Si les complexes à cinq ou six salles dominent toujours le marché, avec plus ou moins de bonheur, les opérateurs pensent déjà à l’avenir. Qui sera sous le signe des multiplex géants. C’est le fabuleux destin du cinéma au Liban.

Alors que la vente des billets n’avait
cessé de diminuer de 1998 à 2000
(-23 %), le secteur du cinéma connaît
des jours meilleurs depuis 2001 (+2 % en
deux ans). Ce petit redressement reste bien
maigre mais, dans cette conjoncture défavorable,
les professionnels ne vont pas faire
la fine bouche. Le bilan de l’année 2002 a
été presque similaire à celui de l’année
2001 (avec 5 000 entrées en plus).
Le gagnant de l’année 2002 reste le circuit
Empire qui, avec les films “Die Another Day”
et “Spiderman”, a réalisé de bons chiffres. La
20e aventure de l’agent 007 a été suivie par
plus de 160 000 personnes, soit le second
score de tous les temps au Liban. Même si
nous sommes loin encore du total historique
de “Titanic” (434 000 entrées en 1998), les
péripéties de James Bond sont toujours
autant appréciées. Les précédents sauvetages
planétaires avaient déjà réalisé d’excellents
chiffres : “Tomorrow Never Dies” avec
136 545 entrées en 1998 et “The World is not
Enough” avec 111 071 entrées en 2000.
MÊME MARYAM S’EN TIRE…
Ainsi, Empire maintient sa suprématie avec
52 % du marché. Son éternel concurrent,
flèche est compréhensible. Nous avons
ouvert alors que le centre était quasiment
vide. Aujourd’hui, il est presque complet
avec des enseignes
connues, et offre de
multiples activités
d’accompagnement
pour le public», note
Haddad. Malgré
deux tarifs des
billets (5 500 LL
l’après-midi et 7 500
LL le soir), Empire bénéficie d’un ticket
moyen en hausse (entre 6 900 et 7 000
LL). La réussite du mensuel “Movie
Guide” est également une satisfaction
pour Empire. Avec un tirage variant de
30 000 à 50 000 exemplaires, cette brochure
promotionnelle permet de fidéliser
une clientèle ciblée.
COLLATERAL DAMAGE
Ceci dit, la géographie des salles de cinéma
à Beyrouth n’a guère évolué durant
l’année 2002. La compétition et la course à
la rentabilité ont fait le ménage au cours de
ces dernières années. Il y a de moins en
moins de salles non rentables. Elles ont
tout simplement fermé, dont Élite et Taj
Hamra en 2002. Inauguré en 1996 dans le
centre commercial de l’hôtel Marriott à
Jnah, Élite avait pourtant bien démarré jusqu’à
l’ouverture, fin 1997, des salles
Dunes, à Verdun. L’évolution d’Élite a été
par la suite une lente agonie. Le centre
s’est vidé d’une partie de ses commerces.
Le départ d’Empire était inévitable. «Durant
deux ans, nous avons essayé de trouver
une solution (baisse des tarifs, programmation
de films différents) mais en vain»,
explique Haddad.
Le retour du Circuit Empire à Hamra est
passé quasi inaperçu. Un mois après l’ouverture,
les deux salles Taj situées dans le
même centre que l’hôtel Crowne Plaza ont
été fermées. Pour des raisons techniques,
le propriétaire n’a pas obtenu le permis
d’exploitation. Dans cette affaire, Empire
s’en tire sans dommage, puisqu’il n’avait
fait aucun investissement. Il ne reversait
qu’un pourcentage sur le nombre d’entrées.
«Nous n’avions rien à perdre d’y être.
Cette fermeture n’est pas non plus une
grande perte», avoue Haddad. Il est vrai
que les résultats après quelques semaines
d’exploitation étaient médiocres. Alors
qu’une salle doit faire entre 5 000 et
10 000 entrées par semaine pour être rentable,
Taj était à peine au quart de ces
chiffres. Ce retour manqué confirme à nouveau
que le cinéma et les divertissements
n’ont plus leur place à Hamra.
