Destination oubliée ou carrément inconnue. Du moins, jusqu’à tout récemment. Des initiatives privées se multiplient. Et les investisseurs ont tout intérêt à anticiper la renaissance de la vieille ville par quelques structures d’accueil. Première visite.
La Saïdoun des Phéniciens, Saïda des Arabes et Sagette des Croisés a gardé les traces d’une très longue et tumultueuse histoire. «La vieille ville est un bijou patrimonial», avoue Bahia Hariri, présidente de la fondation de même nom. Lieux culturels, forteresses des Croisés, khans, hammams, zaouïas, palais et maisons anciennes, la vieille ville de Saïda possède des attractions patrimoniales exceptionnelles et variées. On dénombre plus de 50 sites à découvrir. «Le potentiel touristique y est énorme», confirme Raymond Audi, président de la fondation Audi.
Toutefois, hormis le château de la mer, la ville de Saïda n’avait jamais été une longue étape dans les circuits touristiques. «Avant, les tours organisés traversaient Saïda en coup de vent avant de rejoindre Tyr. Les touristes jetaient un coup d’œil sur le château de la mer en quelques minutes et c’était tout», explique Monique Mouraccadé, responsable de la fondation Debbané. Les touristes ignoraient l’intérêt de la vieille ville. «Rien ne les incitait à s’y aventurer. Personne ne leur indiquait ce qu’il y avait à voir. Maintenant, au contraire, ils font une promenade de plusieurs heures, ils sont ravis de leur découverte et ils reçoivent un très bon accueil auprès de la population», ajoute Audi.
Ainsi, Saïda connaît un renouveau touristique indéniable, grâce à ces fondations qui veulent promouvoir et préserver le patrimoine de la vieille ville. La tâche est énorme, mais les premiers résultats sont stupéfiants.
Illustre khan el-Franj
La fondation Hariri «fait partie des premières institutions non gouvernementales à s’être préoccupée de la vieille ville de Saïda», affirme Bahia Hariri. Si l’amélioration du quotidien des Sidoniens était une première priorité, la dégradation de la vieille ville a été également une préoccupation pour cette institution fondée en 1979. «À la fin des années 1980, cette partie de la ville était dans un état attristant. Bombardée par les Israéliens et occupée par des réfugiés, elle présentait un tissu urbain fragile. Les immeubles tombaient en ruine», explique B. Hariri. La fondation entreprit alors la restauration de la grande mosquée al-Omari el-Kabir. Une opération qui a obtenu le prix Agha Khan pour la qualité de sa rénovation. «Notre premier défi a été de convaincre qu’il était urgent de sauvegarder le patrimoine de la vielle ville, d’encourager toutes les initiatives afin de redonner à cette région sa place dans la ville», précise Hariri.
En 1994, la députée crée à cet effet la fondation du patrimoine de Saïda. «À l’époque de la guerre, cette question du patrimoine passait au second plan. Les gens pensaient tout naturellement plus à sauver leur vie qu’à protéger des pierres», explique Hariri.
La fondation Hariri a également réhabilité le khan el-Franj en accord avec son propriétaire, l’État français. Aujourd’hui, cet espace est devenu un haut lieu historique, culturel, éducatif et artisanal. Cet ancien caravansérail, construit au XVIIe siècle, accueille des expositions, des représentations théâtrales et le conseil municipal des jeunes de Saïda. Étape incontournable de la vieille ville, entre 3 000 et 4 000 personnes le visitent chaque mois.
Déjà un bureau de tourisme
La première initiative de la fondation Audi, créée à la fin des années 1990, dans le cadre de la préservation du patrimoine de la ville, a été la rénovation de la demeure familiale. Ceci s’est ponctué par l’inauguration d’un musée du savon artisanal. «Le but de ce musée thématique est d’en faire une porte ouverte, c’est-à-dire un passage entre la ville moderne vers la vieille ville», explique Raymond Audi.
La fondation Audi a ensuite entrepris de restaurer plusieurs maisons adjacentes au musée, en rénovant les façades. «Au lieu de vider les maisons, nous avons insisté pour que les résidents restent à côté de nous et qu’ils continuent à vivre dans ce quartier», explique Audi. En l’espace de 3 ans, la fondation qui a déjà, selon certaines sources, investi près de 3 millions $ dans les travaux de rénovation a contribué à la remise en état de la médina.
