Face aux risques de dévaluation de la livre, de restructuration de la dette publique et de “haircut” sur les dépôts bancaires, les indemnités de fin de service des salariés, gérées par la Caisse nationale de Sécurité sociale (CNSS), sont-elles en danger ? Soulignant l’importance des enjeux au niveau social, le directeur financier par intérim de la CNSS, Chawki Abou Nassif, se veut rassurant. Entretien.
De plus en plus de salariés s’inquiètent pour leur épargne. Comment cela se traduit-il au niveau de la CNSS ?
Nous observons depuis quelques mois une hausse des demandes de retrait des indemnités de fin de service. Des salariés, dont certains cumulent moins de vingt ans de cotisation, craignent que leur épargne ne perde sa valeur et préfèrent l’encaisser immédiatement, quitte à renoncer à l’intégralité de leurs indemnités. En moyenne, nous recevons 100 à 150 requêtes supplémentaires par jour, avec un pic de 500 demandes durant quelques jours. Malgré cette hausse, nous sommes en mesure de débourser les fonds requis, car la caisse des indemnités de fin de service dispose de réserves suffisantes.
La lenteur du traitement des dossiers n’est pas liée à la disponibilité des fonds, mais à un manque de ressources humaines, car nous n’avons pas embauché depuis 2012. Les délais de paiement sont ainsi passés de 15 jours environ à deux ou trois mois. La situation pourrait encore s’empirer dans les prochains mois, pas seulement à cause de la panique, mais aussi à cause des licenciements dus à la crise économique.
Comment les avoirs de la caisse des indemnités de fin de service sont-ils placés ?
Les avoirs de la CNSS s’élevaient fin 2018 à un peu plus de 14 000 milliards de livres libanaises, dont environ 11 000 milliards de livres de liquidités, placés soit dans des bons du Trésor arrivant à échéance dans 12, 24 et 36 mois (à 52 %), soit dans des dépôts bancaires en livres libanaises avec des maturités inférieures à un an (48 %). Pour réduire notre exposition en livres libanaises, nous avons commencé il y a quelques mois à convertir en dollars une partie des dépôts arrivant à échéance, en nous basant sur une décision datant de 2012 qui autorise la CNSS à placer jusqu’à 20 % de ses avoirs en devises étrangères. À ce jour, les placements en dollars s’élèvent à 175 millions de dollars.
Les placements en dollars et la baisse des taux d’intérêt sur les dépôts décidée ont-ils un impact sur l’équilibre financier de la caisse ?
Non, parce que les indemnités de fin de service sont calculées en livres libanaises, et que le taux des intérêts sur les comptes personnels des assurés varie en fonction des taux du marché. Les risques liés aux indemnités de fin de service sont supportés par les employeurs, qui doivent payer la différence entre les indemnités dues à l’assuré et le montant accumulé dans son compte personnel.
Quels sont les montants dus par l’État à la CNSS et à quoi correspondent-ils ?
L’État a plusieurs engagements envers la CNSS, dont l’essentiel concerne la caisse maladie-maternité. Il doit d’abord payer sa contribution aux cotisations de la branche maladie-maternité qui s’élève à 25 % ; en tant qu’employeur, il doit aussi payer sa part de la cotisation des salariés non soumis à la loi sur les fonctionnaires ; les cotisations des chauffeurs de taxi et des moukhtars ; les montants qu’il doit au titre de l’adhésion facultative à la CNSS ; et les cotisations dues au titre de la couverture maladie des retraités ayant accompli 20 ans d’emploi introduite par la loi du 12 février 2017.
L’État ne payant pas, la caisse maladie-maternité cumule les déficits qui sont couverts par la caisse des indemnités de fin de service. Entre le principal et les intérêts, l’État doit environ 2 380 milliards de livres libanaises à la caisse maladie-maternité, auxquels s’ajoutent environ 856 milliards d’impayés au titre de cotisations pour les indemnités de fin de service des fonctionnaires, ce qui porte le total de sa dette envers la CNSS à près de 3 236 milliards de livres libanaises fin 2018.
Quelles sont les implications de l’accumulation des arriérés de paiement de l’État ?
Dans l’article 71 de la loi de budget de 2019, l’État a réaffirmé son intention de payer ses arriérés et nous considérons cet engagement vis-à-vis des bénéficiaires de la CNSS comme un signal positif. Le remboursement devait se faire en dix versements annuels de 543 milliards de livres libanaises chacun, dont le premier aurait dû être payé avant la fin septembre ; ce paiement n’a toutefois toujours pas été effectué. Nous avons puisé dans nos réserves jusque-là, mais nous ne pourrons pas continuer à remplir nos obligations si l’État ne commence pas à payer lui aussi ses contributions.
Quelles seraient les conséquences d’une restructuration de la dette ou d’un “haircut” sur les dépôts des indemnités de fin de service ?
Avec le ministère de la Santé, la CNSS est garante de la sécurité et de la stabilité sociale du pays. Toucher aux avoirs de la CNSS porterait un coup dur à l’institution et remettrait la stabilité sociale en question. La quasi-totalité de nos actifs étant placés en bons du Trésor et en dépôts bancaires, nous serons évidemment très affectés par une restructuration de la dette en livres ou un “haircut” sur les dépôts bancaires. Nous espérons que les pouvoirs publics prendront en considération l’impact social de telles mesures et préserveront, coûte que coûte, l’épargne des salariés.
Cette épargne pourrait-elle être investie dans autre chose que la dette publique et les dépôts bancaires ? La CNSS pourrait-elle, par exemple, participer à l’ouverture du capital de certaines entreprises publiques ?
Il faudrait, pour cela, modifier la loi sur la CNSS qui nous interdit pour le moment de placer nos avoirs dans d’autres types d’actifs.