71 Le Commerce du Levant - Mai 2003
Planète, obtient 26 %, Concorde 12 % et les
autres circuits indépendants 10 %. «Nous
avons eu une bonne année 2002. Nous
confirmons notre renouveau depuis deux ans
après une mauvaise passe où nous étions
sous la barre symbolique des 50 % de part
de marché», explique Mario Jr Haddad, responsable
marketing du groupe Empire.
Parmi les salles exploitées par Empire,
Sodeco est aujourd’hui le complexe le plus
rentable avec le meilleur taux d’occupation
(pas loin de 40 %). Avec 820 sièges, Sodeco
(310 000 entrées) arrive à faire presque
aussi bien que les 332 000 entrées de
Concorde qui compte 1 900 sièges. La réussite
de Sodeco est également celle de la formule
Ciné 6 qui a, pour la première fois
depuis sa création, obtenu un chiffre de rentabilité
positif. «Ciné 6 s’adresse à un public
de connaisseurs. Le concept est de proposer
des films d’auteurs
dans une petite salle
de 120 sièges. Le
bouche-à-oreille est
en train de fonctionner
», avoue Haddad.
Preuve en est des
films élitistes comme
“La chambre du fils”
(2 837 entrées), “8 femmes” (4 741 entrées)
et le libanais “When Maryam spoke out”
(plus de 11 000 entrées en 12 semaines) ont
réalisé des scores honorables.
Empire a également constaté une croissance
considérable depuis deux ans pour
ses salles à Galaxy (+60 % d’entrées en
2001, +50 % en 2002). «Cette montée en
Le piratage libanais
lié à l’industrie du cinéma
atteint une proportion
de 80 %, occasionnant
des pertes de 8 millions $
Les 10 meilleurs films en 2002
Rang Titre Circuit Nb. d’entrées
1 Die Another Day* Empire 157 801
2 Spiderman Empire 84 929
3 Ocean’s Eleven Planète et autres** 69 066
4 A Beautiful Mind Planète et autres** 60 730
5 Hary Potter and the Chamber of Secrets* Planète et autres** 54 837
6 My Big Fat Greek Wedding Empire 50 203
7 Behind Enemy Lines Empire 47 899
8 The Lord of the Rings : The Fellowship… Planète et autres** 47 634
9 Unfaithful Empire 46 059
10 Men in Black 2 Empire 43 762
(*) Toujours en salle début 2003.
(**) Autres : Concorde, Kaslik, Freeway, Les Ambassades, Stargate, Plaza.
Nombre d’entrées
par complexe en 2002*
Salles Circuit Nb. d’entrées
Concorde Indépendant 332 000
Abraj Planète 330 000
Dunes Empire 329 000
Sodeco Empire 310 000
Espace Empire 230 000
Zouk Planète 200 000
Galaxy Empire 150 000
St-Élie Empire 130 000
Mkallès Empire 100 000
Freeway Indépendant 95 000
Tripoli Planète 80 000
Las Salinas Empire 80 000
(*) Chiffres arrondis approximatifs. D’autres complexes
n’ont pas été cités (Ambassades, Sofil, Kaslik,
Plaza), car ils ont été fermés pour des durées
variables au cours de l’année pour rénovation. De
sorte que leurs statistiques ne sont pas significatives.
AFFAIRESloisirs
C
PIRATES, MENSONGE ET VIDÉO
Mais, si les distributeurs pensent grand, le
potentiel des spectateurs au Liban (200 000
personnes en gros) reste inexorablement
faible et représente seulement 5 à 6 % de la
population. En Europe, ce chiffre atteint
20 %. Ces quelques cinéphiles libanais
(80 % ont entre 15 et 25 ans) se font une
toile en moyenne deux fois par mois. Si leur
fréquence ne peut guère évoluer d’une façon
significative, les spécialistes espèrent toujours
que ce potentiel client augmentera. Il y
a quatre ou cinq ans, les distributeurs pensaient
que la multiplication des salles allait
s’accompagner d’une augmentation du
nombre des entrées. Les salles ont effectivement
proliféré, mais sans succès.
