Un brin d’archéologie, un patrimoine millénaire, une montagne unique dans la région, et les trois “s” du tourisme : sea, sun and... sand. Officiellement, c’est l’image que le Liban touristique cherche à véhiculer. Mais personne n’est dupe devant ce tableau innocent de farniente vacancier et de soirées au narguilé. Voilà que se dessine petit à petit, depuis le début des années 90, le quatrième “s” de “sex”. Pas de chiffres précis sur le volume de ce business. Normal, puisque, officiellement, il n’existe pas. Tout passe par l’économie informelle des services, sans TVA. Mais on sait désormais qu’il occupe une partie incontournable du marché touristique, donnant lieu à une importante circulation interne et externe de capitaux.

Est-ce que, à force d’hésiter entre Hong Kong et Hanoi, le Liban aurait-il choisi en fin de compte le modèle de Bangkok ? On n’en est pas à ce stade. Mais, c’est parfois l’impression que donne la multiplication des bars, cabarets, boîtes et “super night-clubs” à Kaslik et à Maameltein, mais aussi à Hamra et à Raouché. Si, pendant des années, l’activité de barmaids et autres filles de shows était restée discrète, elle a littéralement explosé avec l’afflux des Européennes de l’Est. Qui ont déferlé au Liban – comme dans nombre de pays – dans les années 90, suite à une demande croissante. Selon les estimations, elles seraient aujourd’hui plusieurs centaines installées dans des hôtels ou appartements du bord de mer et menant une vie bien lucrative.

Officiellement, il ne s’agit pas de prostitution, ni dans le cas des filles d’Europe de l’Est ni dans celui des Africaines, Asiatiques ou Arabes. Selon la définition de la Sûreté générale, ces filles sont des artistes se produisant dans des shows, des “barmaids” servant les boissons dans les bars, ou encore d’employées de maison, ou enfin de touristes. Mais il ne faut pas mélanger les genres. Et vaut mieux stratifier le marché selon des créneaux bien spécifiques.

Au bas de l'échelle

Selon une classification recueillie auprès de clients assidus, la passe avec les Syriennes, bédouines ou autres est un peu le sexe des pauvres. Ces femmes-là appartiennent à des classes démunies, et sont souvent poussées par leur mari, leurs amis ou les membres de leurs familles à se prostituer pour arrondir des fins de mois difficiles. Elles se promènent dans les rues, à toute heure du jour, seules ou en petits groupes, se présentent comme des chiromanciennes le cas échéant, mais guettent l’homme seul pour lui proposer leurs services “à n’importe quel prix”. Même 10 000 LL feraient l’affaire. Et le lieu des ébats peut être n’importe où ; le siège arrière de la voiture au besoin. Ces Syriennes forment donc la queue du peloton et ce ne sont pas leurs maigres prestations qui font le gros du business au Liban.

Charme exotique

Les Sri Lankaises et les Éthiopiennes viennent ensuite en catégorie 2 étoiles dans le classement officieux. Arrivées au Liban en tant que personnel domestique, certaines ont “mal tourné”, suite à des problèmes avec leurs employeurs ; d’autres ont été entraînées à se prostituer par des compatriotes établies sur place. Mais la plupart le font par choix délibéré, jugeant ce secteur plus lucratif que le repassage à domicile.

Le premier test s’effectue généralement le dimanche, jour de congé hebdomadaire. Puis, devant le succès de l’opération, nombre de ces filles chocolatées quittent l’employeur et ses maigres 200 $ par mois, ou le ménage en profession libérale, à 5 000 LL l’heure, pour une activité plus lucrative. Selon le physique de l’emploi, on peut aller jusqu’à 30 $ par prestation. Pour le moment, elles ne semblent pas encadrées par des réseaux constitués. Mais comme la Sûreté générale a besoin quand même d’un employeur, il doit bien y avoir un garant fictif qui leur soutire un montant forfaitaire mensuel. Et c’est souvent le bureau de recrutement lui-même qui fait l’affaire.

D’après les témoignages, leurs clients principaux sont des travailleurs peu fortunés, libanais ou souvent syriens ou égyptiens en goguette, qui fréquentent, le jour de la paye, des zones de rassemblement (autoroutes, voies principales, supermarchés…) ou les bars mal famés (voir encadré).

