La BDL et le ministère de l’Économie planchent sur la mise en place de bons d’achat pour remplacer les circulaires qui permettaient d’importer des produits de première nécessité au taux de change officiel.
Trois mois. C’est le temps qu’il reste au mécanisme de subventions que la Banque du Liban (BDL) a mis en place, via les circulaires 530 et 535, pour l’importation des biens de première nécessité (essence, blé, médicaments) au taux de change officiel de 1507 livres libanaises le dollar. Le délai de survie de la circulaire 564, qui couvre un panier de quelques 300 produits à 3 900 livres libanaises le dollar, n’a en revanche pas été précisé. «C’est à la BDL, qui le finance, de décider», dit-on laconique au ministère de l'Economie.
À la fin de l’année, le prix de l’essence, de la farine et des médicaments qui représentent environ 11 % du panier moyen des ménages libanais selon l’Administration centrale de la statistique (ACS), s’alignera donc sur le cours du dollar au marché noir autour de 7.000 à 8.000 livres libanaises.
«La levée brusque des subventions de la BDL sur l’octane et le diesel va, par exemple, considérablement augmenter le prix du gallon, qui passera alors de 24 500 à 64 000 LL et de 16 200 à 58 000 LL. Soit une hausse de 161 % pour le premier et de 258 % pour le second», prévient Maroun Chammas, membre du Syndicat des sociétés importatrices d’hydrocarbures au Liban (APIC).
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Conséquence inévitable : la montée en flèche de l’inflation, qui enregistrait déjà 112,4 % en juillet en glissement annuel, selon l’ACS. «Il y aura un clair effet domino sur le reste des biens et services consommés : le prix des médicaments augmentant, c’est la facture de tous les services de santé qui va suivre», avertit Kamal Hamdan, le directeur du Consultation and Research Institute (CRI).
Si la Banque centrale a décidé de cesser sa politique de « subvention », c’est que l’initiative lui coûtent très cher : près de 700 millions de dollars par mois dont près de la moitié pour couvrir les seuls besoins du pays en essence. Or, les réserves en devises étrangères de la Banque Du Liban (BDL) sont dans le rouge. Selon Riad Salamé, la BDL ne dispose plus que de 19,5 milliards de dollars environ dont 17,5 milliards de réserves obligatoires dont elle ne peut pas disposer.
Subventions ciblées impossibles
Le gouvernement et la banque centrale planchent donc depuis quelques mois sur un système qui pourraient relayer les anciennes circulaires. En juin, l’ancien ministre de l’Economie, Raoul Nehmé a ainsi suggéré l’idée de distribuer des subventions ciblées à destination des foyers les plus modestes.
En apparence, l’idée est excellente. Car si les aides de la BDL étaient jusqu’à présent relativement généreuses, le système était néanmoins largement injuste, favorisant mécaniquement ceux qui consomment le plus : les plus riches.
Selon Infopro, les trois-quarts des subventions mises en place par la BDL n’ont ainsi pas atteint les foyers les plus modestes, pourtant ciblés. Si on s’en tient seulement à la consommation d’essence, rappelle une autre étude, les 25 % les plus riches de population libanaise avaient consommé 54,8 % de l’essence vendue au Liban, contre 6 % pour les plus pauvres.
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Mais dans un pays dépourvu d'outils statistiques fiables et où au moins 55 % de l'activité économique est informelle, la faisabilité du « ciblage » a vite atteint ses limites. «Parler de subventions ciblées alors qu’il n’y pas eu de recensement depuis 1930 est absurde !» fait valoir ainsi Kamal Hamdan.
Les difficultés quant à la distribution de l’allocation de 400.000 livres libanaises, qui devait revenir aux foyers les plus impactés par la quarantaine, est là pour le rappeler : la liste des quelques 150.000 familles bénéficiaires, qui s’appuyait pourtant sur le fichier du National Poverty Targetting Program, un programme social auquel collabore la Banque mondiale, n’a pas empêché qu’y soient inclus des personnes ne résidant plus au Liban voire décédées !
Face à ces lacunes, mettre en place des aides ciblées seraient revenus à ouvrir plus largement encore la porte aux pratiques clientélistes, « qui permettraient aux dirigeants politiques corrompus d’étendre leur base électorale tandis que le reste de la population s’appauvrirait », avance Kamal Hamdan.
Apparemment conscients, la BDL et le ministère de l’Economie se sont récemment rabattus sur des bons d’achat ou des cartes de soutien accessibles, cette fois, à tous les libanais sans condition d’éligibilité. «Une politique maligne», note un expert qui préfère rester anonyme.
«Une personne dont les revenus sont suffisants n’ira pas faire la queue de longues heures pour obtenir un coupon dont il n’a pas vraiment besoin. Il s’agit d’un raisonnement purement économique : combien chaque individu valorise-t-il son temps, comparé aux économies réalisées grâce à ce bon ?» ajoute-t-il.
À ce stade, l’élaboration de ce nouveau programme reste encore très embryonnaire. Disponibles dans les banques à un taux de 1515 livres libanaises le dollar, ces coupons permettraient d’acheter un certain nombre de produits alimentaires ainsi que les médicaments et l’essence.
Mais ni la BDL ni le ministère de l’Économie n’ont précisé les économies que cette mesure permettrait de réaliser par rapport à l’ancien système. La somme qui serait allouée à chaque bénéficiaire n’a pas non plus été communiquée. On ignore enfin si la mesure s’appliquera aux étrangers. Notoirement les Syriens. Des informations laissant penser qu’ils ne figureraient pas parmi les éventuels bénéficiaires alors qu’ils sont parmi les populations les plus pauvres à vivre et travailler au Liban.
Inutile si pas de réformes
De toutes les façons, ces mesures - si elles venaient à être appliquées - ne tiendraient pas longtemps faute de financement. Albert Dagher, le directeur du département d’économie à l’Université libanaise ne croit d’ailleurs pas aux effets qu’elles pourraient engendrer.
«Toutes les idées pour tenter de mettre en œuvre une autre politique de ‘subvention’, que je préfère appeler prix administratif, plus ciblés, mieux encadrées… ne sont qu’une façon de gagner du temps. Il faut d’abord et surtout trouver une façon de restaurer la confiance des investisseurs en l’économie libanaise, afin de générer un flux de capitaux capable de ramener la balance de paiement à l’équilibre, sans quoi nous sommes condamnés au pire» explique-t-il.
Un avis partagé par Kamal Hamdan, qui réitère la primauté de la réforme politique sur la réforme économique. «En toute honnêteté, aucune solution économique n’est efficace tant que le pays est gangréné par la corruption et la logique du partage du gâteau» conclut-il.