De plus, la prolifération des DVD pirates et
des abonnements satellite illégaux ne contribue
pas à une croissance exponentielle du
cinéma. La International Intellectuel Property
Alliance, qui regroupe près de 1 500 compagnies
américaines, a estimé que le piratage
libanais lié à l’industrie du cinéma atteint une
proportion de 80 %, occasionnant aux
majors des pertes de 8 millions $ environ.
Aujourd’hui, la moitié des entrées est assurée
par quatre sites (Concorde, Abraj, Dunes
et Sodeco), idéalement répartis dans l’agglomération
beyrouthine. Il s’agit de complexes
de 6 à 8 salles qui offrent de multiples activités
d’accompagnement : fast-food, café restaurant,
jeux vidéo, commerces. Toutefois,
les professionnels du cinéma attendent avec
impatience la nouvelle génération de multiplex,
un espace comprenant de 8 à 15 salles.
L’EMPIRE CONTRE-ATTAQUE
«Le multiplex c’est l’avenir. Toutes les
grandes capitales ont adopté ce système ;
pourquoi pas Beyrouth ?», insiste Haddad.
L’argument est que le multiplex permet un
meilleur service au client qui aura un
choix plus varié et contribue à une
meilleure exposition des films.
Aujourd’hui, faute de place, les exploitants
sont obligés de retirer de l’affiche des
films qui tournent encore à 1 000 entrées
par semaine pour en mettre un nouveau.
«Le manque de place nous pénalise.
Certains distributeurs refusent de nous
donner des films, parce que nous allons
les leur retirer dans 2-3 semaines. Mais
notre stratégie est d’avoir toujours des
nouveautés. Nous n’attendons pas
“l’épuisement” d’un film pour le changer»,
explique Haddad.
Les opérateurs auront l’embarras du choix,
puisque six multiplex sont en principe prévus
d’ici à 2006 dans d’imposants projets
immobiliers : le nouveau ABC à Achrafieh,
les souks au centre-ville, le prochain complexe
immobilier à la place Riad Solh financé
par des capitaux libano-émiriens et les
trois centres commerciaux : Géant à
Jdeidé, Carrefour à Dbayé, Agora à
Hazmieh. Ces projets pourraient disposer
chacun de 8 à 15 salles de cinéma. «Tous
ces sites sont intéressants, mais nous ne
pourrons pas être partout. Nos choix vont
dépendre de notre répartition géographique
actuelle», explique Haddad.
Néanmoins, la compétition entre les distributeurs
pourrait modifier les stratégies de
chacun. Il s’agit parfois de prendre un
emplacement pour empêcher son concurrent
d’y être. Plus particulièrement, le
centre-ville reste un enjeu colossal. Le
multiplex (avec un IMAX 3-D) adjacent aux
souks de Beyrouth constitue un emplacement
à ne pas manquer. Plusieurs exploitants
ont déjà déposé leur dossier. La décision
est dans le camp de Solidere.
Les tractations vont également bon train
pour l’exploitation des huit salles du
centre commercial ABC à Sassine dont
l’inauguration est prévue en octobre 2003.
Ce site, qui impliquera un investissement
propre de 3 à 4 millions $ dans l’équipement
des salles, est surtout stratégique.
Le circuit Empire est évidemment intéressé
à garder le monopole du marché
d’Achrafieh. Bien qu’une présence dans le
centre ABC affecterait les salles Sofil et
Sodeco. Pour Mario Jr Haddad, «mieux
vaut être à Sassine que ne pas y être».
Mais cela s’appliquerait aussi à d’autres
complexes – et à d’autres opérateurs déjà
actifs ou même nouveaux.