Si les espaces naturellement dédiés à l’écotourisme existent depuis longtemps au Liban,
leur exploitation commence juste à prendre forme. En dehors de l’État, les initiatives privées
se multiplient. Mues par une passion, en attendant une rentabilité conséquente.
De plus en plus de touristes, d’abord européens, mais aussi locaux, se passionnent pour ce qu’il convient d’appeler de nos jours l’écotourisme. Et pour couronner le tout, 2002 a été décrétée par l’ONU année internationale de l’écotourisme. C’est évidemment par respect de la nature, mais aussi parce qu’il s’agit d’un créneau qu’il serait insensé de négliger.
Les caractéristiques générales de l’écotourisme se résument ainsi :
• Une forme de tourisme axée sur la nature et son observation.
• Des opportunités d’emplois et de sources de revenus pour les populations locales, tout en protégeant leur environnement.
• Une prise de conscience pour les habitants et pour les touristes de la nécessité de préserver le capital naturel et patrimonial, favorable au développement.
Pour Pierre Abi Aoun, de Wild Expedition, par ailleurs agent de liaison pour le PNUD, l’écotourisme est devenu une science d’équilibre entre l’homme et son environnement, où le “développement durable” est un des facteurs les plus importants. Le monde touristique est encore à ses premiers balbutiements en la matière, et il en sait quelque chose, puisqu’il a participé en juin 2001, à Saint-Domingue, à l’établissement du “brouillon” des futures lois définissant exactement “le tourisme durable”. Selon Pierre Abi Aoun, un berger ou un bûcheron, fils d’une région déterminée, peuvent être des guides fantastiques et sont des facteurs humains d’intégration d’une région à l’écotourisme.
Au niveau technique, quelques subventions proviennent de l’étranger, surtout de l’Europe. L’aide se fait pour des études de base, des conseils et la mise en place de plans d’action. Par exemple, dans le cas de la région – unique en son genre au Liban – de Ammiq-Békaa-Ouest, une ONG, A Rocha (le rocher en portugais), a envoyé une dizaine d’experts européens qui travaillent déjà sur le terrain. Jusqu’à ce jour, des centaines d’oiseaux, de mammifères, reptiles ou autres insectes ont été retracés et inventoriés, et des conférences de sensibilisation sont souvent données. L’accord d’association avec l’Europe devrait promouvoir ce genre d’initiatives, car il comporte un volet environnemental bien distinct.
Quand la passion
devient profession
Les fondateurs des clubs et associations d’écotourisme, actifs aujourd’hui au Liban, ont, dans leur majorité, vécu à l’étranger, et en rentrant dans le pays ont voulu faire ici ce qu’ils pratiquaient “là-bas”. Et ils ont compris l’intérêt économique et social de telles activités.
Le pays a à son avantage, selon Pierre Abi Aoun, «la richesse historique, à part l’extraordinaire variété sur une petite surface. Chaque coin a ses histoires». Ce qui plaît beaucoup aux Européens. Stéphane et Sarah, ressortissants suisses qui visitent le Liban pendant 10 jours tous les 2 ans, en sont un exemple vivant. Ils confirment cette vision de diversité : «Se promener avec un guide sur un site, c’est, à part le côté purement “écolo”, entendre parler – et voir les vestiges des différentes civilisations qui ont parcouru ce petit pays depuis des millénaires...».
Mais toutes ces personnes, qui veulent faire de l’écotourisme une profession, sont conscientes qu’ils rament à contre-courant, ayant par exemple à affronter les décharges sauvages ou encore les carrières qui n’ont toujours pas de solution définitive et efficace.
Ali Awada, promoteur d’activités de rafting et de canoë, dénonce qu’en très peu d’années l’état de Nahr el-Kalb et de Nahr Ibrahim s’est tellement dégradé que les rivières sont devenues irréversiblement condamnées. Malgré toutes les négociations avec les municipalités concernées, les déchets domestiques et les résidus de chantier continuent à être déversés dans les rivières.
Les responsables du Club des vieux sentiers, eux, s’étonnent des fois de retrouver certains chemins de randonnées asphaltés. Au Akkar, les cèdres sont souvent coupés impunément. Par conséquent, plusieurs de ces forêts sont en train de se transformer en champs agricoles. Les spéléologues, eux, se révoltent contre la pollution des eaux. Dans leurs expéditions, ils rencontrent aussi des stalactites arrachées au marteau-piqueur pour orner le jardin d’un dignitaire local.
Les problèmes existent aussi au niveau des fédérations sportives. Par exemple, Maxime Chaya, de l’association VO2 Max, qui s’active entre autres dans le cyclisme, est désolé de travailler en solo. La fédération n’a plus organisé depuis plus d’un an une seule course. Rodrigue Saloumi, de l’ASFR, autre association active dans le plein air, se plaint que le ski de fond soit classé au Liban «sous activité de camping et de plein air et qu’il ne soit pas encore reconnu comme sport de glisse !».