Dans ce classement approximatif, les Philippines occupent une position à part. Le plus souvent, elles viennent au Liban, elles aussi, sous l’étiquette de personnel domestique. Mais certaines, les plus jolies et éduquées, sont prisées par des hommes libanais, que les filles d’Extrême-Orient continuent de faire fantasmer. Du coup, elles ont leurs propres réseaux et utilisent, comme couverture, le travail dans le secteur hôtelier ou dans les boîtes de nuit pour dénicher les clients. Leurs passes sont parfois négociées jusqu’à 100 $.

Parfum régional

Les Marocaines et les Égyptiennes viennent en troisième position. Et elles font généralement partie de réseaux constitués qui les amènent au Liban, officiellement en tant qu’artistes, avant de les mettre sur le circuit de la prostitution. Certaines arrivent tout simplement avec des visas de touristes, avant d’être récupérées par des “macs” locaux, en liaison avec d’autres dans leur pays d’origine.

Cependant, les plus débrouillardes font dans la profession libérale, généralement dans un cadre bien défini. Elles louent entre copines des chalets au bord de la mer, dans les nombreux complexes balnéaires de la côte. Puis, chacune d’elles commence à racoler au hasard, guettant le client au bord de la piscine et le “drague” en l’invitant au chalet. C’est là qu’elle lui propose une passe pour une somme variant de 70 à 150 $. Le tarif est donc plus cher que dans la précédente catégorie, car ces filles, généralement bien de leur état physique, fournissent le local, en plus de leurs services. Le temps de rembourser les frais du chalet et de se faire un petit argent de poche et les filles retournent dans leur pays, après des vacances bien remplies.

Certaines restent cependant sur place mais, là, elles doivent trouver un souteneur fixe pour leur faciliter les conditions d’un séjour prolongé.

Vagues de slaves 

Mais le gros du business reste celui des filles d’Europe de l’Est. Un phénomène qui a littéralement transformé le paysage nocturne à Maameltein, à Kaslik et à Beyrouth. Leur apparition sur la scène locale s’est faite en réalité en deux étapes relativement distinctes.

Selon des experts en la matière, lorsque, il y a quelques années, les filles de l’Est ont commencé à débarquer au Liban, elles venaient surtout de Russie, de Roumanie et d’Ukraine, bref des anciens pays du bloc communiste, livrées subitement à un capitalisme sauvage et donc à la plus grande misère. Ces filles-là étaient d’abord engagées par un réseau libano-européen de l’Est qui leur promettait des contrats de mannequins ou de danseuses et, une fois au Liban, elles se retrouvaient à attirer les clients dans un bar, ou au mieux animant des shows dans un super night-club. Elles ne pouvaient pas protester, ni s’en aller, leurs passeports étant confisqués par leurs employeurs. D’ailleurs, elles dépendaient totalement de ces derniers qui les prenaient en charge dès leur descente d’avion, moyennant un salaire d’environ 500 $.

Au début, ces filles étaient logées par leurs employeurs dans des hôtels peu primés, près de leur lieu de travail, à trois ou quatre par chambre, dotées d’un simple téléphone interne à l’hôtel et étroitement surveillées. Elles prenaient leur service à partir de 21h et devaient rester sur place jusqu’au dernier consommateur. Elles étaient ensuite ramenées par minibus à l’hôtel où elles pouvaient dormir jusqu’à midi. Toutes leurs sorties et tous leurs contacts avec l’extérieur sont surveillés. Et si un client, rencontré la veille au cabaret, veut établir des relations poussées avec l’une des filles, il ne pouvait le faire à l’insu du patron, qui est parfois le propriétaire du bar lui-même.

Ce démarrage historique était peu luisant et ressemblait fort à une traite de blanches. Mais, aujourd’hui, la situation s’est un peu mieux organisée et les filles ont amélioré leurs conditions de travail. La plupart sont désormais consentantes et chercheraient même à prolonger leurs visas pour pouvoir rester plus longtemps au Liban.

Bien sûr, selon la nomenclature officielle, ce ne sont pas des prostituées et les agents de la Sûreté générale ou de la police des moeurs effectuent des inspections régulières sur place pour vérifier, supposément, qu’elles se comportent “comme des artistes”. Mais évidemment, ce n’est que du théâtre.

