Propriétaire des moulins Dora flour mills, Arslan Sinno est également président du Syndicat des importateurs des produits agro-alimentaires au Liban. Pour lui, le Liban ne devrait pas manquer de blé.
Dans une récente tribune au Washington Post, le premier ministre libanais a assuré craindre pour la sécurité alimentaire du pays. Hassane Diab a, en particulier, averti que le Liban pourrait manquer de blé. Partagez-vous ses inquiétudes et son analyse?
Il y a , c'est vrai, des tensions sur le marché du blé : fin avril, Moscou a décidé de suspendre ses exportations jusqu’au 1er juillet, date du début de la récolte 2020-2021. L’Ukraine pourrait faire de même dans les prochaines semaines. Il faut savoir que ces deux pays couvrent 80% des besoins de blé de notre pays. Pour ces deux gouvernements, il s’agit de stabiliser et de sécuriser leur marché intérieur en pleine crise du coronavirus. La décision russe ne doit pas cependant nous faire craindre pour notre approvisionnement à court terme : le Liban dispose de stocks dans les silos du port de Beyrouth ou en cours d’acheminement suffisants pour tenir jusqu’à la reprise des ventes de la Russie, qui doit intervenir début juillet.
Si la situation est maîtrisée selon vous à court terme, doit-on craindre pour le plus long terme?
Non plus. La décision russe de suspendre ses ventes à l’international est d’abord politique : le gouvernement de Moscou doit montrer à sa population qu'il privilégie le marché intérieur et agit pour limiter l'inflation qui sévit dans ce pays. En rationnant ses exportations, il accroît ses stocks et s'assure de contrôler la hausse des prix, qui intervient en ce moment. Mais, dans les faits, la Russie produit près du double de ce qu’elle consomme. De ce point de vue, il n’y a donc pas de raison pour que le pays prolonge au-delà du 1er juillet le rationnement. Il a même tout intérêt à favoriser ses exportations alors que la demande intérieure va vraisemblablement se contracter à cause de la hausse des prix aujourd’hui constatée sur le marché local. Il faut enfin rappeler que la nouvelle récolte exige des capacités de stockage, qui sont en partie occupées par les volumes sous embargo. Moscou va donc devoir «ouvrir les vannes» s’il veut pouvoir stocker sa nouvelle production.
On parle pourtant d’une mauvaise récolte pour la saison 2020-2021, avec des conditions météorologiques très difficiles…
En Russie, la récolte 2019-2020 était déjà moins bonne que celle de l’année passée à cause de températures volatiles et d’une sécheresse toujours en cours. On estime la baisse de la production a environ 18 millions de tonnes métriques (MMT). La situation ne devrait guère s’arranger en 2020-2021. Toutefois, d’autres régions ont connu une météo plus clémente : ces dernières semaines, l’Ukraine a par exemple enregistré un regain de sa pluviométrie, qui a sauvé sa future récolte. Enfin, il ne faut pas oublier que la Russie ou les pays de la mer Noire ne sont pas les seuls producteurs de blé. Dans l’hémisphère sud, des pays ont réalisé de gros excédents cette année, de l’ordre de 10 MMT. Même si la pression sur les prix se maintient, cela devrait garantir les volumes et de facto une certaine stabilité du marché mondial.