Les plus belles années du quartier Hamra sont indissociables de ses cafés-trottoirs. Aujourd’hui,
la plupart ont disparu. Néanmoins, quelques-uns, anciens et nouveaux, font de la résistance,
en attendant une hypothétique renaissance.
Le quartier Hamra a longtemps été l’adresse privilégiée des cafés-trottoirs, là où il faisait bon voir et être vu. C’est aux terrasses de L’Express, du Horseshoe, du Café de Paris, du Modca ou de l’Eldorado, pour ne citer que les plus huppés, que le gratin de la société beyrouthine se retrouvait, intelligentsia et bourgeoisie mélangées. C’était également l’immobilier le plus cher de la capitale, presque le niveau de Paris. Aujourd’hui, cette image a bien changé. Prendre un café à Hamra est presque devenu “vieux jeu”. À la place, la rue Verdun et le nouveau centre-ville lui ont volé la vedette. Pourtant, une petite dizaine d’établissements coexistent pour les habitués du quartier et les nostalgiques.
Modca persiste
Inauguré le 1er janvier 1971, le café-trottoir Modca fait partie des derniers survivants de la belle époque. «Quand nous avons ouvert le Modca, il y avait déjà de nombreux cafés dans la rue Hamra, presque tous les 100 mètres. Malheureusement, aujourd’hui, Modca est un des rares rescapés encore en activité», explique Anis Mrad, propriétaire depuis 10 ans du café-trottoir. Véritable lieu de rencontre, ce café, malgré son décor assez vieillot, reste un lieu symbolique qui a gardé une certaine âme et identité. «Modca, c’est la mémoire vivante de Hamra», insiste Mrad.
Pour preuve, les fidèles y ont leurs habitudes, leur table et leur coin préférés, d’autres y reçoivent même leurs coups de téléphone. Le Modca a ses inconditionnels, entendre par là des clients “scotchés” durant des heures considérant ce lieu comme un autre “chez soi”. «Nous servons jusqu’à 350 cafés par jour et nous sommes toujours le lieu préféré des intellectuels et des artistes», précise Mrad. «Modca a quelque chose d’unique et d’atypique que les autres cafés n’ont pas réussi à implanter. Il y règne une atmosphère particulière», raconte un habitué.
Wimpy, le pionnier
La réouverture en 1998 du Wimpy-Movenpick, après plusieurs années de fermeture, a été saluée par tous les inconditionnels de Hamra. Comme le Modca, ce café-trottoir était un élément du patrimoine de la rue. Tout le monde se souvient de l’attentat qui y a eu lieu en 1982 contre des soldats israéliens par un résistant libanais. «Bien que fermé depuis 1993, nous savions que l’adresse était encore connue à Beyrouth et que l’enseigne Wimpy garde une bonne image dans le monde», explique Jean Khater, responsable du Wimpy pour la compagnie libanaise Falcon, qui en a la gérance pour 10 ans. L’ancien décor a été volontairement gardé afin de préserver l’identité du café. Fondé en 1968, le Wimpy – le café-trottoir le plus ancien du quartier – reste un lieu apprécié des Libanais et des touristes. «En cette période estivale, l’établissement fonctionne bien. Nous servons par jour et en moyenne 75 repas, 225 cafés, 65 bières et 45 jus d’orange», énumère Khater. Mais ces chiffres cachent mal une baisse du volume des ventes de près de 10 % chaque année depuis 1998. Malgré cela, le café engendre toujours des profits grâce à une gestion stricte.
Younès, le torréfacteur
Situé rue Yafet à coté de l’hôtel Astra, le café Younès est un petit établissement convivial de 30 m2. La famille Younès travaille dans ce milieu depuis plus d’un siècle. «Mon grand-père avait émigré à la fin du XIXe siècle au Brésil où il a travaillé dans les plantations de café. De retour au Liban, il a ouvert une boutique à Bab Idriss en 1935. Puis mon père est venu à Hamra en 1960. Il vendait seulement le café torréfié et, parfois, il offrait une tasse à ses clients», dit Amine Younès, copropriétaire du café. Aujourd’hui, la boutique a deux fonctions : toujours la vente au détail de café torréfié et puis la consommation sur place. «Nous torréfions nous-mêmes les grains de café dans notre atelier à Mousseitbé et ici à Hamra. Cela donne une odeur agréable à la boutique et fait partie de l’image du café», explique Younès.
Le café Younès ne dispose pas de terrasse avec tables et chaises. Le client prend son café au comptoir ou sur un banc. «Nous sommes un petit café qui sert en moyenne une centaine d’expresso par jour à 750 LL/pièce. Nous ne souhaitons pas nous agrandir pour devenir un café-trottoir. Notre objectif est de rester un lieu sympathique où nos clients, occasionnels ou habitués, se sentent à l’aise», note Younès.
