Une étude publiée par l’Institut des finances Basil Fuleihan donne pour la première fois une estimation du coût direct de l’épidémie et son évolution dans les six prochains mois.
Quelle sera l’évolution de l’épidémie dans les prochains six mois? Il y a quelques semaines encore, les observateurs estimaient, en s’appuyant sur des chiffres communément admis dans le monde, que 10% de la population libanaise, soit 600.000 personnes, pourrait être contaminée.
Un chiffre énorme qui faisait peser sur le fragile système hospitalier le risque d’un rapide engorgement. Mais une étude de l’Institut des finances Basil Fuleihan, publiée le 18 avril, apporte une réponse plus nuancée.
En identifiant deux scénarios, basés sur des expériences épidémiologiques passées, le rapport estime qu’entre 9.049 et 11.918 personnes pourraient en fait développer la maladie dans les six prochains mois au Liban. Soit moins de 2 % de la population libanaise.
Une prévalence de l’infection à des années-lumière des 60 à 70% nécessaires pour obtenir une protection collective par la seule immunité de groupe. «Ce sont des scénarios indicatifs, prévient prudent l’économiste Iskandar Boustany, qui a mené l’étude. À l’heure actuelle, la courbe épidémiologique semble même en deçà de ces projections. Mais elles sont vraisemblablement plus proches de la vérité que les 600 000 cas potentiels précédemment annoncés.»
Pour le système de santé, cela signifie que la première vague épidémique, qui semble aujourd’hui baisser, pourrait coûter entre 43 et 58 millions de dollars sur les prochains six mois, soit entre 9 et 13% du budget du ministère de la Santé en 2020 (461 millions de dollars). Un surcoût qui pourrait être couvert par le prêt d’urgence de 70 millions de dollars auquel le FMI a consenti début avril.
Pour parvenir à ces prévisions, Iskandar Boustany s’appuie sur les données historiques de deux villes américaines, touchées par l’épidémie de grippe espagnole entre 1918 et 1919. «Le taux de reproduction – c’est-à-dire le pouvoir de contamination du virus – de cette grippe et du Covid-19 sont proches», justifie l’économiste.
Mais les similarités entre ces deux épidémies ne s’arrêtent pas là. Pour modéliser les deux scénarios proposés, le chercheur libanais s’est basé sur des études américaines qui ont analysé la propagation de la grippe espagnole dans différentes villes en fonction de la réponse apportée par les autorités locales. En comparant les taux de mortalité, le calendrier et les interventions de santé publique, ces recherches ont montré que le nombre de décès était inférieur d’environ 50% dans les villes qui ont pris des mesures préventives au tout début de l’épidémie par rapport à celles qui l’ont fait plus tardivement ou ne l’ont pas fait du tout. C’est typiquement le cas de Saint Louis et New York, les deux modèles sur lesquels s’appuie l’étude de l’Institut des finances Basil Fuleihan. Ces deux villes ont contraint leur population à un confinement strict de manière précoce. «Un siècle plus tard, la réponse des autorités libanaises s’y apparente», ajoute Iskandar Boustany.
L’économiste estime que si l’évolution au Liban suit l’exemple de New York, les 16 hôpitaux gouvernementaux et privés, qui forment la première ligne de défense contre le Covid-19, seraient submergés durant le deuxième mois de l’épidémie, courant mai, forçant l’État à ouvrir en urgence quelque 979 lits supplémentaires dans une douzaine de structures provisoires comme des stades, des parkings ou des écoles et casernes désaffectées… En revanche, si le Liban suit une courbe épidémiologique plus proche de celle de la grippe espagnole à Saint Louis, les services hospitaliers du pays ne seraient débordés qu’au quatrième mois. L’État ne devrait ouvrir alors que 167 nouveaux lits pour suppléer les hôpitaux, ce qui reviendrait à réquisitionner deux ou trois structures provisoires seulement.
Pour préciser son tableau de l’épidémie actuelle, le chercheur a aussi calculé la probabilité pour une personne infectée d’être hospitalisée. Une fois hospitalisés, une minorité de patients devraient être admis dans un service de réanimation : c’est le cas de 8,4% d’entre eux.
L’étude estime ensuite le coût moyen d’un malade du coronavirus selon que ses symptômes sont légers (il reste confiné chez lui), moyens (il a besoin de soins hospitaliers, mais une partie de la quarantaine se déroule à domicile), ou sévères (les services de réanimation sont sollicités une vingtaine de jours). Lorsque des soins à domicile sont seulement requis, traiter un malade revient à 503 dollars. En revanche, lorsqu’il faut y intégrer des soins hospitaliers, le coût monte à 5.937 dollars. Enfin, si des soins intensifs sont exigés, ce sont près de 26.203 dollars que la communauté doit débourser pour soigner le patient.
En filigrane, ce que les deux scénarios de l’étude de l’Institut des finances Basil Fuleihan montrent, c’est «l’impact massif qu’a eu le confinement au Liban sur la propagation du SARS-CoV-2».
À un moment où le Liban entame sa sortie du confinement, cette recherche rappelle que, sans un vaccin, l’immunité de groupe sera insuffisante pour éviter une seconde vague. Là encore l’histoire de la grippe espagnole pourrait nous servir.
À Saint Louis, où les mesures de confinement furent levées seulement deux mois après le début de l’épidémie, un nouveau pic est presque aussitôt apparu, qui a rallongé la durée du confinement (20 semaines en tout). Parmi les villes qui ont maintenu les interdictions en place, comme New York, aucune n’a connu une seconde vague de cas mortels. «Idéalement, des mesures de contrôle efficaces devront être maintenues encore longtemps», conclut le chercheur.