabes unis. Dans l’industrie chimique, 13 produits – produits de beauté, savons, peintures, médicaments, entre autres – ont un potentiel inexploité de 68 millions de dollars dans les pays du Moyen-Orient, mais aussi dans des pays comme l’Inde, le Bangladesh, le Brésil, le Portugal, les Pays-Bas et l’Espagne.
Il est donc nécessaire de renforcer l’exportation dans ces deux secteurs-clés. Compte tenu des avantages existants de ces produits, leur promotion nécessiterait peu ou pas de changements structurels dans le processus de production. Une stratégie doit toutefois être mise en œuvre pour orienter le bon produit vers le bon marché, et ce en améliorant la logistique commerciale (y compris l’infrastructure, le transport et la qualité des services logistiques), en négociant des accords commerciaux et en réduisant le coût de production pour doper la compétitivité.
Cette stratégie permettrait de renforcer ou d’augmenter les exportations existantes, tandis que la deuxième stratégie viserait à encourager le développement de nouveaux produits, plus sophistiqués, pour tirer la croissance à l’avenir et la création d’emplois de qualité. Selon une autre étude réalisée par le LCPS, la production actuelle est de faible et moyenne complexité, mais le Liban a le potentiel de produire des produits complexes. En 2017, par exemple, il a exporté 38 des 100 produits les plus complexes au monde : des machines-outils, des centres d’usinage, des équipements pour les laboratoires photographiques et des produits chimiques utilisés en photographie, d’une valeur d’au moins 100 000 dollars chacun à l’exportation.
Cela montre que le Liban a une capacité et un savoir-faire qui lui permettraient de fabriquer des produits complexes et d’être compétitifs – notamment dans la production de machines et dans l’industrie chimique –, mais qu’il n’a pas été en mesure de les développer. Parmi les produits potentiellement porteurs, les générateurs électriques, les équipements de boulangerie, les transformateurs et les produits pharmaceutiques. Une stratégie industrielle ciblée doit être élaborée pour développer ces produits et identifier leurs marchés-clés. Il faut notamment se pencher sur la recherche et le développement, le transfert de technologies, la réforme de l’éducation et le développement du capital humain dans les secteurs et les produits à fort potentiel.
Au cœur des deux approches, il faut davantage de collaboration et de consultations entre le gouvernement, représenté par le ministère de l’Industrie, et l’Association des industriels libanais pour promouvoir et développer les exportations. D’autres ministères, notamment ceux des Finances et de l’Économie, ainsi que des institutions comme la Banque centrale doivent aussi participer aux discussions.
Il y a également besoin d’un engagement politique au plus haut niveau pour soutenir l’industrie manufacturière à travers des mesures et des politiques-clés. Cela nécessite un changement de mentalité de l’élite politique, et de la façon dont elle conçoit le rôle de l’État. Il est grand temps qu’elle réalise que les pays qui ont développé leur potentiel d’exportation avaient un État fort et efficace, qui fournit l’infrastructure physique, technologique et institutionnelle de base, au lieu de croire, à tort, que le marché laissé à lui-même peut fournir efficacement ces conditions préalables.