Confrontés à une baisse des ventes, les malls mettent en place des mesures drastiques.
Véritable temple de la consommation au Liban depuis une quinzaine d’années, les centres commerciaux subissent aujourd’hui la contraction de la demande. Pour faire face à la baisse de l’activité, les malls ont mis en place différentes mesures d’urgence, avec une priorité : retenir leurs locataires, qui voient leurs ventes s’effondrer.
« Les difficultés des clients à accéder à leurs économies en raison des restrictions bancaires, la dépréciation de la livre libanaise sur le marché parallèle et les baisses de salaires dans un climat d’incertitude économique poussent les clients à réduire leurs dépenses ou à les reporter », explique le PDG d’Admic, Michel Abchee, propriétaire du CityMall à Dora.
Ces grands espaces commerciaux ont également vu leur fréquentation baisser depuis le début de la “thawra”, le 17 octobre 2019. « Les jours de forte mobilisation, les malls se désertifient, puis la situation revient à la normale », observe Roula Abboud, directrice marketing des centres The Spot à Choueifate et Saïda, du groupe libanais BA United Holding. Ce dernier est particulièrement concerné du fait de rassemblements réguliers à proximité. C’est le cas aussi des Souks de Beyrouth – qui n’a pas souhaité répondre à nos questions –, tout comme l’ABC.
Effondrement des ventes
La baisse du nombre de visiteurs et de leurs dépenses a eu un impact significatif sur les ventes des commerçants, et donc sur les opérateurs de malls qui ponctionnent une partie de ces revenus.
Au City Centre Beirut, le chiffre d’affaires consolidé de tous les vendeurs a ainsi plongé de 8 % en 2019, à 300 millions de dollars.
Comme en témoignent les estimations partagées par d’autres acteurs, la dégringolade des ventes se concentre sur les derniers mois. Le CityMall de Dora rapporte ainsi une chute de 20 à 40 % de novembre 2019 à janvier 2020, par rapport à l’année dernière. Le Cascada Mall, dans la Békaa, opéré par InterMall Group, enregistre, lui, une baisse sur un an de 40 à 50 % depuis novembre.
Pour les commerçants, la baisse des ventes a été concomitante au renchérissement du coût de remplacement de leur marchandise, provoqué par les restrictions sur les retraits et transferts de devises à l’étranger. « Certains ont pu s’adapter, car ils ont de l’argent hors du Liban, sont soutenus par les marques étrangères qu’ils représentent ou bénéficient d’aides de grands groupes internationaux auxquels ils appartiennent, explique Serge Younane, le directeur du City Centre Beirut. Mais le reste doit de se tourner vers les changeurs, où la livre libanaise a perdu 40 % de sa valeur, pour se fournir en devises. » Ces dollars sont ensuite réinjectés dans le secteur bancaire pour pouvoir importer, le “fresh money” échappant pour l’instant aux restrictions. Le surcoût de ces opérations de change n’a été que progressivement reporté sur les prix au consommateur et a donc occasionné une baisse importante des marges des distributeurs.
Au point que certains commerçants menacent de plier bagage, incapables de s’acquitter des loyers, ce qui place les opérateurs de malls sous une pression inédite.
En 2019, les revenus locatifs, d'environ 45 millions de dollars ont permis à l’opérateur du City Centre, le groupe émirati Majid al-Futtaim, de stabiliser son chiffre d’affaires malgré la baisse des ventes. Mais il s’attend à une dégradation cette année. « Les centres commerciaux, où la fréquentation est relativement plus élevée que les boutiques ayant pignon sur rue, ne sont pas les premiers lieux où les distributeurs décident de fermer en général », souligne Serge Younane. Mais, « la situation depuis octobre est exceptionnelle et devrait se répercuter sur notre chiffre d’affaires en 2020 », prévoit-il.
Mesures d’urgence
Première victime officielle de la crise, LeMall Habtoor propriété de Acres Development. La société a annoncé dans un communiqué le 25 février, la fermeture fin mars du centre, « à la suite de la détérioration de la situation économique. » Une source du secteur nuance toutefois que « cette fermeture était prévue depuis longtemps ».
The Spot, à Nabatiyé, a lui « fermé fin 2019, car le contrat de l’ancien opérateur arrivait à terme et aucun accord n’a encore été trouvé avec un repreneur », justifie Jihad Fayez Jaber, président de l’Association des commerçants de Nabatiyé.
Pour survivre, la plupart des opérateurs de centres commerciaux ont mis en place des mesures d’urgence. « Nous avons offert à nos locataires différentes aides dont une diminution temporaire des loyers sous forme de notes de crédit », explique Roula Abboud. Ces mesures ont pour l’instant permis de limiter l’hémorragie : « Quelques commerçants seulement sont partis fin 2019 », affirme-t-elle.
Au City Centre Beirut, « un fonds d’aide de plusieurs millions de dollars est en train d’être constitué par le groupe Majid al-Futtaim », affirme Serge Younane. Ces financements seront distribués aux commerçants en 2020, selon des critères de performance. La restauration, le prêt-à-porter, les équipements de sport et les supermarchés résistent relativement mieux. En revanche, « pour les boutiques qui ne fonctionnaient déjà pas avant la crise, nous ferons en sorte, si possible, de trouver des remplacements », note Serge Younan.
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En parallèle, les malls se livrent à un délicat exercice budgétaire, entre effort marketing pour soutenir l’activité et coupes budgétaires sur les dépenses en électricité et les fonctions support. « Nous avons renforcé notre investissement dans les événements ou les offres promotionnelles, ayant un impact direct sur les ventes », explique ainsi Roula Abboud. « Notre budget marketing, qui représente 5 % de nos revenus, n’a pas baissé », affirme également Serge Younane.
À la différence de la force de vente des commerçants, particulièrement touchée par les licenciements et les baisses de salaires, les centres commerciaux affirment que le personnel administratif a été épargné jusque-là par les coupes budgétaires. Mais pour le reste, notamment certaines fonctions supports sous-traitées, l’heure est aux économies. « Nous avons réduit les dépenses de ménage, puisque la baisse de fréquentation le permet », explique Maurice Torbay, PDG du complexe Cascada Village, qui comprend le Cascada Mall.
« Par ailleurs, nos horaires d’ouverture sont passés de 10h-22h à 12h-20h jusqu’en mars, afin de réduire la consommation d’énergie, qui représente environ la moitié de notre budget. »
Cet article a été modifié le 13 mars pour rectifier une information concernant les revenus du City Centre Beirut.