La loi César (Caesar Syrian Civilian Protection Act), en référence au nom de code de l’ex-photographe de la police militaire syrienne César, qui a fui la Syrie en 2013, emportant 55000 photographies de corps torturés dans les geôles syriennes, est entrée en vigueur le 17 juin 2020 et devrait rester applicable jusqu’à décembre 2024.
Promulguée en décembre 2019 par le président Donald Trump, cette loi bipartisane impose de lourdes sanctions au régime syrien, mais surtout à toute personne, société, institution ou tout gouvernement qui commercialise avec le pouvoir en place à Damas ou contribue à la reconstruction de la Syrie.
Son champ d’application est vague et ouvre la voie à toutes les interprétations.
Il faut néanmoins souligner que cette loi s’inscrit dans un cadre législatif plus large visant à empêcher des groupes armés, notamment le Hezbollah, d’établir une présence permanente en Syrie et à contrecarrer l’influence de l’Iran sur le pays.
La loi César n’interdit pas d’effectuer des transactions avec la Syrie, mais plutôt de traiter avec le régime syrien. À la manière des mesures votées contre l’Iran, elle oblige le président des États-Unis à infliger des sanctions – y compris la saisie et le gel des actifs aux États-Unis et des restrictions de voyage – à toute personne ou entité étrangère qui fournit en connaissance de cause, au régime syrien, directement ou indirectement, et de façon significative ce qui suit :
- Un soutien financier (octroi de prêts, crédits ou facilités de paiement), matériel ou technologique significatif ou qui conduit des transactions significatives avec le régime syrien.
- Des biens, des services, des technologies, des informations ou d’autres formes d’assistance qui facilitent considérablement le maintien ou l’expansion de la production nationale de gaz naturel, de pétrole ou de produits pétroliers.
- Des services de construction ou d’ingénierie.
- Des biens, des accessoires ou des services liés au secteur de l’aéronautique.
Il est important de noter que l’importation de biens par la Syrie est expressément hors du champ d’application de la loi César (ce qui n’est pas le cas de l’exportation de biens par la Syrie). Le terme “bien” comprend tout article, naturel ou artificiel, équipement, fourniture ou produit manufacturé, y compris matériels d’inspection et d’essai, à l’exception des données techniques.
Différents cas de figure
Avant d’examiner les différents cas de figure qui peuvent se présenter, il est nécessaire de préciser que la condition nécessaire pour déclencher l’applicabilité de la loi est le fait de traiter avec le régime syrien, c’est-à-dire le gouvernement, les services de sécurité, les personnes et entités dont le nom est affiché dans la liste des personnes désignées en vertu de la loi César par le Trésor américain (appelée à s’étoffer avec le temps), et les groupes paramilitaires qui opèrent sur le territoire syrien pour le compte du régime syrien, de l’Iran ou de la Russie.
Le Hezbollah est ainsi directement concerné par la loi et est assimilé au régime syrien. Cela a pour conséquence d’élargir à tout le monde l’interdiction faite aux banques étrangères de faire des transactions avec le Hezbollah par le Hezbollah International Financing Prevention Act of 2015 (HIFPA 2015).
Deux qualificatifs dans le texte sont importants pour délimiter le champ de l’applicabilité des sanctions. Le premier est “en connaissance de cause” (with knowledge), qui signifie ici que la personne concernée savait réellement ou qu’elle aurait dû savoir, dans le sens, qu’elle est obligée d’effectuer des vérifications pour prévenir tout risque de sanctions en vertu de l’adage “nul n’est censé ignorer la loi”. D’où l’importance pour la personne étrangère de mettre en place un programme de conformité efficace en matière de sanctions.
Un tel programme devrait inclure : une diligence vis-à-vis des partenaires, des fournisseurs et des clients afin de déterminer s’ils se trouvent sur la liste des personnes désignées en vertu de la loi César ou s’ils ne sont que des prête-noms du régime syrien ; un examen de la transaction et la vérification des produits pour s’assurer qu’ils ne sont pas soumis à restriction ; une assurance que les matériaux, les biens et les services ne sont pas fournis aux personnes et entités du régime syrien de manière indirecte ; des contrôles contractuels, y compris les exclusions de sanctions, les garanties et les clauses de sortie en cas de désignation ou d’aggravation des sanctions ; des formations en matière de politiques et de procédures ; un suivi régulier des transactions et des audits périodiques de la conformité aux sanctions.
Le deuxième qualificatif est “significatif”, dans le sens de substantiel, ce qui pose la question de savoir au-delà de quel degré une transaction ou un support relativement insignifiant devient important. Cela devra être déterminé au cas par cas par le président des États-Unis qui jouit d’un pouvoir très large d’imposer ou de suspendre les sanctions.
Concrètement, plusieurs cas de figure peuvent se présenter, par exemple celui d’un commerçant libanais qui exporte des produits vers la Syrie à travers un partenaire syrien. A priori, le commerçant libanais ne devrait pas être inquiété, l’exportation de biens vers la Syrie étant expressément exemptée du champ d’application de la loi. Toutefois, le commerçant libanais peut se trouver pris au piège des sanctions du fait de l’identité de son partenaire (liens avec le régime syrien), de la nature du bien négocié, du type des transactions effectuées et du bénéficiaire ultime de celles-ci. Une due diligence telle que décrite ci-dessus s’impose.
La même logique s’applique aux branches des sociétés libanaises qui se trouvent en Syrie. Quant aux branches des banques libanaises, elles se trouvent dans une situation d’attente. En effet, la nouvelle législation oblige le Trésor américain à « déterminer si la Banque centrale de Syrie se livre au blanchiment d’argent et cela avant l’entrée en vigueur de la loi ». Ce qui n’a pas été fait pour l’instant.
Au-delà des importations d’électricité de la Syrie par l’EDL, de la contrebande florissante de farine, de mazout ou d’autres produits subventionnés, qui peuvent à tout moment être considérés comme des opérations profitant au régime syrien, la loi César s’oppose surtout à la normalisation des relations avec le régime syrien, réclamée par le Hezbollah.
Le non-respect de la loi risque de mettre le pays en porte-à-faux avec l’administration américaine et la communauté internationale. Le pouvoir actuel serait alors amené à prendre la direction de “l’Est” dans le prolongement de l’axe de la résistance, guidée par l’Iran et soutenue par la Chine, et faire main basse sur les ressources de l’État, les institutions et les réserves en dollars, en attendant un règlement régional du conflit.
L’entrée en vigueur de la loi César ne fait donc que rendre plus urgente la nécessité pour le Liban d’être consistant entre le choix de ses partenaires économiques et son positionnement politique.