Huit mois après la double explosion au Port de Beyrouth, les risques que fait peser la contamination à l’amiante de certains bâtiments et débris collectés dans le périmètre de l’explosion n’ont toujours pas été pris en compte. Spécialiste de la gestion environnementale et membre de la Coalition de la gestion des déchets (WMC), Samar Khalil dénonce l’inaction des autorités et les appelle à prendre leurs responsabilités.
Comment les déchets de l’explosion du 4 août ont-ils été pris en charge?
Plusieurs organismes et associations travaillent dessus. C’est un sujet compliqué car les déchets liés à l’explosion au port de Beyrouth sont de différentes natures. Chacun d’entre eux exigeant un traitement spécifique. Mais en fin d’année dernière, l’Union européenne (UE) et le PNUD ont réalisé des rapports d’évaluation, remis aux autorités libanaises, qui proposent diverses solutions pour récupérer et réutiliser les déchets du port. Dans les quartiers touchés par l’explosion, plusieurs ONG et associations, dont Arcenciel, ont récupéré une partie des débris métalliques, de verre et de bois pour les recycler. Un contrat de 3,6 millions de dollars, dont 2 millions payés par le Liban, a par ailleurs été signé avec l’entreprise allemande Combilift pour identifier et sécuriser les matières toxiques présentes au port de Beyrouth. Repackagés, ils sont désormais en attente d’être réexpédiés vers des pays en mesure de les retraiter. Mais il reste un très gros problème: la présence d’amiante dans certains débris collectés dans le périmètre de l’explosion, principalement dans l’enceinte du port. En tant que coalition, travaillant sur l’ensemble des problématiques des déchets, nous étions conscients des risques et avons essayé d’alerter les autorités pour que le problème de l’amiante soit appréhendé de la manière la plus responsable possible. Nous demandions qu’une procédure spécifique soit mise en place pour les personnes qui seraient en contact avec et nous exigions surtout qu’une décharge spécifique soit déterminée pour les déchets d’amiante. Malgré des discussions avec la municipalité ou le ministère de l’Environnement, il n’en a rien été et l’amiante est aujourd’hui mélangés aux autres qu’elle a de facto contaminé.
Comment sait-on que de l’amiante est présente dans le débris de l’explosion du port?
L' étude de l’UE a révélé que de l’amiante était bien présente dans une large partie des bâtiments du port où il avait été couramment utilisé comme matériaux de toiture et de revêtement mural dans les entrepôts. D’après les prélèvements effectués par les experts de l’UE, il s’agit d’amiante chrysalide ou «amiante blanc» dans 77% des cas. C’est un minéral fibreux ininflammable et imputrescible, qui est aujourd’hui interdit dans une trentaine de pays pour sa dangerosité pour la santé humaine, mais qui a été utilisé pendant des décennies, notamment dans le ciment renforcé. On trouve aussi mais dans une moindre mesure, de l’amiante crocidolite.
Où l’amiante a-t-il été retrouvé exactement?
Les experts ont, par exemple, retrouvé de l’amiante dans les hangars où étaient entreposés des aliments, lesquels ont d’ailleurs ensuite été déplacés alors qu’ils ont été possiblement contaminés. Ils en ont surtout identifié dans les déchets qui se sont amassés un peu partout dans l’enceinte du port. Il semble aussi que des débris contaminés ont été identifiés dans un terrain vague utilisé momentanément pour stocker les débris, près d’un stade à Karm el-Zeitoun. Ramco, la société chargée de les collecter a prévenu la municipalité de Beyrouth qu’elle ne peut pas les transporter au centre de tri de la Quarantaine ni dans le dépotoir qui fait face aux minoteries Bakalian, où sont normalement broyés les débris du Port. La municipalité aurait à son tour alerté le ministère de l’Environnement et le gouverneur de Beyrouth. Ces déchets sont contaminés et les toucher est dangereux. À notre connaissance, aucune disposition n’a encore été prise pour régler ce problème, alors qu’il a été signalé dès le départ dans le rapport de l’UE. Le gouvernement n’a pas identifié de site pour créer une décharge spéciale et n’a pas non plus de plan précis. À ce stade on ignore si le gouvernement, ou les autorités locales, assumeront pour une fois leur responsabilité sur cette question de santé publique grave.
Quels sont les risques pour la santé?
Si elles sont inhalées, les fibres d’amiante peuvent se déposer dans les poumons et provoquer des maladies du système respiratoire. Certaines sont assez bénignes, mais d’autres sont bien plus graves: cancer du poumon, de la plèvre ou fibroses. Le problème se pose particulièrement pour les pompiers, les travailleurs du port et les personnes en contact avec les déchets amiantés. Il faut impérativement qu’ils soient protégés.