Les filles paient désormais elles-mêmes leurs frais d’hôtel, environ 100 $ par mois, surtout si elles restent à trois dans une chambre, et disposent d’une plus grande liberté. Leurs horaires de travail n’ont pas changé, mais si elles excellent dans leur service et poussent un client à ouvrir une ou deux bouteilles de champagne en une soirée (à 100 $ la bouteille), le patron peut alors leur accorder 24 heures de congé pour les passer avec le généreux client.

Selon des confidences recueillies auprès des filles elles-mêmes, le patron ne les obligerait pas à se prostituer. Ce qui l’intéresse avant tout, c’est que les clients consomment le plus possible dans son établissement. Mais, moyennant certains avantages, il ne serait pas opposé à tenter d’influencer l’une des filles qui aurait plu à un de ses clients.

Vitesse de croisière

Généralement, les filles n’accordent que volontairement des privautés à certains clients. Et cela se passe normalement dans les heures chaudes de l’après-midi, entre le service du soir et une bonne matinée de sommeil. Au cours de ces pauses torrides, le scénario de démarrage de la relation est un peu codifié.

Le client commence par inviter la fille dans un restaurant, puis l’emmène dans un chalet sur la côte ou dans la montagne. C’est là qu’il peut aussi lui faire des cadeaux, dans les boutiques de prêt-à-porter, les bijouteries… Et, bien sûr, lui fournira un téléphone portable, qui permettra, pour la suite des événements, un contact direct. C’est pourquoi, il est bien difficile de fixer un “tarif global” pour la prostitution des Européennes de l’Est. Tout dépend de la générosité du prétendant.

Mais, en tout cas, ouvrir une ou deux bouteilles de champagne dans un de ces bars lui ouvre par la même occasion la porte des avantages. C’est sa mise initiale. Et c’est à lui de gérer ensuite sa relation privée. Si, par exemple, il souhaite attendre la fille à la sortie de l’établissement, le patron consentirait à fermer les yeux. Ensuite, c’est à la fille de se débrouiller. Tout ce qu’elle peut obtenir de son client lui revient. Mais si ce dernier souhaite payer un plus au patron, pour qu’il lui réserve la fille les prochains soirs, cela ne peut qu’arranger les affaires de tout le monde.

Il arrive même parfois que certains clients se réservent une fille pour le mois entier. Mais, dans ces conditions, cela leur coûte des sommes importantes, qui dépassent les 10 000 $. Un pactole diversement réparti. D’abord, il faut payer son employeur qui n’accepte de la réserver que moyennant l’équivalent d’une consommation quotidienne importante. Ensuite, il faut gratifier la fille elle-même en cadeaux et en monnaies sonnantes et trébuchantes.

En tout cas, les belles Slaves sont très prisées des Libanais, qui forment la grande majorité de leurs clients. Jeunes ou vieux, bourgeois ou nouveaux riches, les hommes libanais sont disposés à dépenser ce qu’il faut pour s’assurer les faveurs de ces filles lumineuses et bien instruites. Même si certains engouements se terminent parfois par des mariages, suite à de véritables histoires d’amour. Ce qui est le rêve pour la plupart de ces filles. Mais ce n’est pas le propos de cette enquête.

Grande mobilité

Le goût des clients libanais pour les Européennes d’Ukraine, de Russie, de Bulgarie ou de Roumanie a poussé les patrons des cabarets et night-clubs à multiplier le nombre des recrues. Les filles qui arrivent pour la première fois ont généralement entre 17 et 24 ans. Elles ont un contrat de deux ans, renouvelable après un séjour d’un an dans leur pays. Mais nombreuses sont celles qui souhaitent renouveler leur contrat ou qui écourtent leur séjour d’un an dans leur pays. Ce qui n’est pas toujours facile, car les patrons préfèrent remplacer leurs filles, afin d’avoir toujours des nouveautés à proposer à leurs clients.

Ils n’acceptent de renouveler un contrat que si la fille a été réellement rentable ou si un client le lui demande expressément. D’ailleurs, dès qu’un nouveau flot de filles arrive, la nouvelle se répand comme une traînée de poudre parmi les habitués des boîtes à shows. En tout cas, de l’aveu des filles elles-mêmes, les Libanais sont particulièrement généreux, surtout lorsqu’ils sont satisfaits.

