Dans un entretien au Commerce du Levant, le ministre de l’Industrie défend les mesures protectionnistes et promet de nouvelles initiatives pour soutenir le secteur.
Quels sont, selon vous, les facteurs qui pèsent le plus sur l’industrie libanaise : la qualité des infrastructures, les accords de libre-échange, les taux d’intérêt, le prix des terrains…?
Tous ces facteurs à la fois, auxquels il faut ajouter l’absence de reconnaissance de la part des pouvoirs publics du rôle et de l’importance de l’industrie. Historiquement, le Liban a été dominé par une élite marchande, qui a favorisé le commerce au détriment des secteurs productifs. C’est cette même élite qui s’est opposée à l’intégration des quatre cazas lors de la formation du Grand Liban, et qui a enterré l’expérience industrielle de Khan el-Franj à Saïda, à partir duquel on exportait de la soie vers l’Europe. Après toutes ces années de négligence, il est surprenant de voir qu’il y a encore un secteur industriel au Liban. Le plus grand défi à présent est de changer la mentalité des décideurs.
Pourquoi changerait-elle maintenant ?
Le modèle actuel, que certains appellent économie de rente, d’autres économie de service, a clairement échoué, comme le montre la crise actuelle. Si on veut régler le problème de manière structurelle, il faut soutenir les secteurs productifs, comme l’industrie, qui créent de l’emploi et font entrer des devises dans le pays. La hausse de la production et des exportations permettra de réduire le déficit de la balance commerciale et la dépendance du Liban aux entrées de capitaux. Il y a aujourd’hui des forces au sein du gouvernement dont les positions ont évolué, et qui sont prêtes à soutenir l’industrie. C’est le cinquième cabinet auquel je participe et j’ai l’impression que, cette fois, il y a une prise de conscience sur l’importance de ce secteur.
Le Liban a imposé de nouveaux droits de douane sur 18 catégories de produits importés, y compris pour certains ceux provenant des pays avec lesquels le Liban a un accord de libre-échange. Comment avez-vous décidé les industries à protéger ?
Nous nous sommes basés sur les enquêtes menées par la commission, au sein du ministère de l’Économie, que les industriels locaux saisissent lorsqu’ils s’estiment victimes de dumping. Mon prédécesseur avait proposé la même liste de produits, mais il n’avait pas été entendu. Aujourd’hui, le Liban réalise qu’il n’a plus le luxe de continuer à importer au même rythme, que la situation est délicate et qu’il faut protéger l’économie. Les mesures protectionnistes n’ont pas été prises de façon arbitraire et elles devraient s’étendre à d’autres secteurs dans les mois à venir.
Comment réagissent nos partenaires commerciaux ?
Il y a eu des pressions de la part des pays arabes et des pays européens. Mais il y a deux principes sur lesquels nous ne transigeons pas : la réciprocité et la protection des intérêts nationaux. L’Union européenne respecte-t-elle ses engagements commerciaux envers le Liban ? Prenons par exemple les capsules d’expresso. Les pays européens les exportent vers le Liban, mais le Liban ne peut pas les exporter en Europe, alors que nous importons tous les deux le café d’Amérique du Sud. Nous n’attaquons personne, nous voulons simplement rééquilibrer les relations.
Il ne faut pas oublier non plus qu’avec plus d’un million de réfugiés syriens sur notre sol, le Liban supporte un lourd fardeau et traverse une situation économique très difficile. L’accord d’association prévoit la possibilité d’instaurer des mesures de protection en cas de difficultés monétaires et économiques.
Quant aux pays arabes, ils disent respecter l’accord de libre-échange mais, en pratique, ils imposent de nombreuses barrières à l’entrée des produits libanais sur leur marché. Des pays comme l’Égypte, l’Algérie, la Tunisie et l’Irak ne respectent pas leurs engagements. Il y a environ trois mois, l’Irak a interdit l’entrée de toutes les boissons et les jus libanais ! Je suis bien sûr en faveur de l’intégration régionale, mais pas au détriment de notre économie.
Je pense que le Liban a négocié certains accords dans une situation d’infériorité. Aujourd’hui, par exemple, l’accord de libre-échange qui est en train d’être finalisé avec le Royaume-Uni est excellent.
Les mesures protectionnistes sont-elles suffisantes ? Ne risquent-elles pas d’augmenter les prix ?
Ces mesures concernent des industries existantes, qui offrent une alternative aux consommateurs, et visent à rétablir des conditions de concurrence loyale. Les Libanais devront payer une petite prime sur les produits importés ou acheter leur équivalent libanais.
Est-ce que cela est suffisant ? Certainement pas.
Quelques mesures ont été prises récemment, comme une baisse des taxes portuaires sur les matières premières utilisées par les industriels ou une exonération de certains tests de laboratoire, et d’autres vont suivre.
Nous avons notamment demandé une enveloppe de 35 millions de dollars pour subventionner les coûts d’énergie pour les industries énergivores. Nous voulons aussi trouver un mécanisme pour soutenir les exportations.
Mais cela suppose que les industriels, de leur côté, prennent leurs responsabilités et respectent leurs engagements, que ce soit en matière de droit du travail ou d’environnement.
Les industriels libanais respectent-ils les normes environnementales ?
Nous avons inspecté récemment 56 usines installées le long du Litani, dont une quarantaine avaient une station de traitement des eaux usées, et testé la qualité des eaux rejetées. À l’issue du délai que nous leur avons donné pour se mettre aux normes, 14 usines ont été fermées.
En ce qui concerne les cimenteries, elles se sont engagées à appliquer les normes les plus strictes et à être régulièrement auditées par une société internationale. Le plan d’action que nous avons mis en place a été approuvé par le ministre de l’Environnement.
Quelles sont les industries d’avenir qu’il faut encourager ?
Nous planchons sur des mesures visant à développer l’industrie du recyclage.
Je pense qu’il faut aussi soutenir les industries technologiques et électriques, qui ont un fort potentiel en termes d’exportations. L’industrie agroalimentaire restera toujours essentielle, ne serait-ce que parce qu’elle offre un débouché à l’agriculture libanaise.
Mais il ne faut pas pour autant abandonner les secteurs traditionnels, comme l’ameublement, la maroquinerie ou le textile, qui peuvent répondre à la demande locale et qui font partie du tissu social du pays.