Comment gérer sept sites, 13 000 m2 de supermarchés, 10 millions de clients par an et surtout 18 000 m2 de boutiques. En d’autres termes, comment rester un géant local face aux armadas internationales. La réponse “mall” des Bou Khalil.

Centre commercial ou galerie marchande pour les francophones, drugstore ou mall pour les anglophones : la terminologie varie, mais le concept reste le même. Il s’agit d’un alignement de boutiques sur un ou plusieurs niveaux ; qui mène ensuite à une grande surface alimentaire séparée. L’enseigne Bou Khalil a été la première à adapter cette structure commerciale au Liban.
Le concept des drugstores Bou Khalil est né d’un constat : la vente de certains produits (habillement, librairie, disques, parfumerie, tabac, électroménager…) dans un supermarché n’est pas ancrée dans les pratiques locales. La perception libanaise dévalorise l’achat de ces produits dans les rayons d’une grande surface essentiellement alimentaire. «Nous préférons privilégier la vente assistée, c’est-à-dire céder en location des boutiques hors de nos surfaces alimentaires à des professionnels qui sont plus aptes à répondre aux exigences de la clientèle. Ces points de vente viennent compléter l’offre de nos supermarchés», explique Nabil Bou Khalil, directeur général de la holding BK Markets.
Les centres commerciaux périphériques qui se sont multipliés en France auraient pu être un modèle de référence. Mais les réalités foncières au Liban (prix immobiliers très élevés et étroitesse des parcelles disponibles) ont freiné de telles initiatives. «Des promoteurs nous contactent pour des projets ambitieux avec des galeries marchandes et un hypermarché sur un même niveau. Mais le seuil de rentabilité trop élevé ne nous encourage pas à tenter l’expérience», explique Bou Khalil.

Les locations sur 25 ans

Le chiffre d’affaires du groupe en 2001 était de 58,6 millions $, soit + 5,5 % sur l’exercice précédent ; mais avec des pertes nettes quand même (selon l’audit PWC). En 2003, Bou Khalil gère cinq supermarchés, deux hypermarchés et quatre galeries marchandes. La stratégie du groupe est de prendre en location, généralement pour 25 ans, une surface commerciale qui comporte un supermarché classique, plus un espace pour le drugstore, dans lequel il sous-loue, à son tour, différents emplacements à des boutiques.
Le premier drugstore Bou Khalil a été inauguré en 1994 aux sous-sols du Faubourg Saint-Jean (Hazmieh). Se sont succédé ensuite les sites de Tripoli, Mkallès et Koraytem. À chaque fois, le groupe BK ne choisit pas l’emplacement géographique, mais profite des opportunités présentées par des promoteurs. À Tripoli, Bou Khalil a préfinancé la construction du complexe par des loyers payés d’avance. Ce dernier site constitue un véritable centre commercial régional où sont concentrés un hypermarché de 2 500 m2 et une galerie marchande de 65 boutiques avec des enseignes de renommée comme Librairie Antoine, Lancel, Alain Afflelou, Khabbaz, Rectangle jaune, Siom ou GS. «Toutefois, la meilleure locomotive reste la surface alimentaire. C’est ce qui fait venir régulièrement le client», avoue Bou Khalil.

