L’idée est simple : permettre à une entreprise d’avoir de l’argent frais – et à moindre coût. Deux conditions paradoxales ? Trop beau pour être vrai ? Peut-être pas, à travers une idée innovante présentée par un banquier et un juriste. De renom.
Une société a souvent besoin d’augmenter
ses moyens propres. Elle a
alors le choix entre : augmenter son
capital ou se faire cautionner. Un choix parfois
difficile. Et il arrive qu’aucun des deux
procédés ne soit pleinement satisfaisant.
Nous allons essayer de montrer qu’une
troisième voie est possible, permettant
d’allier des avantages des deux solutions.
Et d’éviter leurs inconvénients.
ENTRE RECAPITALISATION
ET CAUTIONNEMENT
• La recapitalisation par injection
d’espèces conduit l’actionnaire à
engager des réserves, à s’endetter
peut-être, parfois à céder des biens
pour dégager la liquidité nécessaire.
Alternativement, procéder par la voie
d’apport en nature de biens immobiliers
entraînera un coût fiscal d’enregistrement
d’environ 6 %. Un tel
apport peut accroître ensuite le coût
fiscal de l’exploitation des biens ainsi
apportés, dès lors assujettis à l’impôt
sur les sociétés.
• Le cautionnement a pour l’actionnaire
qui l’apporte l’avantage de la souplesse :
il peut avoir une durée inférieure à la
durée de la société. Et alors que le capital
social est traité par l’administration fiscale
comme s’il était gratuit, les crédits que la
société contractera sur la base du cautionnement
généreront un avantage fiscal pour
l’actionnaire, puisque les intérêts sont
déductibles des résultats de la société.
Mais comme il est donné au bénéfice d’un
notamment du taux d’intérêt le plus favorable,
et la place au contraire en dépendance
vis-à-vis du créancier qui en bénéficie.
C’est là un défaut coûteux, par rapport
à une simple augmentation de capital,
laquelle a pour effet d’élargir d’autant
l’actif de la société, au bénéfice de tous
les créanciers.
UNE TROISIÈME VOIE
Une solution à ce dilemme est de fournir
à la société un cautionnement, mais
au bénéfice de tous ses créanciers,
actuels et futurs, et non d’un créancier
unique et identifié. On baptisera
“omnibus” cette forme nouvelle de
garantie. Quels sont les avantages d’une
telle formule ?
À la différence du cautionnement ordinaire,
le cautionnement que nous appelons
omnibus permettra à la société
d’avoir des conditions de financement
optimales, par le jeu de la concurrence,
désormais ouvert entre les créanciers.
Tout à fait comme une augmentation de
capital donc, sauf que :
1) À la différence de l’augmentation de
capital, il ne requiert pas de l’actionnaire
d’engager des espèces.
2) À la différence de l’augmentation de
capital, il n’est pas définitif, il peut être
consenti pour une durée limitée.
3) À la différence de ce qu’il en sera en cas
d’augmentation du capital, les intérêts des
fonds que la société empruntera pour pallier
la non-injection de capitaux sont
déductibles, utiles donc fiscalement.
seul créancier, le cautionnement ne permet
pas à la société de mettre en concurrence
plusieurs créanciers, à la recherche Ce cautionnement sera vraisemblablement
fourni par une personne physique
ou morale, jouissant d’une crédibilité et
d’une solvabilité notoires (par exemple
une banque, ou un organisme spécialisé
tel que Kafalat).
BRIÈVEMENT, EN DROIT
Le cautionnement en couverture de
dettes encore inexistantes, et en faveur
de créanciers encore non identifiés, estil
valable ? Dans l’affirmative, ce contrat
passé entre la caution et la société peutil
bénéficier aux créanciers lorsqu’ils
voudront lui donner effet, alors qu’ils n’y
sont pas partie, voire ignorent peut-être
son existence ? Ce sont les questions
que nous allons rapidement examiner :
1) La validité du cautionnement omnibus.
Le cautionnement omnibus demeure
valable, alors même que les dettes qu’il
est appelé à couvrir sont encore seulement
virtuelles.
