Les commerces alimentaires ne sont pas épargnés par la crise, qui pèse lourdement sur la consommation des ménages, même si la grande distribution est mieux armée pour y faire face. Le président de Spinneys, le plus grand groupe de supermarchés au Liban, revient sur les mutations en cours.
Quel est l’impact de la crise sur le secteur de la distribution au Liban ?
La crise fragilise particulièrement le modèle de distribution traditionnel, c’est-à-dire les dekkenés (les épiceries de quartiers) qui captaient historiquement près de 70 % du marché libanais. Malheureusement, au moins 8 000 des 23 000 épiceries qui opéraient en 2019 ont mis la clé sous la porte depuis, selon des chiffres provenant de nos fournisseurs. Leur part de marché est donc tombée à 40 % cette année, en faveur de la grande distribution.Nous avons réussi à attirer une partie de cette clientèle grâce à nos prix compétitifs, la diversité de l’offre mais aussi du fait de notre vaste réseau géographique. Notre groupe opère en effet seize supermarchés Spinneys, qui génèrent 90 % du chiffre d’affaires ; cinq enseignes Happy, notre soft-discounter qui représente un peu moins de 10 % de nos ventes, et onze magasins Grab’n’Go. Au total, nous employons environ 2 200 personnes. Mais si la grande distribution résiste mieux que les autres face à la crise, elle n’en est pas épargnée.
Comment la crise affecte-t-elle votre activité ?
En termes réels, nous avons perdu plus de la moitié de notre chiffre d’affaires. Celui-ci est passé de 525 milliards de livres libanaises en 2019, soit 350 millions de dollars à l’époque, à approximativement 900 milliards de livres en 2020, soit l’équivalent de seulement 112,5 millions de dollars sur le marché noir. Cette baisse s’explique par une érosion significative des ventes en volume. Si la facture du panier moyen d’un client de Spinneys a doublé, voire triplé dans certaines régions du fait de l’inflation, en volume, le panier moyen a baissé entre 10 et 30 %.
Nous essayons de préserver la diversité de l’offre et de continuer à proposer entre 30 000 et 40 000 références dans les supermarchés Spinneys, en trouvant des substituts aux produits devenus trop chers. Nous nous tournons davantage vers la Turquie et l’Europe de l’Est pour les importations, et vers la production libanaise lorsque cela est possible. Nous trouvons des alternatives locales surtout dans l’agroalimentaire, les produits de nettoyage et les produits de beauté. La part des produits libanais dans le panier moyen reste donc modeste, même si elle est en hausse.
Outre la baisse de la consommation, nous souffrons comme tous les secteurs des restrictions bancaires, notamment les limites imposées récemment sur les liquidités en livres. Pour le moment, nous continuons d’accepter les paiements en carte, qui représentent près de 50 % des transactions, et nous payons nos fournisseurs à moitié en liquide et l’autre moitié par virement. Mais nul ne sait combien de temps cela va durer.
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La crise vous contraint-elle à modifier votre stratégie de développement ?
Avec la détérioration du pouvoir d’achat, nous allons sans doute développer notre enseigne de soft-discount, Happy, qui séduit de plus en plus de clients, prêts à avoir moins de variétés pour de meilleurs prix. Nous envisageons d’ouvrir de nouvelles enseignes dans les régions à revenus plutôt modestes. Spinneys et les concepts de niche auront toutefois toujours leur public.
En parallèle, nous poursuivons notre stratégie de numérisation. Pour répondre à la demande croissante pour les achats en ligne, nous avons modernisé l’application mobile de Spinneys et intégré Grab’n’Go, qui a sa propre application sur d’autres plates-formes d’achats en ligne. Nous envisageons à l’avenir de lancer une application aussi pour Happy. Mais nous ne voulons pas nous précipiter à la faveur d’un contexte particulier, celui du Covid-19, et préférons lier notre politique à des changements durables dans le mode de consommation des Libanais.
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