Tableaux et sculptures peuvent s’avérer un bon placement alternatif en temps de crise. À condition de savoir attendre.
À ceux qui en ont les moyens, un tableau de Etel Adnan ou de Paul Guiragossian peut apparaître comme un meilleur placement qu’un dépôt bancaire, aux rendements en baisse et dont la valeur s’hypothèque au fur et à mesure qu’un “haircut” se profile à l’horizon.
«Les collectionneurs achètent des œuvres par passion, pas pour placer leur argent de manière sûre. Mais c’est vrai qu’avec la chute des placements bancaires, ce même public peut être tenté d’acheter une œuvre d’art supplémentaire plutôt que de laisser l’argent bloqué en banque», concède le galeriste Saleh Barakat d’Agial.
Principal avantage : un rendement annuel moyen intéressant, estimé sur la base de données d’Artprice – qui recense les ventes aux enchères du monde entier – à 4,6% en 2019 pour une durée de 13 ans. Autre (énorme) avantage : le marché de l’art n’est pas corrélé à la panique collective générée par l'instabilité politique ou le chaos économique.
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Le prix de l’art varie certes en cas de crise, mais de façon moins forte de celui de la bourse ou de l’immobilier. Lors de la crise internationale de 2008, par exemple, ses indices ont chuté de 4,5%, tandis que ceux du S&P 500 dégringolaient d'environ 37,5%.
Plus facile d’acheter que de vendre
Avec l’aggravation de la crise au Liban, le marché voit émerger une nouvelle clientèle, peu au fait de la valeur artistique et davantage préoccupée par le rendement de son placement. Si l’art comme “valeur refuge” est un phénomène assez largement reconnu dans le monde, les investisseurs libanais ont une raison supplémentaire d’y adhérer : le contrôle des capitaux officieux instauré depuis novembre dernier.
À défaut de pouvoir transférer leur argent à l’étranger, certains choisissent d’acquérir une toile ou une sculpture, plus facile à sortir du Liban. Une aubaine pour certains artistes, qui voient les demandes d’achat se multiplier.
«Il faut être toutefois conscient que l’argent qui circule dans le système bancaire perd une partie de sa valeur lorsqu’on veut le sortir en liquide. J’ai malgré tout accepté certaines ventes directes ces dernières semaines, car la “décote” due à la dévaluation de la livre libanaise par rapport au dollar reste en deçà du pourcentage que prend normalement mon agent», explique un artiste, qui préfère rester anonyme.
De leur côté, les galeries ou les maisons de vente aux enchères confirment également l’augmentation du nombre de négociations en cours. «De plus en plus de personnes désireuses de faire sortir leur argent du Liban s’enquièrent en effet du prix d’œuvres d’art», fait valoir Farouk Abillama, fondateur de la maison de vente aux enchères FA Auctions (voir son entretien ci-dessous).
«Ce sont des investisseurs qui entendent en général acheter et revendre presque aussitôt, ajoute Saleh Barakat, lui aussi confronté à ce nouveau profil. Car ils espèrent vendre ensuite l’objet acquis sur les marchés internationaux.» Or, l’acquisition d’une œuvre se pense d’abord comme un placement à mener sur le moyen ou le long terme : le laps de temps entre l’achat et la revente devant être d’au moins cinq ans, selon plusieurs experts, si on veut espérer un bénéfice quelconque.
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L’autre problème est que le marché de l’art libanais est étroit. «Qui peut se porter acquéreur d’un artiste libanais ? Un autre Libanais dans la plupart des cas. Or, ceux de l’intérieur ne peuvent pas a priori effectuer de transferts vers l’étranger. Reposer sur les amateurs au sein de la diaspora limite drastiquement les reprises possibles.»
D’où, selon lui, un risque important : l’effondrement du marché de l’art libanais, qui pourrait devenir trop liquide à plus ou moins court terme. «Si ces investisseurs se mettent à vendre tous en même temps, la cote des artistes qu’ils auront sélectionnés risque de s’effondrer d’autant plus vite que certaines des œuvres ne trouveront pas preneur. Pour nous galeristes, qui construisons la renommée de nos poulains pendant des années, c’est très dangereux.»
Lors de ventes aux enchères, qui se tenaient courant décembre à Paris, certains tableaux d’artistes libanais n’ont d’ailleurs pas trouvé preneur, ou bien ont été adjugés à leur estimation la plus basse. Une anecdote qui rappellera aux éventuels intéressés que le marché de l’art est peut-être moins facile à appréhender que d’autres commodités.