Les projets menés par le PNUD dans le cadre de l’amélioration de la gouvernance de l’administration libanaise vont prendre fin à la mi-septembre. En cause officiellement : l’incapacité de l’État à payer les salaires en dollars des 150 employés du programme. Son arrêt soudain, sans stratégie d’intégration, laisse toutefois planer l’incertitude sur la capacité de l’administration à prendre le relais.
Les projets mis en place par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), dans le cadre de son plan d’amélioration de la gouvernance et du développement institutionnel, touchent subitement à leur fin. Quelque 150 employés sont concernés. Ils collaboraient dans les sept unités de « conseils internes » du PNUD mis en place au sein de l’administration libanaises : les ministères des Finances, de l’Éducation, de l’Environnement, de l’Économie et du Commerce, le Bureau du ministre d’État pour la Réforme administrative (OMSAR), l’IDAL et le Conseil des ministres.
En cause : la décision du ministère des Finances d’arrêter le transfert annuel effectué par le Trésor libanais des huit millions de dollars à l’agence onusienne. Pour se justifier, le ministère avance la nécessaire rationalisation des dépenses publiques en pleine pénurie de devises. « Le sujet était sur la table depuis un an. L’étude des finances de l’État montre qu’il y a une hypertrophie des budgets dédiés aux ressources humaines, des coupes devaient être faites », assure une source du ministère des Finances.
En revanche, la quelque cinquantaine de projets mise en place dans les autres programmes (développement social et local, prévention des conflits, réponse à la crise syrienne, environnement et genre) et financée par les bailleurs internationaux à hauteur d’environ 56 millions par an, ne sont eux pas concernés.
Pas d’alternative
Mais l’arrêt de ce programme survient sans qu’aucune transition n’ait été préalablement préparée. « Pour l’administration, trouver une alternative, dans l’urgence, à ces employés qui occupaient souvent des rôles clefs constitue un véritable défi », continue la source du ministère des Finances.
La décision risque ainsi d’affecter le fonctionnement des ministères concernés. À l’image du projet d’assistance technique pour la gestion fiscale et les réformes, signé en 1994 avec le ministère des Finances, et qui a joué un rôle central dans le récent plan de relance.
« Ce sont les conseillers du PNUD qui sont chargés de la coordination avec les bailleurs internationaux, et donc avec le FMI. Ce sont eux aussi qui gèrent les négociations avec les détenteurs des eurobonds, et qui ont mené les discussions avec le cabinet Alvarez & Marsal pour l’audit de la Banque centrale », explique Talal Salman, à la tête du projet avant sa démission fin août. Dans le cadre de la mise en œuvre du e-gouvernement, l’équipe du PNUD était aussi chargée de la création, de l’installation et du suivi de divers logiciels (impôts, douanes, registre foncier). Sans compter que l’absence d’anticipation impacte les consultants, eux-mêmes,qui se retrouvent subitement sans emploi en pleine crise, et sans compensation financière.
Pour Talal Salman, au vu des défis en jeu, l’argument financier ne justifie pas l’arrêt soudain du programme : « Il n’y a jamais eu de réformes sérieuses de l’administration qui puissent attirer les talents qualifiés pour ces postes », note-il. D’où la nécessité d’assurer une transition : « Il faut déterminer les employés indispensables aux projets en cours sous l’égide du PNUD, revoir les salaires et trouver des financements externes », confirme Camille Abousleiman, ancien ministre du Travail.
Lire aussi : Pour une administration publique souple
En bref, dessiner une stratégie de sortie. C’est justement sur ce point que le bât blesse. En effet, signé en 1996, le programme a connu une longévité exceptionnelle, alors qu’il était initialement conçu comme un outil temporaire pour renforcer les compétences de l’administration dans le Liban d’après-guerre. L’urgence actuelle est aussi le résultat de l’absence de stratégie qui aurait permis l’intégration des employés du PNUD dans la fonction publique.
“Une administration parallèle”
Car l’idée à la base était d’attirer des consultants compétents grâce à des conditions salariales avantageuses, dans le but de les intégrer ensuite progressivement dans la fonction publique. Or, « les grilles de salaires libanaises étant bien moins attractifs que celles du PNUD, c’est l’inverse qui s’est produit. Les projets ont été renouvelés en permanence pour permettre aux consultants de rester à des postes bien rémunérés », explique une experte dans une organisation internationale.
Lire aussi : Les fonctionnaires sont-ils privilégiés ou laissés-pour-compte ?
Le programme du PNUD s’est ainsi mué en une sorte d’“administration parallèle” et le transfert de compétences, qui aurait théoriquement dû permettre le renforcement de l’administration libanaise, n’a jamais eu lieu. De l’aveu même du PNUD, si les projets ont « contribué sur le court terme à l’élaboration et à la coordination de la politique fiscale et économique », ils ont été moins fructueux pour « bâtir des compétences durables [au sein de l’administration] et pour promouvoir la réforme de la fonction publique dans les départements gouvernementaux dans lequel il a été appliqué » –pourtant le but initial du programme –, lit-on dans un rapport d’évaluation l’organisme onusien (2011). « Il n’y a jamais eu aucune coordination entre l’administration publique et les employés du PNUD ni de capitalisation d’expérience à leur départ », estime un fonctionnaire qui connaît bien le dossier.
Par ailleurs, les conditions avantageuses des consultants –leur salaire selon ce fonctionnaire pouvaient atteindre jusqu’à 15 000 dollars par mois –ont contribué à créer un certain ressentiment chez les fonctionnaires. « Un facteur démotivant qui a affecté la productivité et la qualité des profils recrutés dans l’administration publique. Les consultants ont ainsi remplacé les fonctionnaires dans des tâches quotidiennes qu’une administration compétente aurait dû pouvoir réaliser », explique un économiste sous couvert d’anonymat.
Pas de stratégie de sortie
Le PNUD lui-même était conscient des limites de son intervention au sein de l’administration libanaise.
Dans son rapport d’évaluation de 2011, l’organisation estimait déjà qu’il arrive « toujours qu’une modalité ait fait son temps et cesse d’être un outil de progrès productif et utile. C’est peut-être le cas ici ». Pour tenter d’y remédier, elle proposait une liste des recommandations visant un désengagement du programme. Celles-ci n’ont cependant pas été suivi d’effets. Une intégration des consultants au sein de l’administration avait malgré tout été envisagée par un projet de loi en mai 2020 afin de régulariser leur statut. Un inventaire des postes avait alors été réalisé mais le projet de loi n’a jamais été soumis au parlement.
Si le statu quo a pu durer si longtemps, c’est aussi qu’il a pu bénéficier à certains intérêts privés. L’opacité dans la sélection des candidats a notamment été critiquée. Selon plusieurs sources, les appels à candidatures étaient souvent déjà pourvus avant leur publication. « Il était ainsi possible pour n’importe quel ministre d’embaucher, sur fonds public, une équipe qui lui était totalement affiliée politiquement. Au lieu de construire une administration pour tout le pays, le programme a fini par servir le clientélisme et renforcer système de quotes-parts », dénonce le fonctionnaire.
D’aucuns voient cependant dans la fin du programme une occasion de bâtir une véritable administration. « Encore faut-t-il se donner les moyens pour retenir les talents : ce qui demande une véritable réforme de l’administration », estime la source économique. En pleine crise économique, difficile d’imaginer comment l’État libanais pourrait trouver les ressources.