La chute de la livre libanaise, entamée en septembre 2019, se poursuit sur fond d’échanges d’accusations entre les principaux acteurs de cette débâcle, l’État, la Banque centrale et le secteur bancaire. Les critiques portent tant sur les raisons du crash, le modèle économique, que l’opportunité de lier, dès l’origine, la livre à une monnaie forte. S’il est difficile de démêler les choses dans une situation aussi complexe, la vérité oblige à dire que la responsabilité est globale, et que c’est tout le système post-Taëf qui s’est effondré.
Reprenons les faits dès l’origine. La politique d’ancrage de la livre au dollar, adoptée dès 1993, comportait de nombreux avantages. Si elle permettait ainsi de lutter contre la hausse des prix qui avait sévi dans les années 80 et d’œuvrer pour protéger le pouvoir d’achat de la population, elle offrait également pour les entreprises et les investisseurs extérieurs la possibilité d’un environnement financier et macroéconomique stable, débarrassé du risque de fluctuations brutales (inflation, valeur des placements, retour sur investissement). Si elle pouvait donc contribuer à la relance de l’investissement et des exportations futures, cette stabilité avait toutefois un prix et impliquait l’adoption d’une stricte discipline économique et financière, dont la meilleure description est fournie par le “triangle impossible” suggéré par l’économiste et prix Nobel Robert Mundell. Ce dernier avance en effet qu’un pays ne peut à la fois maintenir une parité fixe de sa monnaie avec le dollar, une circulation libre des capitaux avec l’extérieur (sans aucun “capital control”) et une politique monétaire indépendante. Pour maintenir une parité fixe avec le dollar et un système financier ouvert, le Liban devait aligner sa politique monétaire sur celle des États-Unis (taux d’intérêt, croissance de la masse monétaire).
Cette politique