Trois questions à Mona Sukkarieh, consultante en risques politiques et cofondatrice de Middle East Strategic Perspectives
L’exploration offshore est un long processus avec ses risques, ses défis et ses incertitudes. Avec ce premier forage réalisé dans le Bloc 4, le Liban fait ses premiers pas dans l’exploration offshore. En l’absence de réserves prouvées, et sans production de pétrole ou de gaz, on ne peut pas dire qu’un pays est « un pays pétrolier ».
Les attentes autour du secteur ont été amplifiées pour des raisons politiques. La grave crise économique et financière que traverse le Liban explique aussi les espoirs que sous-tendent les premiers forages. Le Liban est donc au tout début de son aventure pétrolière. Il s’agit de ne pas se décourager si la chance ne lui sourit pas dès les premières tentatives.
A titre d’exemple, une vingtaine de puits ont été forés au large des côtes israéliennes avant les premières découvertes -qui étaient toujours modestes d’ailleurs- en 1999 et 2000, et plusieurs autres avant les grandes découvertes de 2009 et 2010, Tamar et Léviathan. Aujourd’hui, les réserves de ce pays sont estimées à environ 900 milliards de m3 de gaz naturel.
Dans le contexte d’effondrement massif de la demande et des prix des hydrocarbures, ne serait-il pas judicieux de reporter l'exploration des autres blocs ? A quelles conditions, une renégociation pourrait-elle se faire?
Le Liban espère que le deuxième forage de Total ne sera pas reporté ou, pire encore, annulé. Mais cela reste une possibilité. Total doit encore forer dans le Bloc 9 avant mai 2021. Une partie de ce bloc se trouve dans une zone disputée avec Israël, ce qui rend son exploration d’autant plus problématique, même si la compagnie a clairement fait savoir qu’elle s’intéresse au nord du bloc.
Le groupe français a néanmoins décidé de réduire ses investissements de 20 % cette année pour s’ajuster à la crise que traverse le marché pétrolier et à la forte chute de la demande. Il a d’ailleurs déjà reporté plusieurs forages prévus dans la Zone économique exclusive (ZEE) de Chypre. L’affaire est à suivre, d’autant que les paramètres, qui guideront le choix de Total, sont complexes et de nature technique, commerciale, aussi bien que géopolitique. Ils sont surtout trop volatiles dans le contexte actuel.
La situation est peut-être différente pour le second appel d’offres offshore qui devrait en principe se conclure le 1er juin 2020, puisque la crise des marchés pétroliers va affecter l’intérêt des compagnies pétrolières pour l’exploration, et en particulier l’exploration dans des zones à coûts élevés, comme dans les eaux profondes de la Méditerranée Orientale. Mais le fait que l’appel d’offres n’ait été reporté que de quelques semaines, et la récente décision du gouvernement de permettre aux compagnies de soumettre leurs offres en ligne, suggèrent que les autorités sont confiantes quant aux résultats de l’appel d’offres. Espérons qu’elles ne se trompent pas et qu’elles ne pèchent pas par excès de confiance…
Peut-on réalistement miser sur la manne pétrolière et gazière pour répondre à la crise économique?
Non, la crise économique nécessite des réformes structurelles que le Liban n’a plus le luxe de reporter. Il est impossible de prévoir quand - si jamais - le Liban fera sa première découverte commercialisable. Il faut savoir qu’il est difficile et coûteux d’exploiter le gaz offshore, et que les perspectives de monétisation sont compliquées davantage par l’absence d’infrastructures adéquates et un marché local relativement étroit. Il faut se mettre en tête qu’on est dans le long terme, alors que la crise économique nécessite des mesures immédiates.