On les appelle produits “souverains”, comprendre émis par l’État. Faute de produits boursiers locaux réellement actifs, ils constituent, depuis des années, un placement hautement lucratif. La contrepartie est évidente…
Il est vrai que le marché boursier libanais est en période de stagnation. Toutefois, il existe des opportunités d’investissements intéressantes, notamment en prêtant à l’État ou à quelques banques.
Donc, si vous désirez investir sur le marché libanais, vous avez le choix entre :
• les produits boursiers locaux ou internationaux offerts par quelques banques ou surtout par les sociétés financières de la place ;
• les produits libano-libanais tels que ceux créés par Bank of Beirut, la Lebanese Canadian Bank, ou la BEMO (voir plus loin) ;
• les produits souverains de l’État en livres libanaises ou en devises obtenus auprès des banques ou directement de la BDL ;
• et enfin les titres en dollars émis par les banques commerciales elles-mêmes (obligations, certificats de dépôt…).
La panoplie des produits souverains de l’État libanais devient apparemment de plus en plus variée, mais ils recoupent en gros la même offre : des dettes à plus ou moins long terme (LL et devises).
Le coup médiatique
de la Finance Bank
La Finance Bank n’est pas exactement une banque de l’État, mais c’est tout comme : elle est détenue à 98 % par le holding Intra dont la majorité des actions est la propriété de l’État libanais et de la BDL.
Début mai 2002, une première dans l’espace publicitaire public : des centaines d’affiches 4 x 3 m sont déployées dans les rues de la ville, avec en vedette le monsieur au gros cigare. La Finance Bank propose à ses clients un compte d’épargne un peu spécial : des emprunts de l’État en dollars, avec un rendement deux fois plus important que vos dépôts bancaires classiques. «Le client désirant adhérer à ce compte doit acheter auprès de la banque des eurobons de l’État libanais pour une valeur minimale de 3 000 $ qu’il bloquera pour 3 ans. Il pourra bénéficier d’un intérêt annuel de 10,25 % qui lui sera distribué tous les 6 mois. Ainsi, celui qui bloque 8 000 $ sur 3 ans profitera de 810 dollars d’intérêt annuel, soit 410 $ tous les 6 mois», nous explique le directeur du département des bons du Trésor à la Finance Bank, Bassam Atwé.
La Finance Bank joue le rôle d’intermédiaire (“broker” pour le compte de l’État) en contrepartie d’une marge bénéficiaire de 0,5 ou 0,25 %. Elle achète des eurobons auprès de la BDL au fur et à mesure de la demande. Une demande croissante depuis l’annonce du compte a gonflé les dépôts à la Finance Bank, en 6 jours, de 10 millions $ et lui a permis, en outre, de vendre des eurobons à des dizaines de millions de dollars.
Quant à la possibilité de revente des titres achetés, elle peut être exécutée à tout moment. Lors d’un besoin de liquidités, l’investisseur peut placer ces titres sur le marché, mais leur vente dépendra de l’offre et de la demande. «Alors qu’un taux d’escompte est clairement établi par la BDL lors du rachat de bons du Trésor en LL (selon une formule établie), ceci n’a pas encore été prévu pour les obligations en devises», clarifie Bassam Atwé. Ainsi, les eurobons sont liquéfiables, tout en comportant un risque de fluctuation de leur valeur lors de la revente.
Suite à la médiatisation des offres d’eurobons, plusieurs banquiers de la place avouent avoir observé un transfert de dépôts en dollars vers des comptes en eurobons – que des banques offraient déjà sans tapage médiatique. Car, on rappelle que les taux d’intérêt servis sur les simples dépôts en devises bloqués auprès des banques ne dépassent pas en moyenne les 5,5 %. De plus, Bassam Atwé explique que depuis 16 ans la performance des bons du Trésor (en LL) a gagné la confiance des Libanais, encourageant ainsi maintenant les investissements en eurobons (en $).
D’autres versions
sur le marché
À la dernière émission obligataire de la Banque centrale, la souscription des banques de la place s’est élevée à 200 millions $, tandis que celle de la BLOM, à elle seule, a atteint un montant de 50 millions $. Selon un expert financier à Blominvest Bank, les bons du Trésor, contrairement à d’autres produits boursiers, sont des émissions liquides qu’il est facile de revendre. Les offres existent d’une façon permanente sur le marché. Et la BLOM, forte de sa large base de clientèle formée de Libanais, Syriens et Arabes, constitue un marché secondaire privilégié de ces bons, où les négoces se font en rapprochant l’offre de la demande (“back to back trade”).
La Banque Audi, profitant de sa bonne position sur le marché libanais, est également très active dans les opérations d’achat et de vente d’obligations souveraines auprès du public et des autres banques. En négociant les emprunts libanais, Audi offre une ouverture internationale aux produits souverains sur le marché secondaire. Ces transactions, bénéficiant d’une opportunité de désengagement à tout moment, se traitent, contrairement aux produits boursiers, sur un marché parallèle (“over the counter”, OTC) où Audi est très impliquée. Selon Nabil Chaya, directeur du département du Trésor et des marchés de capitaux, Banque Audi offre des obligations libanaises en devises à maturité en 2005 dont le prix est relativement réduit et à un rendement de 10,75 %. Quant à l’obligation à échéance en 2004, son prix est encore plus attractif avec un rendement de 12,75 %.
