Quel Roumain (ou plutôt Roumaine) ne connaît pas la nouvelle chaîne de pharmacies Sensiblu,
ouverte 24h/24, 7j/7 ? Tout a été choisi pour plaire à une clientèle essentiellement féminine,
à commencer par le nom qui évoque une vision moderne de la femme.
Créée en 1997, la chaîne compte aujourd’hui 55 pharmacies louées et gérées à travers le pays, essentiellement à Bucarest, où les Roumaines peuvent s’approvisionner en libre service dans un grand espace de produits cosmétiques et parapharmaceutiques. Une ascension fulgurante pour ce nouveau concept de la pharmacie jusqu’alors inconnu en Roumanie. Le pays avait hérité de l’ancien régime de pharmacies vétustes et mal éclairées, où les produits placés derrière une cloison vitrée sont inaccessibles au client. La chaîne détient aujourd’hui 5 % du marché pharmaceutique au détail du pays. Dans ces pharmacies, on y vend aussi bien des médicaments qui nécessitent, ou non, une prescription, qu’une large gamme de produits parapharmaceutiques et cosmétiques. Un pharmacien diplômé est présent dans chacune de ces pharmacies. Mais qui sont les auteurs de cette percée exceptionnelle ?
Le Libanais Walid Abboud et le Français Ludovic Robert nourrissaient le rêve de faire fortune dans les pays émergents dès leur sortie de l’Essec (France) en 1993. C’était la Roumanie pour l’un, la Chine pour l’autre. Ils finirent par tenter l’aventure roumaine en 1994. Ils seront rejoints trois mois plus tard par Michel Eid et Roger Akoury, deux autres camarades d’université de Walid Abboud, rencontrés sur les bancs de l’USJ en faculté de sciences économiques.
En commençant
par les cercueils
Mais on se demande comment choisir son activité dans un pays où tout ou presque était encore à faire. Les partenaires ont d’abord opté pour la fabrication de cercueils avant de changer de cap. «On a jugé que les clients des médicaments seraient bien plus fidèles», répond Walid Abboud, dans un demi-sourire. En effet, ils avaient commencé à leur arrivée par étudier l’exportation de bois manufacturé, pour tirer profit d’une main-d’œuvre peu chère, et du grand réservoir de bois qu’est la Roumanie. Et ont même contacté un des leaders de pompes funèbres en France pour lui vendre des cercueils. Jusqu’au jour où une jeune fille demande à Ludovic de lui ramener une boîte d’aspirine UPSA de France. Il fallut moins d’une minute pour que ça fasse tilt dans l’oreille des jeunes entrepreneurs. Il s’est trouvé qu’UPSA cherchait un nouveau distributeur en Roumanie. Les ingrédients de départ : une idée, une opportunité, beaucoup de persévérance – et 20 000 $.
Les quatre partenaires décidèrent de se spécialiser d’abord dans la promotion et la distribution de produits OTC (Over The Counter – sans prescription médicale), activité bien différente de la promotion classique chez les médecins des produits dits éthiques. De plus, la livraison aux pharmacies était inconnue jusque-là en Roumanie : les pharmaciens allaient eux-mêmes s’approvisionner auprès des grossistes. C’est en allant au devant des pharmaciens et en faisant auprès d’eux la promotion des produits, qu’ils créèrent ainsi un nouveau marché. UPSA fut suivie de beaucoup d’autres marques confirmées sur le marché international, comme les produits dermo-cosmétiques Pierre Fabre, Durex, Strepsils, Panadol. Jusqu’à devenir aujourd’hui le leader du marché OTC importé. Depuis 1997, le chiffre d’affaires du groupe a connu une croissance annuelle de 50 %.
De l’importation et de la distribution en gros, les quatre sont ensuite rapidement passés à la création de la chaîne pharmaceutique Sensiblu, un nom inventé qui groupe le mot “sensible” (en roumain comme en français) et la racine anglaise blue. Les effectifs dépassent aujourd’hui 1 000 employés.
Rien d’importé du Liban
Selon Walid Abboud, pour les médicaments qui nécessitent une prescription, il faut que le fournisseur constitue un dossier assez complexe pour obtenir la permission de vendre en Roumanie et en Europe en général. Ceci expliquerait le manque d’intérêt des producteurs libanais de médicaments pour le marché roumain.
Pour les autres produits sanitaires et cosmétiques, le groupe a tenté d’importer certains produits libanais en Roumanie. Mais il s’est avéré que les fournisseurs concurrents européens offraient bien plus d’avantages, tant pour le prix qu’au niveau des modalités de paiement, pour une image de marque supérieure. D’autant que les droits de douane intra-Europe sont nettement moins élevés que pour les produits libanais. Exemple : un produit sanitaire italien a été récemment préféré à son équivalent libanais pour son prix inférieur, mais aussi parce que le fournisseur a offert instantanément un délai de paiement de 3 mois, alors que le fournisseur libanais avait exigé un paiement à l’avance.