La percée de Koraytem

La dernière surface en date est celle de Koraytem, à proximité de l’ambassade saoudienne (et du Premier ministre). Le centre commercial est implanté aux niveaux inférieurs d’un immeuble résidentiel de luxe qui appartient à Fouad Hodroj, associé à Youssef et Mohamed Merhi. «Ce site est proche des quartiers résidentiels denses de Ras Beyrouth avec une zone de chalandise estimée à 25 000 foyers. Il constitue le potentiel le plus important parmi nos drugstores». Résultat : un chiffre d’affaires en progression de 7 % et un nombre de clients (plus de 1 000 par jour) également en augmentation de 8 %. De bons indicateurs confirmés par un panier moyen élevé (25 $). Inauguré en avril 2000, ce supermarché, qui a un parking de 220 places, s’est imposé comme une enseigne de proximité malgré une forte concurrence (Coop à Caracas, Smith’s à Hamra et Shoppers à Raouché).
Toutefois, l’évolution de l’espace de Koraytem témoigne d’une situation de plus en plus délicate. Si le supermarché a été ouvert en 2000, la galerie marchande est restée quasiment vide jusqu’à la fin 2002. Seulement une poignée de boutiques était présente avec un loyer fixe qui varie de 250 à 600 $ le m2, plus un pourcentage des ventes. «Les commerçants potentiels étaient réticents. Ils ne voyaient pas l’intérêt d’être à la fois à Koraytem et à Hamra ou Verdun», explique Bou Khalil. En 2001, le groupe BK souhaitait alors se retirer de la gestion de ce centre commercial qui n’arrivait pas à démarrer ; mais obtient un nouveau contrat de location avec un loyer divisé par 4 par rapport au précédent. Et Bou Khalil opte pour un nouveau système pour attirer les commerçants. La formule du loyer est abandonnée. Désormais, chaque boutique verse un pourcentage de ses ventes (de 12 à 22 % en fonction de l’emplacement et du produit). Une formule qui se généralise dans la plupart des drugstores Bou Khalil. «Tout le monde y a trouvé son intérêt. Personne n’était sûr de faire un chiffre de vente suffisant pour payer un loyer fixe». Seules les petites surfaces (moins que 30 m2), très demandées, ont encore un loyer fixe plus un pourcentage des ventes (selon nos informations, celui-ci se situe entre 5 et 15 %).

50 000 cartes de fidélité

«Nous sommes confiants pour le concept alimentaire, nous avons plus de 50 000 cartes de fidélité et notre enseigne est connue sur le marché. Mais, nous avons des soucis pour les galeries marchandes, une activité pas toujours rentable. Les clients sont en train de changer leur habitude de consommation. L’achat utile est privilégié aux dépens du shopping-plaisir», avoue Bou Khalil. Malgré une hausse de la fréquentation dans ces “mall”, la clientèle dépense donc moins : le chiffre d’affaires du mètre carré d’un centre commercial rapporte la moitié de celui d’un supermarché, alors que de 1994 à 1997 les boutiques avaient une meilleure rentabilité que la surface alimentaire. La galerie marchande du Faubourg Saint-Jean obtient les meilleures rentabilités, mais là aussi la récession n’est pas absente. Ainsi, une boutique a vu, de 1998 à 2002, son chiffre d’affaires baisser de 50 %. «Face à de telles situations, nous sommes obligés de nous adapter. Si le commerçant n’est pas en faute, nous lui proposons un nouveau contrat de location ; dans le cas contraire, un autre locataire le remplacera», explique Nabil Bou Khalil. Qui peut s’appuyer sur une liste d’attente, essentiellement au Faubourg Saint-Jean et à Tripoli, pour sélectionner ses locataires. Le groupe BK s’attelle en tout cas à renforcer l’attrait de ses drugstores, en équilibrant ou en spécialisant l’offre. Par exemple, le site de Koraytem est orienté vers l’équipement de la maison avec les enseignes Tapirama, House Tex et Pier Import. Ce drugstore espère, à l’avenir, attirer entre 2 500 et 3 000 visiteurs par jour.
Mais avec les nouvelles implantations prévues ou annoncées, l’affaire des grandes surfaces au Liban est loin d’avoir trouvé un équilibre stable.





