À l’issue d’une réunion avec le président de la République, Michel Aoun, le ministre démissionnaire des Finances, Ghazi Wazni, a affirmé que le contrat avec la société choisie pour auditer judiciairement (vérification juricomptable) les comptes de la banque centrale sera « signé dans les deux ou trois jours ». Une bonne nouvelle dans le désespoir ambiant ? Pas vraiment, répond l’avocat et président de l’Association pour les droits et l’information des contribuables, Karim Daher, si les conditions nécessaires ne sont pas assurées a priori.
Cela fait des mois que les autorités libanaises tergiversent sur l’audit juricomptable de la BDL, demandé à la fois par le mouvement de contestation et la communauté internationale. Faut-il se réjouir de la signature imminente du contrat avec la société Alvarez & Marsal ?
Dans l’état actuel des choses, l’enquête va se heurter à l’article 151 du Code de la monnaie et du crédit, qui interdit à tout employé, actuel ou ancien, de la BDL à fournir des informations liées aux clients de la BDL, ainsi qu’à la loi sur le secret bancaire. Il y a eu une tentative récente d’amender cette loi, afin de permettre la levée du secret bancaire sur les comptes des personnes politiquement exposées, des fonctionnaires et de leurs proches, ainsi qu’un cercle plus élargi de personnes influentes ou politiquement exposées. Mais au moment du vote au Parlement, les députés l’ont vidé de sa substance. Le président de la République, Michel Aoun, l’a renvoyé en seconde lecture. Si la loi est reconfirmée sans changements, le secret bancaire ne peut être levé que par la Commission nationale pour la lutte contre la corruption, qui n’a pas encore été nommée, et la Commission d’enquête spéciale, et ce à l’exclusion des instances judiciaires. Cette commission, présidée par le gouverneur de la BDL, peut être saisie dans des conditions qui rendent la procédure très difficile, ou se saisir elle-même, ce qu’elle ne fait pas. Depuis sa création en 2015, elle n’a identifié aucun cas de corruption ou de détournement de fond de la part de personnalités politiques de premier ordre ayant nécessité la levée du secret bancaire alors que de l’aveu même des politiciens, le pays croule sous la corruption.
Plus récemment, dans l’affaire des transferts à l’étranger qui ont lieu après le 17 octobre, la commission a refusé une demande de la justice, au motif que l’origine des fonds n’était pas douteuse. Là encore, on se heurte à la loi sur l’enrichissement illicite votée en 1954 et amendée en 1999. Selon cette loi, il ne suffit pas de montrer qu’un employé du secteur public s’est enrichi de manière inexpliquée, il faut apporter la preuve des crimes sous-jacents, ce qui est très difficile. Des amendements à cette loi ont été proposés, mais ils n’ont pas encore été votés.
Dans ce contexte, plutôt que de soumettre le contrat avec Alvarez & Marsal aux lois en vigueur au Liban, l’État doit au contraire inclure des dispositions garantissant que l’audit ne tombera pas dans ces écueils. Une proposition est de faire participer Eggmond Group, un forum d’échange pour les cellules de renseignement financier dont le Liban est membre. Une autre est d’inclure des conditions suspensives dans le contrat, dont la durée est limitée à quelques semaines. Cela permettrait à l’État de suspendre la mission, et donc le paiement, si la société se heurte à un obstacle légal, en attendant d’y remédier, ce qui mettrait le Parlement devant ses responsabilités. Sans cela, l’audit juricomptable de la BDL risque de ne mener à rien. La communauté internationale pourrait se contenter de cette mesure mais les Libanais, eux, passeront à côté d’une occasion unique de demander des comptes à leurs dirigeants.