Quant à Wadih Chbat, patron de l’hôtel Chbat à Bécharré, à force de parcourir les salons à l’étranger, a bien compris que le b.a.-ba de la profession est la carte de visite, sous forme de brochure de promotion. Pour son hôtel d’abord, mais aussi pour la région avec cartes de marche mises à la disposition des groupes pour découvrir forêts et vallées.
Tous ces problèmes ne sont pas uniquement environnementaux. Il y va de la survie de cette forme de tourisme. Ainsi, les entreprises qui s’occupent d’activités autour de l’écotourisme survivent rarement de ce seul métier ; bien souvent, leurs responsables ont d’autres gagne-pain et attendent la saison pour s’atteler à leur passion.
Supporter une structure aussi importante, rajoute André Béchara de Lebanese Adventure, est quasiment impossible sans autres revenus. «Nous avons quelquefois plus de cinquante salariés sur le terrain, sélectionnés et formés à l’encadrement, à la communication, aux premiers soins et une infrastructure administrative à supporter. À la fin, les comptes ne sont pas brillants».
Quatre régions,
à titre d’exemple
En balayant le pays du nord au sud, on découvre partout des “ruches” sur ce créneau. Les initiateurs des activités de plein air s’attellent, selon leurs moyens, à convaincre que la nature peut être un haut lieu de tourisme.
• Le Akkar : la région montagneuse du Akkar, généralement méconnue, mais extrêmement riche en biodiversité, se distingue par son important espace vert encore préservé de la poussée du béton et ses nombreux sites naturels tels Kammouha, la forêt de chênes chevelus, Wadi al-Assouad, Karm Chbat, la forêt de pins de Morghan à Kobayat, Wadi al-Sabaa (la vallée du lion) à Akroun, Wadi Jehannam, Erouba (point culminant du Akkar à 2 213 m) … Les forêts du Akkar sont riches en espèces d’arbres devenus rares : le sapin de Cilicie, le genévrier, le cèdre, le chêne chevelu. De quoi rendre la région une zone parfaite pour l’écotourisme en été et le ski de fond en hiver.
• Le Hermel : la nature est également préservée dans ce coin aride du pays, bordée par les sources du Assi (Oronte), qui prennent naissance à Aïn al-Zarka, tout près de la grotte de Saint-Maron. Les responsables ont heureusement interdit la pêche massive à la dynamite ou à l’électricité et ainsi redynamisé l’élevage et la pisciculture, principalement de la truite. Des recherches ont permis de remonter à une variété de ce poisson qui avait fait le plaisir des fins gourmets d’antan et avait disparu. Mais les Français avaient, durant le mandat, pris et élevé des spécimens dans les Alpes du Nord. De sorte que la “Hermlite” a été réintroduite par une initiative locale et a retrouvé la rivière de ses ancêtres. De plus, au mois de juin de chaque année, le festival de l’environnement permet de lancer une campagne verte (ramassage des déchets, nettoyage des cours d’eau). Une coopération entre la municipalité et le secteur privé qui est en train de donner ses fruits. Cette expérience de l’écotourisme a tout l’air de démarrer “commercialement”, car année après année la fréquentation de la région augmente.
• Bécharré, Vallée Sainte, les Cèdres : dans cette partie de la montagne, différents mouvements opèrent pour permettre une exploitation équilibrée qui préserve les sites naturels. On sait d’ailleurs que les cèdres sont exposés à des dangers, comme les chèvres qui broutent les jeunes pousses ou le passage de motoneiges qui écrasent le reste. D’après Écoclub, 60 % des 5 000 pousses de cèdres plantées annuellement périssent.
• La région de Ammiq : conscient de la richesse écologique de cette zone, un mouvement s’est créé dans le but de préserver la région s’étendant de Kab Élias jusqu’au Litani et le versant est du Chouf. C’est pratiquement la seule réserve de ce genre au Liban avec des atouts comme des ruisseaux et rivières totalisant 28 km en été et 90 km en hiver et au printemps, des reliefs montagneux, une plaine… Le travail écologique se fait par un groupe de propriétaires terriens, dont les Skaff. Le plan d’action se résume à arrêter d’abord toute dégradation, à inventorier l’existant et à élaborer une politique de gestion, tout en maintenant un effort de sensibilisation. Grâce aux efforts de ces propriétaires et en comptant sur l’appui de A Rocha, à partir de 2003, un domaine partiel sera prêt pour attirer les écotouristes.
De quoi remplir un séjour
Des dizaines de clubs, d’associations ou d’entreprises sont actuellement spécialisés en activités intégrées à l’écotourisme (voir tableau). Certains sont à but non lucratif, alors que d’autres ont un statut commercial. En voici un échantillon :
• Le Club des vieux sentiers. C’est un des plus “vieux”. Le but de cette association phare a toujours été de permettre aux fanas de la nature de découvrir le Liban par ses sentiers et vieux chemins. Il a largement contribué à diffuser l’idée de l’écotourisme à une époque où peu étaient conscients de son importance. Ses balades, à moindres frais, restent très prisées.