Valeur ajoutée locale

Ce qui est aussi le cas avec les clients arabes qui contribuent largement à l’expansion de ce business – mais selon d’autres goûts et demandes. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les riches clients arabes apprécient surtout les Libanaises, bien plus en tout cas que les Européennes de l’Est – visages pâles et un peu trop filiformes –, avec lesquelles ils ne peuvent pas communiquer.

D’ailleurs, ils savent que les Européennes de l’Est sont largement disponibles à Dubaï ou à Abou Dhabi, par exemple, pour un tarif allant de 100 à 200 $. Donc, même les amateurs du genre ne voient pas l’intérêt de passer par de telles complexités libanaises pour établir une relation beaucoup plus simple ailleurs. Alors que, en même temps, les Libanaises sont tellement plus séduisantes pour eux.

C’est là qu’on atteint le sommet de la classification, les tarifs des Libanaises, genre chic, étant les plus élevés. Les professionnels ont d’ailleurs rapidement flairé la bonne nouvelle et les réseaux les mieux constitués ont investi les hôtels les plus huppés de la capitale et de ses environs. Au début, il s’agissait d’une procédure d’amateurs, presque artisanale, via le portier, le voiturier ou le serveur du restaurant, dont les souteneurs achetaient la complaisance, voire la complicité pour savoir si tel riche client arabe serait amateur de filles. Mais, aujourd’hui, l’opération est un véritable business.

Dans certains grands hôtels, par exemple, il y a même un intermédiaire informel résident à qui les clients peuvent faire directement appel. Certains hôteliers eux-mêmes d’ailleurs préfèrent cette formule, car cela leur évitera le risque d’une guerre de réseaux sur leur territoire, alors qu’ils veulent, malgré tout, préserver la respectabilité des lieux.

Au début, les filles “commandées” par les clients étaient introduites à l’hôtel recouvertes d’abayas, se faisant ainsi passer pour les dignes épouses des riches clients. Mais, actuellement, il n’est pas rare de voir dans les ascenseurs des grands hôtels des filles en petite tenue.

Dans ce cadre, les plus sophistiqués des réseaux proposent même un catalogue illustré à certains des clients des hôtels qui feraient ainsi leur choix et réserveraient la fille de leurs rêves, moyennant des tarifs minimum de 1 000 $ pour la nuit. Il s’agit en réalité, à l’origine, d’un catalogue de mannequins (voir ci-dessous), mais qui peut donc servir à d’autres motifs. Sur le très haut de gamme, une poignée de filles célèbres, genre chanteuses ou danseuses médiatisées, négocient des tarifs beaucoup plus élevés et les réservations doivent être faites à l’avance.

Variations sur le genre

Dans ces histoires, il faut peut-être aller un peu dans les détails. Comme par exemple certaines agences de mannequins – pas toutes – qui proposent en extra des services de tout genre. L’un des genres est celui de “l’escort girl”. Le touriste fortuné peut donc inviter une “dame de compagnie” à passer tout juste la soirée avec lui, pour, déjà, 200 $. Certains en commandent d’ailleurs plusieurs en même temps, pour pouvoir choisir ensuite.

Dans un registre un peu plus osé, la soirée sera “privée”, donc dans une suite de l’hôtel par exemple, pour 300 $. Là, on peut assister à des strip-teases privés, ou à des flirts poussés. Au bout de la chaîne, la proposition du lit proprement dite peut être négociée, mais au-delà de 1 500 $ la nuit. Il est à noter que la fille peut arrêter l’opération à chacune de ces étapes. Et décliner l’offre.

Dans une bonne partie des cas, les Libanaises qui se lancent dans ce genre de trafic visent un train de vie luxueux qu’elles n’arrivent plus à assurer par d’autres moyens. Certaines, cependant, se droguent et sont ainsi entraînées dans un cercle vicieux.

Il arrive aussi que les filles soient amenées à se lancer dans ce métier, suite à une supercherie. Elles entrent par exemple dans certaines boutiques de vêtements et sont tentées par des robes très chères. La vendeuse les encourage alors à les acheter à crédit, les poussant sans cesse à de plus gros achats et puis, un jour, elle leur suggère une façon rapide de rembourser leurs dettes – en satisfaisant un client.

Effets annexes

En raison de l’ampleur de la demande, à en croire les personnes interrogées en tout cas, il n’est plus nécessaire d’appartenir à un réseau bien organisé. Il suffit d’avoir un intermédiaire qui connaisse les bonnes filières : les réceptionnistes des hôtels, les employés du casino, ou simplement des groupes professionnels qui sont en contact avec des hommes d’affaires en visite au Liban.