Inauguré au début de l’an 2000, le musée du savon connaît un franc succès avec en moyenne 3 000 à 4 000 personnes par mois dont 30 % d’étrangers. Bien que le bouche-à-oreille fonctionne, la fondation cherche de plus en plus à travailler avec des agences de voyages afin de les inciter à faire une halte à Saïda. La fondation Audi a offert un local au rez-de-chaussée du musée au ministère du Tourisme. Cet espace facilitera l’accueil des touristes qui pourront y trouver des brochures et des plans afin de découvrir toutes les curiosités de la ville. L’institution a également le projet d’une maison de l’artisanat. «Dans le passé, la ville comptait plus de 180 ateliers d’artisans. Aujourd’hui, ils sont à peine 20-25. Nous voulons leur proposer un espace pour mettre en valeur la tradition artisanale. Cela ne sera pas un musée, mais plutôt une maison où ils pourront montrer leur savoir-faire et commercialiser leurs produits», explique Audi. La fondation Hariri a la même logique et soutient plus de 300 femmes qui vendent leurs réalisations artisanales au khan el-Franj.
Les premiers pas des Debbané
Fondée en 1999, la fondation Debbané s’est fixé comme premier objectif de restaurer le palais Debbané, propriété de la famille depuis 1800. Devant l’état de dégradation de ce bâtiment du XVIIIe siècle après plusieurs années de squatterisation, il était devenu urgent de le protéger. «En fonction des moyens financiers disponibles, nous avons fait le minimum, c’est-à-dire nettoyé les lieux, arrêté les infiltrations d’eau et mis des fenêtres. Mais par rapport à l’investissement qu’il faudrait réaliser pour réhabiliter ce palais, ceci n’est qu’une goutte d’eau», explique Mouraccadé.
Aujourd’hui, le palais Debbané est partiellement restauré mais reste dépourvu de meubles. Il s’agit d’une visite culturelle d’un bâtiment historique qui a gardé une singularité architecturale remarquable. «Certains visiteurs sont surpris par l’absence de mobilier, donc ils sont curieux et nous posent de multiples questions sur l’histoire du palais, sur Ali Hammoud (le premier résident du palais) et sur la famille Debbané», ajoute Mouraccadé. Inauguré en mai 2001 lors d’un séminaire sur le patrimoine à Saïda, le palais reçoit plusieurs milliers de personnes chaque année. Les habitants même de Saïda le découvrent aujourd’hui. Autrefois, peu de gens en connaissaient réellement l’existence.
Le projet de la fondation Debbané est de restituer la valeur historique et artistique du palais et d’en faire un musée historique de Saïda. Des expositions d’art et un centre de documentation sont également envisagés dans les étages supérieurs. Aujourd’hui, la fondation s’interroge sur un calendrier à suivre. Deux options sont évoquées : soit le palais est totalement fermé pour une rénovation totale de plusieurs mois, soit la fondation intègre progressivement le musée, tout en commençant la réhabilitation du palais.
Dans l’immédiat, la fondation Debbané est soucieuse de terminer ses investigations historiques et d’avoir un aperçu chiffré des dépenses à prévoir. «Actuellement, nous finançons des études scientifiques, mais à l’avenir nous cherchons des partenaires privés pour nous aider à réunir les fonds nécessaires aux travaux», explique Mouraccadé.
Le château de terre
Incontestablement, Saïda connaît donc un important dynamisme touristique, avec l’ensemble de ces initiatives. Aujourd’hui, les touristes sont beaucoup plus nombreux qu’il y a seulement deux ou trois ans. Les ouvrages photographiques, les brochures et les guides touristiques se multiplient. Les résultats de nouvelles campagnes de fouilles archéologiques révèlent d’autres facettes de l’histoire de la cité. «Des résidents et des commerçants m’interpellent dans la rue pour me demander quand est-ce que la fondation va réaménager leur bien», explique Audi. «Les commerçants d’eux-mêmes à l’approche du palais Debbané ont commencé à nettoyer et à rénover leur boutique», observe Mouraccadé.
Toutefois, «il serait dangereux de brûler des étapes. La rénovation de la vieille ville est un long projet qui doit mobiliser tout le monde», précise Hariri. Prochainement, un prêt de 5,2 millions $ de la Banque mondiale en partenariat avec la fondation Hariri est envisagé. Différents projets sont à l’étude dont une réhabilitation du château de la terre qui est fermé au public depuis plusieurs années, la mise en place d’un circuit touristique à travers les souks et une rénovation de la façade maritime. À l’avenir, le but est de préserver la morphologie urbaine. Selon l’Unesco, il est impératif de maintenir la vie socio-économique de la vieille ville avec ses résidents (13 000 habitants), ses artisans et ses commerçants. «Il y a des kilomètres de ruelles piétonnes pour découvrir de multiples trésors. Pourtant, mon seul regret est l’absence d’un musée archéologique. Il est dommage qu’aujourd’hui il soit possible de trouver des objets historiques de cette ville dans de nombreux musées internationaux sauf à Saïda», conclut Audi.