Comportement
des investisseurs
Dernièrement, les prix des obligations de l’État en devises ont été effectivement révisés à la baisse. Les transactions ayant lieu sur le marché se font à des niveaux inférieurs aux prix d’émission. Comment réagissent les investisseurs à cette tendance ? Prévoient-ils une récupération rapide de leurs placements ? Essaient-ils de sortir du marché, pour éviter une nouvelle baisse de leurs actifs ?
Les avis des experts diffèrent. L’un d’eux explique que les obligations à long terme ne sont plus tellement demandées. Le public n’est plus séduit par les maturités longues et l’État se trouve contraint à ne plus émettre des obligations à maturité en 2010, mais uniquement celles de 2005. Ceci explique les rendements élevés des obligations aux maturités longues qui peuvent atteindre 15,20 % pour l’obligation à échéance en 2016 par exemple, alors que lors de l’émission, l’année passée, elle fut placée avec un rendement à 11,5 %. Par ailleurs, les experts financiers parlent d’un “appétit” qui s’est maintenu jusqu’à fin 2001, mais qui diminue actuellement avec la détérioration de la confiance des Libanais en l’État. Ceci provoque une offre accrue de ces produits, alors que la demande est limitée, d’où la chute des prix. De plus, à chaque événement national, comme dernièrement l’affaire de privatisation des cellulaires, un soubresaut a lieu sur le marché, mais il est directement suivi d’une rechute de la confiance, se manifestant par un nouvel effritement des prix. Pour ces experts, la performance future des obligations de l’État en devises dépendra des mesures et décisions que ce dernier prendra à court terme. Sinon, les prix baisseront de nouveau.
Quant à Nabil Chaya, il tient un autre raisonnement : «Les investisseurs désirant améliorer leur rendement décideront quand même d’acheter». Il s’agit de prendre en considération le nombre d’années qui restent avant la maturité de l’obligation pour évaluer son rendement effectif. Par ailleurs, les comportements diffèrent aussi selon le type des investisseurs, certains achèteront car ils y trouvent une opportunité spéculative au cas où le prix hausserait, d’autres, paniqués, chercheront à vendre ; alors qu’une troisième catégorie se contentera de toucher le rendement annuel lucratif jusqu’à l’échéance finale.
Le jeu du risque
Les obligations de l’État, même traitées auprès de banques aussi sûres que la BLOM ou Audi, ne peuvent se défaire du risque souverain qu’elles comportent. Ces obligations comportent trois types de risque : le risque de défaillance de l’État ; celui de la dévaluation de la livre libanaise, au cas où le titre est en monnaie nationale ; et finalement, le risque intermédiaire, analysé dans le paragraphe précédent, de la baisse du prix du produit.
Si une dévaluation de la livre libanaise a lieu, le pouvoir d’achat de la livre diminuera, sans affecter en principe les placements en devises. Mais si cette dévaluation est accompagnée d’un moratoire sur la dette publique (report du paiement), il y aura une chute de liquidités sur le marché, et tous les intervenants devront en subir l’effet et attendre la nouvelle échéance de remboursement décidée à travers ce rééchelonnement. Pour cette raison, les principales banques jouent carte sur table, en essayant de rester neutres. Par exemple, Blominvest Bank agit en tant que conseillère auprès de ses clients : ceux qui désirent éviter à tout prix le risque Liban seront guidés vers la BLOM Banorient en Suisse qui leur proposera un portefeuille composé de bons sans risque, émis par les pays industrialisés ; ceux craignant le risque souverain à long terme se verront proposer des obligations souveraines à court terme.
Nabil Chaya est confiant que le marché sait faire la distinction entre le risque bancaire et le risque souverain (lié à l’État). «Le marché libanais place en général les banques à un niveau de risque moindre que celui du pays». Toutefois, le rôle de la banque est de soupeser le bon et le mauvais risque, en tenant compte de la volonté de l’investisseur et de sa capacité à le supporter. Mais il n’y a pas de secret à ce niveau : «Il est évident que risque et rendement vont de pair ; pour cette raison, notre rôle est d’informer chaque client du risque que ses investissements comportent», spécifie Nabil Chaya.
Par ailleurs, plusieurs banques de la place, notamment la Banque Libano-Française, Byblos, le Crédit Libanais, la Méditerranée, Fransabank, Bank of Beirut, la BLOM et Audi émettent ou ont émis leurs propres obligations en dollars qu’elles offrent à leur clientèle. Ces titres (sous forme d’emprunt, certificats de dépôts, GDR…), aux rendements nominaux, variant entre 7 et 11 %, ne comportent pas de risque de change, car libellés en dollars et sont uniquement liés au risque de défaut de paiement de leur banque d’émission. Mais leur prix sur le marché (achat/vente) s’est maintenu jusqu’à maintenant à un bon niveau.
Par exemple, le dernier-né de la Banque de la Méditerranée, le mois passé, est un certificat de dépôt à capital garanti d’une valeur nominale de 50 000 $ avec un taux d’intérêt de 7 % distribué mensuellement.
Alors, bons du Trésor
ou produits bancaires ?
Sur le choix entre les bons du Trésor et les produits bancaires, il n’y a pas de recette standard. Chaque client sera conseillé selon son mode de vie, son capital à investir, la finalité de son investissement et son aversion au risque. «Tout dépendra du risque de contrepartie et du rendement désiré», avance Nabil Chaya.
Finalement, pour investir dans les obligations de l’État libanais, il s’agit d’avoir un bon conseiller, de ne pas être à court de liquidité, de peser le risque que l’on désire supporter en fonction du rendement souhaité… et de ne pas perdre confiance en l’État.