Spécialisée dans l’agriculture hydroponique sans pesticides, Cedar Greens cultive tomates, salades et courgettes haut de gamme. Une production de niche qualitative qui représente un avenir possible pour l’agriculture libanaise.
Culture biologique et hydroponie font bon ménage à Kfar Hay sur les hauteurs de Batroun. C’est, en tous les cas, le credo de Cedar Greens, une entreprise d’une douzaine de personnes créée en 2017. Fin 2018, celle-ci a monté une ferme hydroponique de 4 000 m² pour la culture de plants hors sol de tomates, salades, courgettes et autres concombres.
Trois serres, toutes bardées de capteurs fournis par le hollandais Hoogendoorn, composent l’installation. Elles sont connectées à une console centrale qui contrôle et modifie en temps réel la température, la ventilation, le niveau d’humidité et de CO2, ou encore l’irrigation des cultures. L’eau, collectée depuis la source de Tannourine, circule en circuit fermé.
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«Cela nous permet de réduire notre consommation de 95 % par rapport à une exploitation conventionnelle», vante Charles Wardé, fondateur et patron de l’entreprise, qui envisage en outre d’équiper ses serres de 60 kW de panneaux photovoltaïques pour en réduire la facture énergétique.
Les données sont analysées afin d’appliquer dans chaque serre les paramètres les plus adaptés. «On sait combien on consomme chaque jour de CO2, combien on peut ventiler, quelle est la température, ou encore le niveau de radiation et d’humidité», détaille-t-il. «Avec désormais plus d’un an et demi de data, nous connaissons parfaitement quel modèle est valable pour chaque module».
Une production intelligente
Le recours à pareille technologie exige un investissement ambitieux, au moins quinze fois plus important que celui d’une serre classique (en "chapelle"). Au total, l’installation de 4 000 m² a demandé un million d’euros. A lui seul, le système technologique 50 000 euros.
Dans le contexte actuel, l’investissement semblerait hasardeux. Sa chance : avoir été financé avant la crise économique par Charles Wardé, ancien banquier d’affaires, et plusieurs autres partenaires sur leurs fonds propres. Démarrée en août 2019, l’activité a généré un chiffre d’affaires d’un milliard de livres libanaises la première année d’exploitation. Charles Wardé ambitionnant de le doubler chaque année et ainsi de rentabiliser l’investissement initial en cinq ans.
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Mais pour atteindre cet objectif, l’entreprise propose des prix de vente très élevés : les tomates cerises sont ainsi vendues 50.000 livres libanaises le kg contre 5000 à 10.000 livres libanaises pour des productions standards, les concombres sont proposés à 10 000 livres libanaises contre entre 3000 et 5000 livres libanaises sur le marché libanais classique et les salades à 5000 livres contre environ 2000 livres libanaises.
Pour s’imposer malgré ces tarifs, Cedar Greens table sur une vraie originalité : mettre en avant des variétés peu cultivées au Liban, comme les tomates côtelées ou les salades sucrines, pour lesquelles il existe une demande non satisfaite. «Ce sont des produits que le Liban importait jusqu’à présent. Avec la crise, ils se raréfient. Le “Made in Lebanon” peut relayer et être compétitifs : nos produits sont chers, mais entre 40 et 50% de moins que ceux importés», reconnaît Charles Wardé.
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A ce jour, le pari semble fonctionner. Cedar Green a su fédérer quelque 500 clients, en majorité des particuliers (60%) qui commandent sur son site internet. Les 40% restants sont des professionnels haut de gamme : 20% de restaurants et 20% d’épiceries fines.
«Au départ nous vendions à des grandes surfaces comme Spinneys et Carrefour, mais ils achetaient nos produits à des prix trop bas pour leur qualité, nous avons arrêté», raconte Charles Wardé.
L’innovation technologique a aussi un autre but : favoriser des rendements exceptionnels. La première serre, de 700 m², produit entre 19 kg de tomates cerises, 45 kg de tomates cocktail et 68 kg de tomates côtelées par m² par an sur une période continue de dix mois. La deuxième, de 351 m², qui est réservée à la culture de salades (laitue, frisée et sucrine) permet d’atteindre 180.000 unités par an.
Enfin, la troisième serre de 528 m² est dédiée aux légumes : elle offre des rendements de l’ordre de 50 kg de concombres, 25 kg de courgettes et 15 kg d’aubergines par m² sur sept mois.
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Pour y parvenir tout en évitant l’usage des produits phyto-sanitaires, Cedar Greens a installé, autour de ses trois modules, de grands filtres anti-insectes. L’équipe parie en effet sur la lutte biologique : des coccinelles, friandes de pucerons, et des mites Swirskii, un acarien prédateur, "patrouillent" dans les cultures pour mieux exterminer les derniers ennemis. Interdites à l’importation au Liban, les colonies de coccinelles sont attirées grâce à des plantes aromatiques plantées tout autour de ses installations.
Quant aux mites prédatrices, elles sont achetées au département d'agriculture de l’Université américaine de Beyrouth (AUB), pour 200.000 livres libanaises les 50 000 unités. Les engrais chimiques sont de même aux abonnés absents. A la place, des équivalents organiques et autres stimulants végétaux sont utilisés.
Exportation et agrandissement
Aujourd’hui, Charles Wardé vise un objectif plus ambitieux encore : l’exportation, qui espère-t-il, représentera 70 à 80% de son chiffre d’affaires à terme. Son entreprise vient d’ailleurs de signer en décembre son premier contrat avec une commande de tomates cerises au Ghana. Destinées à des restaurants italiens d’Accra, elles sont vendues neuf dollars le kg (frais de transport non inclus). Car comme pour le marché libanais, Cedar Greens vise un marché de niche, en s’adressant avant tout à la restauration et aux commerces haut de gamme.
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Pour financer cette montée en puissance, la marque compte sur une levée de fonds de plusieurs millions d’euros en 2021. Un financement qui devrait permettre la construction de 25.000 m² d’installations supplémentaires, à quelques kilomètres des serres actuelles tandis que la ferme hydroponique de Kfar Hay seraient, elle, dédiée à la seule culture des salades. Au rythme de 750.000 par an, elle lui garantirait alors un revenu annuel de 350.000 “ fresh dollars”.