Starbucks, l’international
L’arrivée en décembre 1999 du géant américain du café Starbucks a fait grand bruit à Hamra en s’implantant non loin du Modca et du Wimpy. L’initiative était osée puisqu’on parle de 200 000 $ de loyer annuel, alors que la plupart des autres cafés jouissent d’un ancien bail. Géré par Dareen International, une compagnie du groupe koweïtien Alshaya, qui a les droits d’exploitation pour le Moyen-Orient, Starbucks a déjà fait ses preuves dans le monde avec plus de 5 000 points de vente. Rue Hamra, le succès fut immédiat. Cette réussite incontestée se base sur un large choix de cafés et le concept des salons-canapés qui crée une ambiance détendue. «Starbucks a réussi à imposer son style auprès des jeunes, à travers une gamme variée de produits où le café est associé à des arômes comme la cannelle ou le caramel, le tout dans un cadre agréable», explique Younès qui vient également d’ouvrir en novembre 2001, à l’entrée nord de l’université LAU, le Coffee House, qui jouit du même concept de café aromatisé.
En effet, la clientèle estudiantine des universités voisines a été conquise par “l’esprit Starbucks”. Elle y vient réviser ses cours, ou même lire un bouquin. Toutefois, le soir, la clientèle se fait plus rare. Les fidèles préfèrent se rendre à l’enseigne de Verdun, plus animée et fréquentée. Le résultat financier est donc mitigé dans l’ensemble. Starbucks attire toujours une clientèle abondante. Cependant, celle-ci a été répartie ensuite entre les multiples points de vente de l’enseigne américaine.
La Maison du Café en franchise
Inaugurée en décembre 2002 rue Jeanne d’Arc, La Maison du Café fait partie d’une chaîne de cafés qui appartient à MDC Franchise Systems dont les actionnaires sont les familles Najjar et Farès. L’enseigne, qui tend à se multiplier à Beyrouth et dans les pays du Golfe, cherche à créer une image de qualité en visant une clientèle haut de gamme, tout en accordant des prix spéciaux pour les étudiants. En effet, La Maison du Café offre une ambiance posée. On n’y retrouve pas le brouhaha du Modca ni l’atmosphère estudiantine du Starbucks. Sans aucun doute, La Maison du Café aurait bien sa place dans les quartiers chics et mondains de Paris. Pourtant, sa localisation, à proximité du “souk des fleuristes” et en retrait des rues animées de Hamra, apparaît surprenante. Ce choix géographique discutable peut alors expliquer les débuts en demi-teinte de l’enseigne.
Le quartier n’a pas dit
son dernier mot
Ainsi, Hamra compte encore quelques cafés-trottoirs qui freinent le déclin du quartier. La tendance actuelle est même à un certain renouveau. L’arrivée, depuis deux ans, de nouvelles enseignes comme Starbucks le prouve. Mais les débuts difficiles de La Maison du Café et de La Pause Gourmande démontrent que la rue souffre encore d’un grave déficit d’image. Si, au cours de la journée, Hamra reste un quartier populaire bouillonnant, la vie nocturne y est singulièrement terne. «Après 21h, Hamra est mort», souligne Khater. La disparition des salles de cinéma y est certainement pour quelque chose. Même si les lumières ne s’éteignent pas avant minuit, nous sommes loin de la frénésie du centre-ville et de l’agitation de Monnot. «Mais, nous avons toujours une petite clientèle le soir qui apprécie le calme environnant», précise Mrad.
De son côté, Younès semble plus pessimiste. «La tradition du café-trottoir à Hamra est en déclin. Seuls Modca et Starbucks tirent leur épingle du jeu, mais le quartier devient de plus en plus inhospitalier, surtout le soir», observe Younès. Du coup, le prix de l’immobilier au rez-de-chaussée stagne, au mieux, à un niveau qui est presque la moitié de celui de Verdun (4 000 $ le m2 contre près de 10 000 à Verdun). La location des boutiques se négocie autour de 300-400 $ le m2 par an.
L’état de délabrement de la rue Hamra (trottoirs, façades des immeubles, arbres, éclairage public et asphalte) est inlassablement déploré par les commerçants. «Le standing de Hamra s’est considérablement dégradé. Cela est un élément négatif à nos activités. Pourtant, je reste confiant pour l’avenir des cafés-trottoirs à Hamra puisque la situation économique locale et l’esthétique de la rue ne peuvent que s’améliorer», insiste Khater.
Chacun attend avec impatience le début des travaux de rénovation espérés avant la fin de l’été et prévus sur une durée de 6 mois. Un vaste programme d’embellissement urbain de Beyrouth, de 12 millions $, financé par le Fonds arabe pour le développement économique et social, devrait redonner un nouveau visage à Hamra. Certains investisseurs semblent déjà y placer leurs pions, encouragés entre autres par le nouvel hôtel Crowne Plaza qui vient d’ouvrir ses portes au bout de la rue. Mais la galerie marchande du même immeuble reste peu occupée, car l’offre a été établie à des niveaux vertigineux, près de 10 000 $ le m2, soit plus du double des tarifs sur la rue elle-même.