D’ailleurs, en parlant des réceptionnistes ou des concierges d’hôtels, ceux-ci restent, comme dans la plupart des pays d’ailleurs, une source d’informations inestimable, et souvent des facilitateurs. Mais certains, dans des hôtels de seconde catégorie, sont allés plus loin. Ils louent eux-mêmes des chalets pour la saison et proposent à leurs hôtes ce cadre plus confidentiel que l’hôtel pour y passer la nuit avec une fille. Pour 300 $ environ l’ensemble du package.

Parfois, ce sont les filles – plutôt amatrices –, qui s’organisent entre elles et se communiquent des numéros de téléphones utiles ou se passent entre elles des clients. Elles réalisent ainsi un bénéfice pur, sans devoir payer un intermédiaire ou le réseau. Ces occasionnelles, qui opèrent parfois par auto-stop, peuvent être tout simplement des universitaires ou des jeunes ayant par ailleurs un métier “normal”, la prostitution servant essentiellement à se permettre des dépenses supplémentaires, à soigner un proche malade, ou encore à se payer la drogue.

S’il faut en croire certaines sources, la prostitution ne serait pas uniquement monopolisée par les jeunes. Des femmes mariées, de milieu bourgeois mais ayant connu des revers de fortune, s’y adonneraient pour l’argent. C’est ainsi que des réseaux animés par des salons de coiffure ou d’esthétique ont aussi vu le jour au cours des dernières années.

Histoires stressantes

Pour les centres de massage, c’est une autre histoire. À la suite d’un tollé médiatisé, il y a trois ans, les centres de massage avaient été fermés par les autorités ; mais ils ont rouvert leurs portes peu après, sous le label “centres antistress”. Officiellement, la séance d’une heure coûte à partir de 20 $, mais peut varier selon les centres, le cadre et la nature du massage. Mais les services en plus ne sont pas compris dans cette somme. Et certaines masseuses fournissent des prestations sexuelles – rudimentaires, le plus souvent manuelles –, pour 10 ou 20 $ de plus.

En somme, le business du sexe est en pleine expansion au Liban. Le nombre de prostituées se multiplie, mais, de plus, tout ce qui va avec ce genre d’activités se développe : quelques restaurants huppés (qui se transforment après 1 heure du matin et le départ des clients “normaux”), boîtes de nuit, bars et super night-clubs, chalets et appartements meublés, hôtels, centres de massage, films et DVD pornographiques en vente au noir…

C’est donc tout un secteur qui se nourrit de ce business. Même si, officiellement, la prostitution est prohibée au Liban. Si, dans le temps, le coeur de la capitale abritait deux quartiers chauds, dûment répertoriés (rue Moutanabbi-Gemmayzé et Zeitouné) et soumis à une étroite surveillance médicale et publique, aujourd’hui, les quartiers chauds sont plus diversifiés, voire décentralisés. Ils sont aussi bien du côté de Hamra et de Raouché qu’à Kaslik et Maameltein, ou encore dans la montagne en été. Le racolage se fait aussi bien sur la route d’Ouzaï qu’à Dora et à Nahr Ibrahim. Les noms des endroits où l’on peut faire des rencontres intéressantes sont connus de bouche à oreille, et les autorités, tout en fermant plus ou moins les yeux, les surveillent aussi à leur manière.

Et puis, considérant qu’il est inutile de vouloir endiguer le plus vieux métier du monde, comment pourrait-on songer à fermer une manne aussi généreuse, alors que cette activité existe – et parfois à une échelle beaucoup plus grande – dans toutes les destinations touristiques ? C’est une forme de défense de notre compétitivité, disent les plus pragmatiques parmi les professionnels du tourisme “normal”. Qui demandent cependant une meilleure réglementation du marché.

