Trois questions à Rachel Dores-Week, co-auteur d'un rapport sur le rôle joué par les Libanaises dans le mouvement de contestation, publié par l'ONU Femmes.
Pourquoi l’ONU Femmes a-t-elle publié un rapport sur le rôle joué par les femmes dans le mouvement de contestation libanais ?
Dès le début du mouvement, il est clairement apparu que les Libanaises étaient en première ligne de la contestation. Cependant, et c’est une tendance générale, on observe souvent une relégation de leurs demandes au moment de la transition politique. D’où la nécessité de documenter, de manière neutre, l’importance de leur rôle dans la demande de changement, pour que leurs aspirations à l’égalité des droits soient prises en compte par le prochain gouvernement. À terme, le but est d’institutionnaliser, par des rapports trimestriels, le suivi de la participation féminine et de l’impact différencié de la crise économique et politique.
Quelles sont les principales conclusions du rapport ?
Un des points les plus notables est l’ampleur de la présence féminine : elles représentaient, selon nos estimations, environ la moitié des participants au cours de la première semaine. Cette mobilisation, qui a uni des femmes de classes sociales et d’origines géographiques diverses, a largement démenti l’idée selon laquelle les Libanaises ne sont pas engagées politiquement. Leurs demandes étaient avant tout d’ordres politique et économique. Cependant, au cours des entretiens, d’autres revendications ont émergé, comme une réforme de la loi sur la nationalité et l’établissement d’un code unifié du statut personnel.
Autre aspect important, leur rôle dans le maintien du caractère pacifique du mouvement. Elles se sont par exemple organisées pour servir de barrières humaines entre les forces de l’ordre et les manifestants. Elles se sont servies de manière stratégique de stéréotypes régressifs, qui postulent de la faiblesse féminine, pour désamorcer la violence, avec des formules fortes comme : « Comment oses-tu frapper une femme ? »
Cette mobilisation a-t-elle rencontré des oppositions ?
Les critiques à l’encontre des manifestantes ont pris une tournure sexiste, visant à leur faire perdre leur légitimité d’acteur politique. Le harcèlement sur internet a aussi été fréquemment rapporté, contraignant beaucoup de femmes à limiter leur activité en ligne.
D’autre part, les femmes interviewées ont rapporté que, si leur rôle pacificateur a été valorisé parmi les manifestants dans un premier temps, elles ont ensuite été écartées au moment d’assurer leur leadership (accès au microphone, au podium…).
De manière générale, les manifestantes ont dit se sentir en sécurité. À Tripoli, par exemple, les femmes sont descendues le soir dans les places des protestations, seules et sans crainte, une première pour nombre d’entre elles. À l’inverse, dans la Békaa, certaines affirment avoir dû manifester dans d’autres villes pour ne pas être vues par les membres de leur communauté.