Aux termes de l’article 1057 du code des
obligations et des contrats (ci-après
COC), le cautionnement peut avoir pour
objet une obligation future, ou encore
indéterminée. Ainsi, on cautionnera
valablement la dette à naître d’un crédit
bancaire, telle qu’elle sera arrêtée au
moment de l’exécution.
Le cautionnement est-il valable, lorsque,
non seulement les dettes sont futures,
mais les créanciers encore virtuels, donc
non identifiés ?
Le contrat de cautionnement omnibus,
passé entre la caution et la société au profit
des créanciers de cette dernière, constitue
une “stipulation pour autrui” (comme
l’assurance au profit de tiers), laquelle peut
valablement intervenir au profit de personnes
encore non déterminées, pourvu
qu’elles soient déterminables à terme
(article 238 COC) : donc au profit de tous
les créanciers actuels et futurs de la société.
«Il est possible que le créancier luimême
ne soit pas déterminé et que la caution
se soit engagée pour toute dette du
débiteur garanti» (Philippe Simler, le cautionnement,
n° 142, p. 147 et réf. de jurisprudence).
L’auteur cité tire la validité d’un
tel engagement du jeu de la stipulation
pour autrui.
2) La question de la révocabilité
du cautionnement omnibus.
Deux règles résultent du jeu légal de la
stipulation pour autrui :
La Cour de cassation française a eu l’opportunité
de rappeler la première.
Comme ce qui est attendu de la caution
omnibus, le dirigeant d’une société avait
cautionné les dettes de cette dernière,
non point par un contrat avec les créanciers,
mais dans le cadre d’un contrat
conclu avec l’assureur-crédit, au bénéfice
desdits créanciers.
Il révoqua par la suite ce cautionnement,
soutenant qu’il pouvait le faire tant que les
créanciers n’ont pas marqué leur acceptation.
L’argument, dont il espérait qu’il le
libère de son engagement, n’a pas été retenu
par la Cour (arrêt du 23 février 1993 –
Rev. Trim. Dr. Civ., 1994, p. 99).
C’est ainsi que, par exemple, l’assureurdécès
s’engage irrévocablement au profit
du tiers appelé à bénéficier de l’assurance
au décès de l’assuré, alors même
qu’il n’a pas contracté avec lui, et ce par
le jeu de la stipulation pour autrui. Le
promettant (dans notre exemple, l’assureur-
décès) ne peut plus se dégager de
son engagement pris au profit du bénéficiaire
(étranger pourtant au contrat).
Cette règle est exprimée en droit libanais
par l’article 230 COC, lequel dispose que
le bénéficiaire est réputé avoir acquis un
droit propre et direct alors même qu’il
n’est pas partie au contrat de stipulation
pour autrui.
La seconde règle, édictée par l’article 231
COC, permet à qui a stipulé au profit d’autrui
de révoquer cette stipulation tant qu’elle
n’a pas été acceptée par ses bénéficiaires.
La société peut ainsi priver du cautionnement
ceux de ses créanciers qui ne
l’auront pas encore accepté.
Cette faille n’est du reste pas propre à la
caution omnibus. On tend à oublier en effet
l’article 1061 COC, qui permet à la caution
de révoquer son engagement tant qu’il n’a
pas été accepté par le créancier.
Notons que l’acceptation du cautionnement
omnibus peut être tacite (art. 231,
COC), donc résulter, par exemple, d’un
crédit accordé après que la société a
avisé le prêteur de l’existence du cautionnement
omnibus. Les banquiers de
la société et ses fournisseurs seront
néanmoins bien inspirés de marquer
expressément leur acceptation.
Économiquement utile, juridiquement
valable, le cautionnement omnibus se
frayera, nous l’espérons, un chemin vers
la pratique, en cette période de crise,
quand plus que jamais innover sauve.
(*) Riad B. Obégi est directeur général de la Banque
BEMO ; Me Bassam J. Onaissi est membre associé du
cabinet Raphaël et associés.
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