L’Union européenne vient d’offrir un monopole sur la production de halloumi à Chypre. Une décision sans effets immédiats pour les fromagers libanais qui n'avaient, en tout cas, jamais réussi à vendre leur halloum en Europe.
De ce côté-ci de la Méditerranée, avoir dans son réfrigérateur une barre de halloum en train de dessaler n’a rien d’extraordinaire. Ce fromage est même un incontournable de l'alimentation levantine. Cela n’a pourtant pas empêché la Commission européenne d’en faire un produit européen. Désormais, seul le halloum fabriqué à Chypre, appelé halloumi, (y compris dans sa partie turque) peut se prévaloir de l’appellation d’origine protégée (AOP). Le 12 avril dernier, l’Union européenne (UE) l’a officiellement inscrite au registre des AOP, un statut enviable qui protège ce fromage d’éventuelles imitations.
Lire aussi: Les exportations, une opportunité et une dernière chance
Pour Nicosie, c’est une jolie manne: en 2019, les ventes de halloumi représentaient la deuxième source de recettes tirées des exportations de ce petit État membre de la zone euro. Les exportations de fromage trustaient déjà 6,7% du total des exportations de l’île selon l’Observatoire de la complexité économique de d’Institut de technologie du Massachusetts. Avec 33.000 tonnes à destination des pays de l’UE et, surtout, 43% de plus que les deux années précédentes, le halloumi aura permis d’engranger 292 millions de dollars de recettes à l’étranger à ses producteurs.
Adieu le Halloum libanais
«Le bonheur des uns, fait le malheur des autres», dit un proverbe français. Car, les producteurs de halloum libanais, eux, ne pourront plus exporter de fromage sous ce nom en Europe. «Un nom enregistré est protégé non seulement contre les ventes indirectes, mais aussi contre toutes évocations, imitations et mauvais usage de ce nom», relève une source officielle. La nouvelle n'a pourtant suscité aucune réaction au Liban, ni du côté des autorités ni de celui des industriels. Et pour cause : le halloum libanais n'a jamais réussi à franchir les frontières du Vieux continent.
«Le plus grand marché pour les produits laitiers libanais, ce sont les pays arabes du Golfe. Nos fromages ne sont pas exportés vers l’UE malgré les accords de libre-échange. Ce n’est pas l’AOP octroyée aux chypriotes qui nous empêche de le faire, mais les barrières non-tarifaires extrêmement rigides imposées par le marché commun », explique Mounir Bissat, membre de l’Association des industriels libanais.
Lire aussi: Gardenia alerte sur les difficultés de l’industrie agroalimentaire
Parmi ces freins, le respect de normes en matière de santé publique et animale que les producteurs libanais peinent à assurer. Ou, quand ils les respectent, peinent à dûment prouver. «Afin d’exporter des produits laitiers vers l’UE, il nous est demandé de mettre en place un système de quarantaine et de traçage du bétail, afin de combattre de potentielles infections», poursuit Mounir Bissant. L’UE cherche ainsi à se prémunir de risques sanitaires. À Chypre, par exemple, dans la partie occupée par l’armée turque, l’UE a mandaté le bureau Veritas afin de contrôler les laiteries et les sites de fabrication. «Mais c’est aussi un moyen de protéger les productions des pays européens de la concurence étrangère. De nombreux secteurs agro-industriels sont victimes de ces mêmes restrictions», reprend l’expert. Avec la crise, le dossier de la balance commerciale entre l’UE et le Liban est devenu crucial: les producteurs libanais, dont les productions sont désormais bons marché, ont un besoin vital de trouver sur les marchés étrangers les «fresh dollars» qui leur permettront de survivre.
Contacté, le ministère de l’Économie et du Commerce dit mettre tout en œuvre pour faire tomber ces barrières. «Nous avons réussi à faciliter l’exportation en Europe de produits charcutiers et nous sommes en train de travailler sur les dossiers du miel et des produits laitiers», affirme Farah Doughan au sein du département commerce du ministère. «Depuis plus de deux ans, un programme de formation et de sensibilisation a été mis en place au Liban pour améliorer l’exportation de produits libanais vers l’UE», ajoute-t-elle. Pour le halloum, en tous les cas, il est trop tard.