Bordel de bar

Pas de maison close formelle sur le marché, mais des bars bas de gamme. Justement, nous avons visité certains de ces bars, situés à Hamra, à Dora ou ailleurs. Là, tout ressemble à un bordel en bonne et due forme. Pas besoin d’introduction, ni de subterfuge. Le plus normalement du monde, le client peut rentrer et demander à voir les locataires féminines des lieux. Le patron les appelle, par des prénoms volontairement bizarroïdes, juste pour accentuer l’aspect “hot”, comme au temps des Marica à Gemmayzé. Il y en a de toutes les nationalités : libanaises, syriennes, africaines, asiatiques. Et le client n’aura alors qu’à faire son choix, payer autour de 100 000 LL – au patron – et se retirer dans une des chambres… souvent sans porte. Parfois, un simple rideau en bambou sépare la pièce du couloir. Mais là, on peut aussi se faire arnaquer. C’est à la fille maintenant de vous soutirer de l’argent. Car le tarif payé ne couvre que le “service de base”. Et toute autre prestation est facturée à part ; même un dénudement complet coûte un supplément. Bref, un rapport qualité-prix qui laisse à désirer, ce qui explique la stagnation de ce créneau particulier.

N. A.

Surveillance et homo

Un des problèmes du business, c’est qu’il y a peu de surveillance médicale. Car, si les filles d’Europe de l’Est sont obligées de se soumettre à des visites médicales régulières dans les meilleurs hôpitaux de Beyrouth, les autres filles sont livrées à elles-mêmes et à leur conscience de leur propre santé. Le problème se pose avec beaucoup d’acuité en raison du développement de la prostitution homosexuelle, qui reste peu organisée et encore dépendante de l’initiative personnelle. Mais la demande grandit et on pourrait bientôt assister à l’émergence du même genre de réseaux que pour les filles. Les homosexuels ont leurs propres lieux de rencontres et les endroits où ils racolent, la corniche du bord de mer, par exemple. Mais là aussi le business vise des amateurs de pays voisins. Selon un recoupement d’informations, certains jeunes seraient emmenés dans ces pays pour ce genre d’activités. Et les réseaux seraient donc en train de se constituer, même si, pour l’instant, ils demeurent discrets. En tout cas, avec les bonnes filières, il est assez facile pour un homosexuel de trouver des partenaires payants.

K. C.

No man’s land juridique

Évidemment, aucun statut ne régit la prostitution au Liban. Il n’y a même aucun consensus officieux sur le niveau de “tolérance” qu’il faut adopter, comme c’était le cas jusqu’aux années 70. De sorte que les endroits, les intermédiaires, les filles elles-mêmes et tout ce qui gravite dans cette orbite dépendent à tout moment du bien vouloir des autorités responsables. L’exemple des centres de massage est édifiant à ce niveau. Leur fermeture, puis leur réouverture partielle, puis totale, suit une logique désormais bien connue au Liban pour les activités illégales (piratage, chaînes câblées, à titre d’exemples) : on commence par interdire ; mais comme on ne peut interdire ceux qui sont fortement soutenus, on finit par fermer l’œil sur tout le monde, ou presque. Tout ne fonctionne pas, pour autant, comme sur des roulettes dans ce business du sexe. Et pour ceux qui seraient tentés d’y investir, il est impératif d’abord de s’assurer un soutien politique et/ou être disposés à distribuer des dividendes aux appareils administratifs, officiellement responsables ou non. En dehors de ces deux ingrédients – soutien politique et gratifications –, il est inutile de se hasarder dans ce domaine.

Toujours à propos des centres de massage, les journaux ont relaté récemment l’histoire de ce fonctionnaire du ministère de la Santé, qui distribuait des permis, moyennant une confortable somme. Le fonctionnaire, dit-on, a été, depuis, déféré au parquet. Et le ministère de la Santé a dû demander conseil au département des Consultations au ministère de la Justice pour échapper à cette affaire minée. Car, le ministère de la Santé considère que, s’il est effectivement en charge des permis concernant l’exercice de la kinésie médicale, son intervention est déplacée pour les simples centres de “relaxation”. Depuis, les centres sont dans un semblant de vide juridique. Les professionnels du secteur accusent d’ailleurs les autorités de vouloir justement maintenir cet état de flou juridique, et ce sur l’ensemble du “corps de métier”, pour pouvoir en profiter à leur guise. Pour les cas graves cependant, ceux liés à la drogue ou au proxénétisme aggravé, le pouvoir judiciaire est plus actif. Par exemple, les tribunaux, ou les forces de sécurité, ont eu à traiter en 2001 quelque 220 cas de proxénétisme, en augmentation par rapport aux années précédentes, dont la moyenne se situait autour de 150 cas par an.