Le FMI prévoit une chute de 7,1 % du PIB dans les pays membres du CCG. « Du jamais-vu depuis le contre-choc pétrolier de 1984 », souligne le directeur régional de l’institution, Jihad Azour. Une mauvaise nouvelle de plus pour le Liban ?
La crise du Covid-19 n’a épargné personne, pas même les mieux lotis. Dans son dernier rapport sur les perspectives économiques régionales, publié en juillet, le Fonds monétaire international (FMI) a largement revu à la baisse ses prévisions pour les pays du Moyen-Orient et d’Asie centrale, y compris les riches États pétroliers.
« Les pays exportateurs de pétrole font partie des pays les plus impactés par la récession corona », affirme au Commerce du Levant le directeur du FMI pour le Moyen-Orient et l’Asie centrale, et ancien ministre des Finances libanais, Jihad Azour.
En déprimant la demande mondiale, la crise sanitaire a en effet accéléré la chute des cours de l’or noir. Certes, l’accord d’avril entre les principaux exportateurs dans le monde sur la baisse de la production, combinée au recul de la quantité produite aux États-Unis et le retour progressif de la stabilité sur les marchés ont permis de limiter la casse. Mais le prix du pétrole est toujours en baisse de près de 30 % sur un an, et le volume des exportations reste inférieur à son niveau d’avant la pandémie. Selon le FMI, les exportations pétrolières de la région devraient baisser de 270 milliards de dollars par rapport à 2019. Pour les seuls pays du Golfe, la perte de revenus est estimée à 180 milliards de dollars.
Entre la baisse des revenus pétroliers et le coût économique du confinement, le produit intérieur brut (PIB) des six pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) devrait se contracter de 7,1 % en 2020. Du « jamais-vu depuis le contre-choc pétrolier en 1984 », commente Jihad Azour. « Ce chiffre est inférieur de 4,4 points de pourcentage aux estimations faites dans l’édition d’avril (-2,7 %) de notre rapport », ajoute-t-il. Dans ce contexte, le déficit budgétaire des pays exportateurs de pétrole devrait grimper à 11,4 % du PIB, limitant la marge de manœuvre des États. Le plus grand exportateur d’or noir de la région, l’Arabie saoudite, a ainsi triplé le taux de la TVA à la fin du mois de juin, de 5 à 15 %, même si cette décision n’est oas forcèment un signe de “détresse fiscale” à long terme, souligne Anthony Hobeika, économiste et PDG de Mena Research Partners, un institut de recherche et de collecte de données spécialisé dans le Moyen-Orient. « C’est l’ancien taux d’imposition, extrêmement faible, qui était anormal. Cette hausse fait partie des plans de restructuration économique dans le royaume, et n’est pas uniquement liée au court terme et au ralentissement économique actuel », ajoute-t-il.
L’impact sur le Liban
Les pays non producteurs de la région sont également affectés par la détérioration de la situation chez leurs voisins pétroliers. Certes, leur facture énergétique a été réduite, mais les effets de cette baisse sont largement éclipsés par les conséquences de la pandémie sur le tissu économique : la diminution des revenus du tourisme, du commerce et des transferts d’argent depuis l’étranger.
Pour le Liban, en particulier, qui fait déjà face à une crise sans précédent, ce ralentissement est une mauvaise nouvelle de plus. La baisse de la demande régionale devrait en effet peser sur ses exportations, dont 25 % étaient destinées en 2019 aux seuls pays du Golfe. Mais au-delà du commerce, c’est surtout pour ses expatriés qu’il doit s’inquiéter. Selon une étude de l’Université Notre-Dame (NDU), ils seraient près de 350 000 à vivre et travailler dans la péninsule. Au niveau des remises, qui ont longtemps permis de soutenir la balance des paiements libanaise, les perspectives sont déjà plombées par la crise financière locale. Les transferts avaient déjà commencé à baisser à partir de 2019 « du fait de la perte de confiance des expatriés et des institutions financières envers ce dernier », souligne ainsi l’économiste et responsable de la stratégie et de la planification au secrétariat du G20 en Arabie saoudite, Rami Kiwan.
Mais le risque se situe surtout au niveau de l’emploi. Face à la crise économique, combien d’expatriés pourraient perdre leur travail ? « La population expatriée représente la majorité des employés du secteur privé dans les pays du Golfe. En période de récession, elle est deux fois plus vulnérable face au risque de licenciement », répond Jihad Azour.
Dans un rapport récent, Oxford Economics prévoit la destruction de 13 % des emplois dans les pays du Golfe, en évoquant l’hypothèse d’un exode massif des expatriés.
« Cela fait déjà plusieurs années que les débouchés dans les pays du Golfe se réduisent à cause de la politique de nationalisation de la main-d’œuvre et des changements structurels dans l’économie mondiale », nuance toutefois Rami Kiwan, en estimant que les licenciements ne viseraient pas une communauté en particulier, dans « ce contexte essentiellement économique ».
Seule “bonne” nouvelle : c’est le contexte politique, plus que le contexte économique, qui détermine la volonté des pays du Golfe à soutenir financièrement le Liban. « La situation budgétaire de l’Arabie saoudite reste solide, et n’aura pas un impact majeur sur la décision du royaume d’aider ou pas le Liban », affirme Anthony Hobeika. De son côté, Rami Kiwan souligne que le G20, présidé cette année par l’Arabie saoudite, a promis « d’orienter des enveloppes budgétaires en santé publique et soutien socio-économique » aux pays dans le besoin.
Il ne faut pas s’attendre, en tout cas, à un redémarrage rapide de l’économie régionale. Le FMI prévoit un rebond timide de la croissance en 2021, à seulement 2,1 % dans les pays CCG et 3,1% dans l’ensemble de la région. Mais à condition qu’un vaccin contre le Covid-19 ait été développé dans les délais prévus, prévient-il.