L’information n’a pas été annoncée de manière officielle, mais elle a fait le tour des réseaux sociaux : dans un courrier daté du 5 août, le Haut comité de secours a demandé à l’entreprise Al-Jihad Group for Commerce and Contracting (JCC) de déblayer les rues de la capitale et ramasser les gravats suite à la double explosion qui a ravagé le port et ses environs.
Face aux questions soulevées par plusieurs organisations et activistes de la société civile sur la nature de cette requête, la société concernée s’est empressée de faire savoir qu’elle avait proposé ses services gratuitement.
« Ceux qui veulent rendre service gratuitement à Beyrouth et à ses habitants sont les bienvenus, surtout si la ville leur a déjà tellement donné », souligne l’activiste et urbaniste au Beirut Urban Lab de l’AUB, Mona Fawaz, en mettant toutefois en garde contre « ceux qui voudraient profiter de l’explosion pour redorer leur blason ou garantir leur accès à des contrats de reconstruction payés sur le long terme ».
Un commentaire qui n’a rien d’anodin étant donnée la connivence d’al-Jihad Group for Commerce and Contracting avec le pouvoir. Depuis le début du mouvement de contestation, l’entreprise, dirigée par Jihad al-Arab – dont le frère et partenaire, Abdel Kader, dirige la sécurité personnelle de l’ancien Premier ministre Saad Hariri et dont l’oncle, Yehya al-Arab, était le chef de la sécurité de Rafic Hariri, avec qui il a été assassiné en 2005 – est en effet présentée comme un symbole du clientélisme et de la corruption. En cause : sa prédominance dans les grands marchés publics attribués ces dernières années, notamment dans le secteur des déchets.
Selon une étude du Lebanese Center for Policy Studies (LCPS), entre 2008 et 2018 JCC s’est accaparé 38 % de la valeur des contrats attribués à Beyrouth par le CDR, qui relève de la présidence du Conseil des ministres. Avec 62,1 millions de dollars de projets, il est le premier entrepreneur de travaux publics dans la capitale, loin devant al-Khoury Contracting avec 26,2 millions de dollars (16 %).
L’entreprise reçoit aussi une part importante des contrats au Liban-Nord (11 % soit 69,1 millions) et au Mont-Liban (14 % soit 139 millions), notamment dans le district de Baabda où 51 % (73 millions de dollars) des contrats lui ont été octroyés.
Outre les travaux de construction, l’entreprise a en effet hérité en 2016 d’une partie des contrats de gestion des déchets, longtemps monopolisés par le groupe Averda, appartenant lui aussi à un proche de la famille Hariri.
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JCC a ainsi remporté le contrat de construction et de gestion de la décharge sanitaire de Costa Brava pour un montant de 60 millions de dollars, ainsi que la gestion des centres de tri et de compostage des déchets ménagers sur quatre ans pour plus de 80 millions de dollars, dans des conditions pour le moins opaques. Son nom figurait également parmi les candidats à l’appel d’offres pour l’incinérateur prévu à l’époque pour la capitale libanaise.
Or quatre ans après la crise des déchets, rien n’a vraiment changé, estiment les experts qui dénoncent toujours le manque de transparence dans la filière.
« Aujourd’hui, pour garantir la transparence, la municipalité doit établir des consignes claires pour encadrer le nettoyage des rues de Beyrouth, notamment en ce qui concerne le tri et le stockage des déchets », estime Mona Fawaz, qui regrette que le « plan postdésastre » élaboré récemment par la municipalité et la Banque mondiale n’ait pas été mis en œuvre. « Ce plan, qui a coûté deux millions de dollars, aurait permis une gestion rapide et transparente de la crise », conclut l’urbaniste.