=== Cadres ===

La Bourse, c’est fini
L’expérience de la Bourse de Beyrouth pour la société Bou Khalil Markets SAL (Holding) a pris fin en décembre 2002. Cette décision du conseil correctionnel de la Bourse fait suite à une entrave à l’article 158 du code de commerce. Explication de Nabil Bou Khalil : «Nous avons utilisé des facilités financières de notre groupe pour des sociétés sœurs sans avoir l’autorisation de l’assemblée du groupe, ni l’accord préalable des instances de la Bourse. Nous avons commis une faute que nous assumons entièrement». Ce retrait constitue un revers dans l’évolution du groupe qui était fier d’avoir été, en 1998, le premier groupe libanais de la grande distribution coté à la Bourse. Finalement, l’aventure n’aura duré que cinq ans. «Cette affaire est une déception. Mais désormais, nous avons repris une liberté dont nous avons besoin en cette période de crise», explique Bou Khalil. De plus, le groupe BK exprime un soulagement à ne plus devoir afficher ses chiffres d’exploitation, alors que ses concurrents n’y étaient pas obligés – et ne le faisaient pas.


Deux projets abandonnés
• Bou Khalil Adlieh. Situé sur une parcelle appartenant au patriarcat syriaque-catholique entre les carrefours du Musée national et du Palais de justice, ce projet commercial (galerie marchande de 8 000 m2, hypermarché Bou Khalil de 4 000 m2, parking de 600 voitures) a été rendu public début 2000. La fin des travaux était prévue à fin 2001. Mais, aucun coup de pioche n’a été entendu. Un conflit entre le promoteur immobilier et le patriarcat a anéanti toutes issues favorables à ce projet. «Nous n’y sommes pour rien dans ce litige. Nous étions demandeurs de ce projet dans lequel nous avions investi de l’argent», explique Bou Khalil.
• Bou Khalil Khaldé. Un complexe commercial situé au sud de l’agglomération beyrouthine a également été stoppé. Là encore, les promoteurs se sont enlisés dans des problèmes techniques. «C’était pourtant un projet très ambitieux idéalement localisé. Nous avions prévu un hypermarché de 7 500 m2».


Pier Import au Liban
Depuis décembre 2002, l’enseigne exotique spécialisée dans la décoration, les accessoires et l’équipement de la maison est au Liban dans le drugstore Bou Khalil de Koraytem. Il s’agit en définitive d’un retour, puisque Pier Import était déjà présente dans le milieu des années 1990 à Beyrouth. Cette première expérience fut de courte durée. «Le choix de Koraytem est lié à des disponibilités d’emplacement. Ce site constitue un test qui nous servira à mesurer l’impact de l’enseigne sur le marché», précise Nabil Bou Khalil, dont le groupe BK a obtenu les droits de franchise. Enseigne fondée aux États-Unis en 1970, Pier Import France s’est séparée de la maison mère pour obtenir son indépendance en 1976. La société dispose aujourd’hui d’un réseau de 150 points de vente en France et 34 à l’étranger dont les Émirats arabes unis. Le groupe français Far’fouille, qui détient une importante puissance d’achat à travers ses propres enseignes, est aujourd’hui le nouveau propriétaire de Pier Import.
Les premiers chiffres d’exploitation à Koraytem semblent très encourageants. Le panier moyen atteint 23 $. Alors qu’il est de 10 $ en France et 15 $ dans le monde. «Nous avons deux projets d’implantation en 2003, soit au sein des drugstores Bou Khalil, soit dans un point de ventes indépendant. Les sites possibles sont Mkallès et Tripoli», projette Bou Khalil.



=== Tableau ===

Enseignes Bou Khalil en 2003
Création Nb. de visiteurs en 2001 (milliers) Superficie centre commercial (m2) Nb. boutiques Taux d’occupation
(%) Superficie supermarché
(m2)
Baabda 1980 1 000 NA NA NA 700
Feytroun 1986 600 NA NA NA 1 000
Fbg St-Jean 1994 2 000 1 000 17 100 2 400
Mkallès 1999 1 250 850 10 100 2 600
Tripoli 1999 2 250 11 300 65 90 2 500
Koraytem 2000 1 250 4 800 23 90 2 000
Zahlé 2001 ND NA NA NA 1 200
NA : non applicable (pas de galerie marchande).
ND : non disponible encore.