• Liban Trek. Depuis son enfance à Hasroun, Michel Mouffarege, ex-cadre à la SNA, dit avoir une relation privilégiée avec la montagne. Et c’est en 1997 que la passion devient profession. Il lance Liban Trek, une des premières sociétés à statut commercial, dont le but est de faire connaître cet aspect du pays principalement à travers la marche ou en VTT.
• Hôtel Chbat Bécharré. Dans les années 70, un groupe d’Européens universitaires en tournée dans la région passe par cet hôtel de Bécharré, et le soir quand Wadih Chbat, fils de l’aubergiste, leur demande si tout va bien, il s’entend répondre : «Rien que des ruines, toujours des ruines…». La phrase n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd et Wadih décide alors de faire connaître le patrimoine naturel et d’organiser des séjours à l’hôtel avec des programmes de randonnées pédestres. Quelque trente années plus tard, il semble réussir, puisqu’il attire à un rythme régulier des touristes-marcheurs venus d’Allemagne, de Hollande ou même du Japon.
D’ailleurs, à l’image de cet hôtelier avant-gardiste, d’autres structures d’accueil à la montagne tentent d’exploiter ce créneau. Ainsi, le Snowland de Kanat Bakiche présente un cadre parfait, pour l’hiver bien sûr (avec ses pistes skiables “tranquilles”) mais aussi pour l’été, car la région est pratiquement vierge et éloignée de toute promotion immobilière.
• Club P’AV. Najib Akiki a commencé par lancer une formule test dans son entourage : organiser des sorties “écologiques” à petit budget. La première expédition écotouristique fut un succès : sortie à Douma, petite marche, sensibilisation à la nature, plantation d’arbre, repas en plein air… Depuis, il programme des sorties personnalisées en prenant en considération les besoins spécifiques des groupes et leur budget. Progressivement, il s’investit, avec le ministère de la Jeunesse et des Sports, pour la renaissance d’auberges de jeunesse.
• VO2 Max. Maxime Chaya, amoureux de la nature et passionné de VTT, s’occupe, lui aussi, d’organiser des sorties, sensibilisant son entourage à cette activité.
• Sport Nature. Avec Ali Awada ce sont le rafting et le canoë qui sont à l’honneur. Une activité insoupçonnée qui permet de découvrir certaines régions et les rivières du pays.
• École de parapente. Voler et apprendre à voler, ou s’élever à l’aide des courants chauds – dits thermiques –, telle est l’activité proposée par ce groupe et à sa tête Raja Saadé.
• ASFR (Association de ski de fond et de randonnée). Rodrigue Saloumi, président actuel de l’association, se rappelle que ce groupe a été fondé en 1984 par deux pionniers bien connus dans le milieu, Lionel Ghorra et Joseph Fayad, aidés techniquement par un expert français, Jean-Louis Dolfus. Ainsi fut lancée l’idée de randonnées sur le tapis hivernal blanc. Si la saison commence début décembre, les compétitions sont organisées jusqu’à fin juin.
• Wild Expedition. Pierre Abi Aoun, archéologue et amateur de “sports extrêmes”, a créé en 1997 une société vouée à l’écotourisme, mais surtout dédiée aux activités dites extrêmes : parapente, alpinisme, spéléologie, plongée et autres. Avec le temps, Wild Expedition prend aussi un nouveau virage qui est le tourisme culturel en plein air.
• Lebanese Adventure. André Béchara et ses partenaires couvrent des activités polyvalentes dans le domaine du plein air. Sportifs et spéléologues, ils décident de fonder une société qui propose des randonnées guidées, de l’alpinisme, du rappel (descente d’une pente), mais aussi des séances de “survie en nature”.
• La Réserve d’Afqa Mnaïtra. Parti pour une vocation différente, Paul Ariss fait un virage de 180 degrés, et progressivement transforme un territoire dans les environs de Laqlouq (Akoura) en une réserve, où les activités pour les jeunes et les moins jeunes ne manquent pas.
• ALES et le Spéléo Club du Liban. L’Association libanaise d’études spéléoplogiques et le Spéléo Club du Liban sont les principaux et les plus anciens promoteurs de l’activité spéléo du pays. Les vétérans de ces clubs ont signé des réalisations dont profite actuellement le pays autant du côté touristique (pratiquement toutes les grottes du pays) ainsi que dans les recherches et richesses du sous-sol (cavernes historiques, archéologie). À noter aussi les secouristes spéléologues bien entraînés qui appartiennent aux deux clubs, et à qui on fait appel des fois jusqu’à dans les pays voisins.
(*) Consultant dans le domaine de l’hôtellerie et de la restauration.