Justine Babin

Depuis le début du mouvement de contestation, la justice fait feu de tout bois : elle a ordonné l'ouverture de plusieurs enquêtes dans des affaires de corruption, de gaspillage de fonds publics et de blanchiment d’argent jusque-là en suspens. D'après la présidence de la République, 18 dossiers font désormais l'objet d'enquêtes judiciaires.

« Impossible pour moi de préjuger des intentions des procureurs qui poursuivent ces dossiers », considère l’avocat Rabih el-Chaër, ancien président de l’association Sakker el-Dekkéné. « J’ignore si ces décisions relèvent d’un réveil du système judiciaire libanais, encouragé par les revendications des manifestants ou bien s’il s’agit de mesures populistes qui visent à calmer la contestation à bon compte. Tous les dossiers, naguère jetés aux oubliettes, seront-ils vraiment rouverts ? Ou verrons-nous simplement quelques boucs émissaires jetés en pâture pour apaiser la vindicte populaire ? » s’interroge-t-il.

Le parquet financier en tout cas n’a jamais été aussi dynamique : le procureur Ali Ibrahim a notamment engagé des poursuites pour blanchiment d'argent contre le responsable de la sécurité à l'Aéroport de Beyrouth Omar Kaddouha, qui est soupçonné d’avoir touché des pots-de-vin. L'ancien ministre d’État et dirigeant du parti Baas, Fayez Chokr, est également poursuivi pour « négligence dans l’exercice de sa fonction », ce médecin de formation étant soupçonné d’avoir bénéficié d’un emploi fictif auprès de la Caisse nationale de Sécurité sociale. Le directeur général des Douanes libanaises, Badri Daher, a également été épinglé sans que l’on sache avec précision les faits reprochés.

Le procureur s’en est pris aussi au Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) ainsi qu’à trois entreprises de BTP – Dar el-Handasah, LK et Batco – soupçonnés de dilapidation de fonds publics dans le cadre du projet de construction du barrage hydraulique de Brissa dans le Nord du pays.

Pour de nombreux experts, le cas de cette retenue d’eau est emblématique. Selon al-Akhbar, l’État a d’abord déboursé 10 millions de dollars pour sa construction en 2001 avant d’y injecter 20 millions de dollars supplémentaires deux ans plus tard, afin de tenter de réparer l’étanchéité de son soubassement. Le barrage doit pourtant encore faire l’objet de travaux, pour un montant estimé à 8 millions de dollars, que le Liban doit financer à travers un prêt bonifié octroyé par le Koweït.